Lettre ouverte d’un petit patron aux participants à la Conférence sociale

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Par Julien Leclercq Modifié le 16 octobre 2015 à 11h25
Uberisation Employes Inquietude France Management
@shutter - © Economie Matin
80%Les TPE PME ont créé 80% de l'emploi salarié des 20 dernières années en France.

Chers Vous qui êtes chargés de trouver des idées pour relancer l'emploi,

Vous avez de nouveau pris rendez-vous ce lundi pour une quatrième Conférence sociale, grand raout censé vous permettre d'échanger, réfléchir, et partager de belles idées aussi innovantes qu'efficaces pour inverser cette satanée courbe du chômage.

Je vous écris cette lettre après avoir rencontré plus de trois mille chef d'entreprise en deux ans, de Bordeaux à Nice en passant par Lyon, Paris, Quimper... Elle n'est ni une énième complainte se contentant d'énumérer les points qui font de la France un pays horrible à vivre, ni les derniers mots d'un condamné.

Cette lettre est celle d'un patron plutôt heureux, optimiste invétéré qui a réussi le tour de force de créer plus d'emplois qu'il n'en a détruit ces dernières années. Si optimiste je n'avais pas été, je n'aurais certainement pas sauvé ma PME mourante en empruntant deux cents mille euros au bonhomme vert et à ses copains, sous le prétexte fallacieux d'un joli voyage de noces à réaliser (faut-il s'étonner qu'il soit plus facile en France d'obtenir des financements pour partir en vacances que pour sauver des emplois ?)

Cette lettre est celle d'un optimiste, donc, mais d'un optimiste lassé de croire en vous. Ou en tout cas lassé d'attendre que vous croyiez vous-même à ces rendez-vous.

Il y a un an, le 7 juillet 2014 pour être exact, j'avais réuni quelques amis entrepreneurs - et leurs collaborateurs - devant le Palais d'Iéna pour que nous exprimions ensemble (en slip) notre inquiétude devant le peu de sérieux avec lequel les principaux protagonistes préparaient l'évènement. L'heure était grave (déjà), pourtant syndicats de tous bords multipliaient les déclarations caricaturales et menaçaient à tout va de claquer la porte des discussions alors même qu'elles n'étaient pas entamées. Aucune nouvelle idée ne pointant le bout de son nez, nous étions venus vous rappeler l'urgence de la situation et vous suggérer de prendre des décisions efficaces, simples à comprendre et à appliquer. Bref, des mesures pour relancer l'emploi. Sympas, nous avions même apporté quelques idées à nous pour vous aider dans votre gamberge collective. C'était un lundi (déjà aussi). Le mardi, FO et CGT considéraient avoir gagné la bataille selon un critère bien à eux : ils ont été les premiers à quitter les lieux. Cette année la CGT fait plus ridicule encore et ne viendra pas du tout. Peut-être leurs représentants ont-ils décidé de prolonger leur week-end ? Se battre toute sa vie pour devenir un représentant syndical d'envergure mais être fier de claquer une porte quand une opportunité de dialoguer se présente, voilà une démarche qui défie quand même tout entendement. Passons.

126 000 chômeurs de plus séparent les deux Conférence sociales

Quinze mois après, que reste t-il de la Conférence sociale 2014 ? La France compte 126 000 chômeurs de plus. Certes, le CICE vient rendre la moitié de ce qu'ont coûté aux entreprises les augmentations de charges successives, mais c'est trop juste. Le contrat génération est un échec, le Code du Travail compte deux cents pages de plus (il parait que je ne dois pas me plaindre, c'est de la jurisprudence), soixante mille entreprise meurent toujours chaque année, et surtout les entrepreneurs continuent à passer la plus grande partie de leurs journées à s'occuper de domaines très éloignés de la raison pour laquelle ils s'étaient lancés au départ (croyez-moi : aucune des trois milles personnes rencontrées n'a créé sa boîte parce qu'elle était trop forte en droit social). Une totale réussite. Nous avions peur que l'édition 2014 ne serve à rien. Je suis triste d'avoir eu raison.

