Exit tax, cryptomonnaies, chaînes de Ponzi, hôpitaux : tous déboussolés !

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Par Jacques Bichot Modifié le 21 novembre 2022 à 18h51
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@shutter - © Economie Matin
4 0004 000 lits d'hôpitaux ont été supprimés en 2016.

Que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public, les exemples abondent de crédulités, de naïvetés, de conceptions erronées prises pour des idées géniales, d’erreurs et d’incertitudes à peine croyables sur des résultats chiffrés.

Les idées fausses mais « politiquement correctes » conduisent à des gaspillages étonnants. Aurions-nous perdu nos boussoles – notre bon sens ?

La confusion des cerveaux et des comptes dans le secteur privé

La dernière en date des révélations dans le domaine des estimations chiffrées concerne « les vrais chiffres de l’exit tax », pour reprendre le titre utilisé dans le journal Les Echos de ce jour, le 27 juin. Ce quotidien économique annonce une erreur gigantesque sur les précédentes annonces officielles relatives aux recettes attendues de cette ponction instaurée sur les plus-values réalisées par les entrepreneurs ayant choisi d’émigrer : il ne s’agirait pas de 6 Md€, chiffre avancé en Commission des finances à l’Assemblée nationale par le directeur de la législation fiscale, mais seulement de 1,55 Md€. Encore faut-il se méfier d’une confusion possible : le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a donné une évaluation à 803 M€, mais ce chiffre concerne parait-il uniquement l’impôt sur le revenu, pas les prélèvements sociaux, qui sont eux aussi des prélèvements obligatoires, et donc du ressort du CPO.

La veille, un article du même journal annonçait un « record de pyramides de Ponzi démasquées aux Etats-Unis ». Cette forme d’arnaque, portée à son apogée par le célèbre Bernard Madoff, consiste à proposer des placements procurant des rendements merveilleux, et à utiliser les sommes récoltées pour payer effectivement les intérêts promis et mener la belle vie. Cela dure jusqu’à ce que décline le montant des apports de nouveaux fonds, et que trop de déposants demandent le remboursement de leurs avoirs, ce qui entraîne des refus pour cause de caisse vide et l’intervention de la justice. Bien que de telles arnaques se produisent depuis des décennies, la crédulité est grande et le bon sens loin de chez nous.

Le succès des cryptomonnaies, signes numériques dépourvus de valeur réelle, à la différence des monnaies de crédit qui ont comme contrepartie des prêts finançant principalement les entreprises et l’immobilier, est un autre exemple du manque de bon sens chez un certain nombre de nos contemporains, et de l’absence de scrupules de « petits malins » prêts à chercher à s’enrichir aux dépens des nigauds. Bien entendu, de même que, dans la nature, les gros prédateurs mangent souvent les moins coriaces, beaucoup de ces « petits malins » qui croient au Père Noël se font berner par d’autres, plus astucieux ou mieux organisés.

La confusion intellectuelle dans les affaires publiques

Ce manque de boussole intellectuelle ne se constate pas seulement du fait d’erreurs d’estimation ou de manœuvres, légales ou illégales, destinées à s’enrichir sur le dos de personnes trop crédules. Il affecte de nombreuses décisions publiques. Là encore, il suffit d’ouvrir le journal du jour pour tomber sur des exemples d’aveuglement. Regardons cette fois Le Figaro du jour où j’écris, le 27 juin : un inspecteur général des finances, Patrice Cahart, y expose de façon nette et précise le gaspillage engendré par la mode qui pousse les pouvoirs publics à remplacer les centrales nucléaires par des éoliennes. Obligée d’acheter le courant éolien à un prix double de celui qu’elle obtient de sa revente, EDF se ruine ; beaucoup de nos paysages sont défigurés, et nous allons devoir ouvrir davantage de centrales thermiques pour prendre le relais lorsqu’il n’y a pas assez ou trop de vent : l’effet sur la production de gaz carbonique sera l’inverse de celui recherché. Tout cela suite à l’engouement irrationnel d’une partie de la classe politique pour une écologie de pacotille.

Le système de santé est pareillement victime – et les Français avec lui – d’idées absurdes concernant les économies possibles en la matière. Il y a une vingtaine d’années, les admissions en seconde années de médecine ont été réduites de façon sauvage dans le but de diminuer la consommation médicale. Depuis quelques années, c’est la chasse aux lits d’hôpitaux qui a pris le relais : ainsi se réjouit-on que 4 000 lits aient été supprimés en 2016 ! La première de ces politiques malthusiennes a pour conséquence que la France fait venir des médecins de pays dans lesquels ils sont déjà trop rares. La seconde aboutit à priver les hôpitaux de lits d’appoint qui ne coûtent pas grand-chose s’ils sont inutilisés, mais peuvent se révéler très utiles pour des patients qui n’ont personne pour s’occuper d’eux quand ils regagnent leur domicile après une opération, et pour se débrouiller lorsque se produit une vague d’entrées imprévue, par exemple suite à une épidémie, à une catastrophe ou à un attentat ayant fait de nombreuses victimes.

Les pouvoirs publics donnent ainsi fréquemment l’exemple d’une absence de bon sens tout-à-fait désastreuse pour l’efficacité des services publics, et donc mauvaise pour le pays et pour les Français. Or ce déficit de bon sens s’explique en grande partie par des modes intellectuelles qui s’imposent en devenant « politiquement correctes ».

La crédulité des décideurs publics face à des affirmations péremptoires, telles que « le privé peut faire cela mieux et moins cher », ou « le numérique va nous procurer une simplification et des économies de gestion fantastiques », provoque des gaspillages en série, pour deux raisons principalement : premièrement, le secteur privé est dans bien des cas inadapté pour produire des services publics, et les commanditaires sont incapables de négocier correctement les contrats et de veiller au grain lorsqu’ils s’agit de surveiller leur mise en œuvre ; deuxièmement, s’agissant d’informatique, bon nombre de hauts fonctionnaires ne sont pas aptes à veiller à la réalisation correcte de ce qu’ils demandent, si bien que le résultat est un raté fantastique comme Louvois pour la solde des militaires ou le logiciel du RSI pour la sécurité sociale.

Dans un grand nombre de cas d’échec retentissant, de fonctionnement médiocre, de surcoût inadmissible, la cause première est la propension à croire au Père Noël qu’ont bon nombre de personnes nanties de diplômes prestigieux et de réputations solides, auxquelles ont été confiées des responsabilités importantes.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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