Economie de plateforme : l’Europe fait fausse route

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Par Jérôme Tarting Modifié le 28 août 2019 à 9h49
Croissance France Europe Commission 01
@shutter - © Economie Matin
3 MILLIONSL'Europe compte à ce jour, plus de 3 millions de personnes exerçant une forme nouvelle ou atypique de travail.

Nées suite à la récente crise économique mondiale, des start-ups ont disrupté le secteur du transport à la personne et de la livraison. Devenues le symbole de la « nouvelle économie » favorisée par la digitalisation, elles ont ouvert le champ des possibles. Fondant leur modèle sur l'externalisation de missions auprès d'une multitude de prestataires indépendants, elles ont fait émerger l'économie de plateforme. Elle ne cesse depuis de se développer. A titre d'exemple, l'Europe compte à ce jour, parmi les 200 millions d'actifs, plus de 3 millions de personnes exerçant une forme nouvelle ou atypique de travail[1]. Quelles sont les raisons de ce succès ?

Les applications issues des mobiles et des tablettes ont développé une nouvelle économie des services. Ils sont venus répondre à une offre qui était jusqu'ici inexistante ou inadaptée. Par ailleurs, elles ont révolutionné des secteurs monopolistiques. Enfin, elles ont généré de nouveaux emplois, en allant chercher des compétences externes et inemployées.

Une Directive qui interroge

Mais la « gig économie » aussi appelée « économie des petits boulots » a soulevé de nombreuses controverses et autres débats au point que les pouvoirs publics européens ont décidé de la réglementer outre mesure, sans en mesurer les conséquences. A l'exemple du Parlement européen qui le 12 avril dernier a fixé des « droits minimaux pour les travailleurs qui exercent un emploi à la demande, basé sur des chèques ou des plateformes du type Uber ou Deliveroo. » On peut notamment lire, parmi les dispositions adoptées par les eurodéputés, « l'instauration de conditions de travail transparentes dès la première semaine du contrat ou encore une période d'essai maximale de 6 mois ».

La Directive qui doit être transposée dans les Etats-membres, dans les trois ans à venir, va très vite présenter un paradoxe politique en France, tant elle semble très contraignante. Elle risque aussi de raviver des conflits juridico-judiciaires qui étaient en voie d'apaisement dans notre pays. En effet, l'apparition des termes « contrat » et « période d'essai » va complexifier l'interprétation des textes dans les pays membres. Pire, l'Europe ouvre un débat inutile, sur un statut intermédiaire entre indépendant et salarié.Ceci sans se rendre compte que l'adaptation de la réglementation à une nouvelle économie, ne pourra se faire de manière simple et uniforme.

La France a fait le pari de la négociation

En France, l'approche de l'économie de plateforme est autre. Elle fournirait actuellement plus de 50 % de leurs revenus à 5,2% des Français (12 % des 25-34 ans)[2]. Englobant l'économie dite collaborative, le marché pèse près de 3,5 milliards d'euros et plus de 36% des français ont recours aux différents services ; soit la proportion la plus élevée en Europe[3]. Bien sûr, la fin des monopoles dans le secteur du transport à la personne et des livraisons de colis a suscité controverses et débats. Tout d'abord sceptique, le législateur français a fait preuve de modération. En effet, Il a observé que cette nouvelle forme de travail a permis à ses bénéficiaires, de retrouver une activité, un sentiment d'utilité, une rémunération, quand bien même, elle pouvait présenter des imperfections sociales. Ce fut en substance le résumé et l'esprit du rapport Terrasse[4].

L'économie des plateformes a donc offert des activités flexibles, avec une organisation plus libre du temps de travail, qui se prête particulièrement à l'exercice d'activités d'appoint et aux préférences de certains travailleurs. Conscient des améliorations à porter à cette économie en plein essor, les députés, dans le cadre de la Loi « choisir son avenir professionnel » ont tenté d'apporter des améliorations substantielles en matière de droits en direction des travailleurs de plateforme sans pour autant briser la dynamique économique. Tout le monde semblait satisfait du compromis trouvé. C'est-à-dire, éviterla requalification en emploi salarié devant les tribunaux ; menace qui pèse à chaque instant sur les différents acteurs des plateformes. Mais l'amendement à l'origine de cette avancée, porté par le député Aurélien Taché, a été retoqué par le Conseil constitutionnel en septembre 2018. Considéré sans rapport avec le cadre de la loi, les Sages l'ont censuré.

Trajectoire et convergence communes

La Loi Mobilités qui sera à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale courant mai va réintroduire des dispositions équilibrées en faveur de l'économie de plateforme et l'ensemble de ses acteurs. Elle sera beaucoup plus souple que les obligations européennes qui vont nous être imposées sous trois ans. En effet, contrairement à l'Europe qui veut nous faire entrer dans un cadre, la France a compris qu'il n'y avait pas de “profil type” des travailleurs de plateformes. En effet, dans l'article 20 du projet de Loi Mobilités[5] à l'étude permet l'établissement à titre facultatif, par les plateformes de mise en relation par voie électronique, d'une charte précisant les contours de leur responsabilité sociale, de manière à offrir des droits sociaux supplémentaires aux travailleurs indépendants qui ont recours à leurs services. Afin de sécuriser la relation entre les plateformes et ces travailleurs, le projet précise que l'existence de cette charte et le respect de certains engagements qu'elle contient ne peuvent constituer des indices de requalification de la relation contractuelle en salariat. Cet article permet également de renforcer le droit à la formation professionnelle des travailleurs des plateformes, en définissant, notamment, des règles d'alimentation du compte personnel de formation.

L'Europe devra revoir sa copie

On ne sait si pour l'heure, cette « culture du compromis » qui semble inspirer la future Loi Mobilités va perdurer à l'épreuve de l'étude du texte par les Parlementaires français. Une chose est certaine, les indépendants qui travaillent pour le compte de plateformes, expriment dans une récente enquête de l'INSEE[6], leur volonté de travailler davantage. Bien entendu, on pourra objecter que l'économie collaborative est précaire pour eux. Or, ils préfèrent ce type de missions et en demandent davantage encore, pour deux motifs expliqués par l'organisme statistique : ils veulent soit changer d'emploi, soit viennent de retrouver leur autonomie par une récente sortie du chômage. Si la France n'est qu'un pays parmi les 27 de l'Union Européenne, elle est plus dynamique en matière d'économie collaborative à ce jour. A l'heure où nous nous apprêtons à renouveler le Parlement européen, le prochain qui va sortir des urnes aurait tout intérêt à reprendre sa copie et à modifier très largement une Directive qui semble tout ignorer de la réalité du terrain et des usages en vigueur.


[1] Source : Commission européenne - avril 2019

[2] Enquête DGE/Pipame/Picom

[3] Parlement européen - 2016

[4] Rapport de Pascal Terrasse - Février 2016

[5] Assemblée Nationale - Projet de loi Mobilités.

[6] Insee Première - 10 avril 2019

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Jérôme TARTING est Président de Clic Formalités. Diplômé de l'ESC (Ecole Supérieur de Commerce) de Toulon & du Royal Holloway College de Londres (Angleterre), il a une expérience de 20 ans au sein de plusieurs start-ups françaises & américaines.

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