Pourtant, je vous l'ai dit en préambule, je suis un optimiste, posture sans doute encouragée par cinq années de (léger) bénéfice pour ma modeste société de quarante-huit salariés (notons que je ne suis pas franchement enclin à en avoir deux de plus. Notons aussi que je ne sais pas comment vous faites pour garder le moral avec vos bilans financiers successifs. Chapeau). Je veux y croire, car, pour la première fois, des mesures ont été inventées spécifiquement pour les TPE et PME. Comme si vous veniez de vous apercevoir que ce sont elles qui ont créé 80% de l'emploi salarié ces vingt dernières années. Bon, n'allons pas trop vite, vos initiatives restent sans aucun intérêt (qui peut réellement croire qu'une aide de 2 000 euros par an pour créer un job ça sert à quelque chose ?). Mais quand même, il y a une prise de conscience.

Des mesures simples et fortes pour aider les TPE !

Vous voulez relancer l'emploi : la cible à toucher ce sont les petites entreprises. Vous voulez que l'on embauche ? Demandez à leurs dirigeants pourquoi ils ne le font pas. Contrairement à ce que peut affirmer un Gérard Filoche aux relents de naphtaline, ce n'est pas pour agrandir leur piscine. Bien sûr la première condition c'est d'avoir un carnet de commande qui se remplit. Ne vous inquiétez pas (à votre tour), on ne vous attend pas pour ça, nous avons parfaitement assimilé que la visibilité à laquelle nous avons désormais droit est à peu près équivalente à celle d'un escargot aveugle pédalant dans la semoule. Cependant, si l'affaire nous regarde en ce qui concerne notre chiffre d'affaires, vous pouvez faire quelque chose pour nos dépenses. Croyez-moi, le "petit patron" que je suis adorerait savoir combien va lui coûter exactement un salarié dans trois mois. Une fois ce pré-requis établi, deux réponses vous seront faites par mes pairs : si l'on n'embauche pas, ce n'est parce que c'est trop cher et parce que l'on a peur des risques qui y sont associés. Baisser les charges n'est pas une demande incongrue réservée aux libéraux assoiffés de pouvoir et d'argent que l'on nous accuse d'être parfois. Aujourd'hui un salarié coûte de plus en plus cher et gagne de moins en moins bien sa vie. À la difficulté d'assumer un emploi s'ajoute donc celle d'un climat social qui se dégrade. En ce qui concerne le second point (les risques) faut-il vraiment perdre du temps à vous réexpliquer que 3650 pages de réglementation c'est trop ? Je préfère vous poser une question philosophique : trouvez-vous normal que plus une entreprise crée d'emplois plus elle a de contraintes et donc d'emmerdes ?

Ne perdez pas votre temps... Et cessez de nous faire perdre le nôtre

La Conférence sociale ne doit pas être qu'un coup de com' au service des différents syndicats présents (ou pas) autour de la table. Si elle n'est que ça, alors arrêtez de perdre votre temps. Ne répondez pas qu'au moins vous prenez plaisir à vous voir, personne ne vous croirait. Votre devoir est d'y trouver des idées neuves, courageuses. Et, encore une fois, simples. Vous êtes attendus, ne l'oubliez jamais tout au long de cette journée qui devrait être considérée comme importante.

Avant de vous inquiéter du dialogue social dans nos entreprises, inquiétez-vous de votre incapacité à dialoguer ensemble. Laissez la lutte des classes au placard, le pays est dans une situation très préoccupante. Et ce n'est certainement pas la faute des entrepreneurs et de leurs collaborateurs qui oeuvrent chaque jour avec courage et optimiste pour pérenniser leur aventure et continuer à vivre de belles histoires. Les Français font leur part du boulot, à vous de faire le vôtre désormais.

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A 32 ans, Julien Leclercq dirige l'agence Com'Presse, une PME de 45 salariés dont le siège est situé dans le Sud-Ouest. Très engagé pour défendre l'entrepreneuriat, il a créé le blog www.salauddepatron.fr, qui l'a amené à rencontrer plus de deux mille chefs d'entreprise en moins d'un an. En juin 2014, il a fondé le mouvement des Déplumés, qui réunit patrons et salariés autour d'une thématique commune : relancer l'emploi. Il est également l'auteur de Chronique d'un salaud de patron (éd. Les Cavaliers de l'orage) ainsi que de "Journal d'un salaud de Patron" (Fayard, octobre 2015).

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