Il est difficile de prendre parti dans le débat qui oppose le patronat au gouvernement sur la question de leur rôle respectif dans la progression infernale du chômage en France.
Mais comment comprendre que les efforts d’allègement des charges, les aides fiscales comme le crédit d’impôt recherche, les énormes masses d’argent répandues par la BPI, les différentes mesures prises pour faciliter l’emploi des jeunes et d’autres catégories sociales, toutes ces mesures qui théoriquement devraient aboutir à des créations d’emploi et même une amélioration des salaires, soient absorbées comme de l’eau parle sable du désert ? Il y a tant de causes et raisons possibles économiques, sociologiques, démographiques, juridiques, historiques etc.. qu’en faire le tour démontrerait sans doute que ni le gouvernement ni les entreprises ne sont directement responsables de cette incapacité nationale à redresser la courbe du chômage, selon l’expression au destin malheureux. Et d’ailleurs que pèse leur responsabilité dans une économie aussi globalisée qu’elle l’est aujourd’hui et comment faire la part des choses ?
Il est par contre une réalité dont tous ceux qui ont été amenés à travailler avec des grands groupes, mais aussi avec des PME, des PMI, et des start-up peuvent témoigner : les pertes de richesse dues au gaspillage de ressources, au mauvais fonctionnement des services, aux relations « sauvages » qui sans vergogne se développent entre les grands groupes et tous les autres.
Dans le confort de leurs chiffres vertigineux, les multinationales et très grandes entreprises sont des institutions qui ont beaucoup de ressemblance avec les grandes administrations publiques tant critiquées, qui elles cependant, sous l’effet de la crise, tendent bien que lentement à s’améliorer. Ces sociétés aux milliards de revenus ont aussi des hiérarchies rigides, des positions de marché privilégiées, elles sont le terrain des réseaux des grandes écoles, offrent des carrières longues construites sur la patience plus que sur le talent, des avantages de fidélisation qui empêchent le renouvellement des effectifs et font barrage aux jeunes ambitions.
Elles bloquent ainsi la création de nouveaux postes, ne favorisent pas la mobilité interne et leur mode de fonctionnement perpétue et augmente des avantages acquis et des situations économiques dominantes a détriment de la créativité et la croissance de l’économie nationale. Elles avancent sur les marchés avec la lenteur et l’efficacité massive de leur âge, de leur volume et de leur poids économique comme des vagues glaciaires en étouffant sur leur passage les petits, les faibles et les nouveaux.
Rien de choquant, c’est l’effet des lois naturelles, mais ce qui l’est c’est la bonne conscience de ces grandes entreprises à l’égard de ceux qui subissent cette loi naturelle, doublée de dysfonctionnements honteux soigneusement dissimulés. Si généraliser est impossible, il est non moins impossible de parler sans le faire. Il est évident qu’il n’y a pas dans les très grandes entreprises une uniformité totale de fonctionnement entre les départements et les services internes, ou entre elles. Mais dans chacune d’elles il y a ce que je veux dénoncer au nom de la défense des « petits » mais surtout de la défense des intérêts de la collectivité.
Car c’est la société entière qui en pâtit et sur de nombreux plans. Mon sujet est purement économique donc je ne veux parler que de ce qui nous appauvrit tous. On voit dans ces sociétés, des personnels protégés par d’innombrables avantages de statut et bénéficiant d’avantages économiques importants, dont l’épargne entreprise n’est pas le moindre, s’interposer dans leur démarches avec les PME, PMI et autres petits offreurs de produits et services, avec une dureté implacable.
Telle multinationale milliardaire en chiffre d’affaires et bénéfices met en œuvre des services de « cost-killers » pour améliorer la productivité de ses établissements. Ceux ci traquent toutes les ressources gaspillées et concluent régulièrement à la réduction de certains effectifs sans remettre en cause des modes de fonctionnement internes qui pèsent le poids des traditions et de la culture d’entreprise.
Et comment les responsables de cette multinationale s’accomodent-ils de ces cost-killers ?
- en imposant aux sous traitants des délais de décision anormalement prolongés : le process des décisions est tortueux pour ménager les préséances protocolaires il faut consulter le service des achats, mais aussi le service du personnel, plus tel département technique, il faut du temps, des réunions, le renvoi des dossiers la renégociation sans fin de parties des contrats, puis du tout etc..
- en imposant aux sous traitants des délais de règlement règlements qui les tuent par des frais financiers insupportables mais favorisent la trésorerie des clients
- en imposant aux sous traitants de revoir sans cesse leur offre pour réduire son coût au risque de les affaiblir gravement et de les contraindre à travailler à la limite extrême de leur rentabilité, et à réduire leurs ambitions de qualité.
Résultat : ils parviennent en général à diminuer les coûts des services externes pour leur société, et démontrent l’efficacité des mesures de cost-killing aux dépens des autres. Ce sont de bons et loyaux services rendus à la grande machine insensible qu’est leur société, sans souci des effets de bord. A leur coté survivent ou disparaissent les petits dans une totale indifférence aux problèmes en cascade qui .affectent les PME, PMI, start-up, villes, départements et régions, et le pays tout entier.
Tel sous traitant va t-il fermer parce qu’il a misé avec trop de confiance sur un énorme contrat dont la signature est repoussée de mois en mois, ce qui le contraint à licencier son personnel et en conséquence l’empêche d’avoir les moyens d’exécuter ce même contrat ? Tel autre est il obligé de donner à un factor des garanties énormes en raison de la lenteur des règlements de ses clients, qui se soucie de sa perte de productivité ?
Tous ces chefs d’entreprises qui subissent le joug de ces relations injustes du gros qui peut écraser le petit, tout en se plaignant qu’en France les salaires sont trop élevés et qu’on doit exporter le travail à l’étranger pour pouvoir faire face à la concurrence, ont ils mesuré avec tous leurs conseillers en réduction des charges :
-ce qu’ils gagneraient à décider mieux et vite,
-à payer la compétence et la qualité d’exécution son vrai prix sans essayer de gagner des sommes minimes au regard de ce qui est gaspillé dans leurs propres services,
-à ne pas abuser de délais de règlements qui ont un impact massivement nocif sur la fluidité de l’économie nationale
-à aider leurs sous-traitants lorsqu’ils traversent des moments difficiles par des crédits ou même pourquoi pas des prises de participation minoritaires
La confrontation au quotidien des petits avec les gros est, pour l’observatrice extérieure que je suis en modeste conseillère de certains petits, une source de colère permanente, et même parfois désespoir. A quoi bon fabriquer des élites supérieurement performantes, à quoi bon penser et étudier l’économie dans tous les sens pour rectifier les crises ? Il y a tant de mesures simples n’exigeant ni lois, ni études et rapports qui pourraient, en donnant de la fluidité aux marchés, et des relations professionnelles saines aux acteurs donneurs d’ordre et aux acteurs dépendants, optimiser compétences et ressources. Sans compter les bienfaits sociaux que pourraient procurer ces mesures…