De simples barrières plantées le long de la frontière belge peuvent-elles protéger les élevages français et luxembourgeois d’une contamination de la peste porcine africaine ? Pas sûr que cette mesure suffise. Que faire pour éviter la crise sanitaire généralisée ?
« Le risque de diffusion est devenu mondial. » La conclusion est sans appel, et c’est la très sérieuse Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui tire la sonnette d’alarme. De retour en 2014 sur le Vieux continent après s’être fait longtemps oublié (sa première apparition en Europe date de 2007), la peste porcine africaine (PPA) – appelée chez nos voisins anglo-saxons African Swine Fever (ASF) – était jusqu’en 2018 limitée à quelques rares cas en Azerbaïdjan, en Arménie, en Pologne et dans les pays baltes où elle avait été véhiculée par des sangliers sauvages venus de Russie, coupables d’avoir transmis la maladie aux cochons d’élevage.
A l’autre bout de l’Asie, même scénario en simultané, mais avec des conséquences beaucoup plus graves. Ces mêmes sangliers sauvages, là aussi venus de Russie, ont contaminé les cheptels chinois, mais aussi vietnamiens, taiwanais, laotiens, mongols, malaisiens… C’est surtout la Chine – qui concentre à elle seule 45% de la production mondiale, avec 54 millions de tonnes par an (36% du volume de viande produit par an dans le monde sont issus du porc) – qui paye un lourd tribut. Cette épizootie – officiellement ce virus n’est pas transmissible à l’homme, même si des cas de transmission ont été identifiés en Malaisie en 1999 – s’est en effet accélérée ces derniers mois : d’ici la fin de l’année 2019, environ 200 millions d’animaux devraient être abattus dans le monde à cause du virus, pour éviter sa propagation à l’échelon local. Une solution radicale.
Contamination : l’homme, premier responsable
En Europe aussi, le virus s’affranchit volontiers des frontières. En 2016, la Moldavie signale des premiers cas. Suivie par la Roumanie et la République tchèque en 2017, la Belgique en 2018, plus récemment la Bulgarie… L’Autorité européenne pour la sécurité alimentaire (EFSA) dresse la liste des modes de cette contamination :
- Par contact avec des animaux infectés, y compris entre sangliers et porcs en liberté
- Par morsures de tiques infectieuses
Cette contamination « naturelle » peut donc se faire par les tiques, contaminées via le sang des animaux ou leurs excréments. Selon l’ANSES, la « contamination par la faune sauvage se fait à une vitesse moyenne de 350km par an ». Ce qui inquiète davantage donc, c’est la contamination technique due à l’homme : beaucoup plus vaste, beaucoup plus rapide. Là aussi, l’EFSA dessine le contour du problème :
- Par ingestion de viande ou de produits carnés provenant d’animaux infectés : déchets de cuisine, alimentation à base de déchets liquides, sangliers infectés (y compris dépouilles)
- Par déplacement d’animaux infectés
- Par contact avec n’importe quel article contaminé par le virus, tels que des vêtements, des véhicules ou autres équipements
- Par élimination des carcasses, de manière sauvage et illégale
A partir de ce constat, les vecteurs de contamination depuis la Chine – principal foyer de l’épizootie actuellement – peuvent être très nombreux, et ce sur tout au long de la chaîne : dans les usines chinoises, dans les abattoirs, dans les lieux de stockage et de transit de la viande et désormais de tous les aliments animaliers, comme le confirme le Professeur Jerry Shurson, du département de santé animale de l’Université du Minnesota. « En l’absence de solutions efficaces pour traiter la contamination des vitamines par le virus, les chaînes de fabrication et logistique doivent être rigoureusement surveillées pour éviter le risque de contagion par les additifs », explique-t-il. Or, il s’inquiète de la réalité des dispositifs de contrôle actuels en Chine : « certaines entreprises peuvent prétendre être en conformité à des fins de marketing, mais ne font pas d'efforts sérieux. »
Les mesures mises en place : peut mieux faire
L’Union européenne – et les gouvernements nationaux – n’ont pas beaucoup d’armes dans leur arsenal. La première, c’est la connaissance des comportements des sangliers sauvages. L’EFSA a par exemple lancé le programme EnetWild dont la vocation est de « normaliser toutes les informations » recueillies sur l’ensemble du continent, concernant les déplacements de ces animaux sauvages. Ces données permettent aux autorités européennes de constituer une veille. Guère plus.
Pays par pays, la riposte s’organise, mais très timidement. Foyer de contamination en Europe de l’Ouest, la Belgique est regardée de travers par la France et le Luxembourg. Leurs gouvernements respectifs ont décidé d’ériger plusieurs dizaines de kilomètres de clôtures, principalement dans les Ardennes et dans le bassin de la Meuse, afin de prévenir le passage des sangliers sauvages. Cela semble bien dérisoire.
Car l’enjeu de santé publique dépasse largement les simples sangliers sauvages. Les autorités françaises et européennes sont face à un vrai défi : comment s’assurer de la traçabilité de la viande, mais surtout de tout le matériel ayant été en contact avec le virus, les compléments alimentaires ou encore le fourrage ? En juillet 2018 déjà, les experts de l’EFSA ont édicté « les mesures qui doivent être prises avant, pendant et après l’éclosion des foyers endémiques ». On attend toujours, et ce n’est pas le seul projet Defend2020 qui rassure vraiment les professionnels.
En Asie, les mesures les plus marquantes visent le premier niveau de contamination : les fermes. La FAO (Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) met en garde le monde entier : « L’épidémie de PPA est l’une des plus violentes maladies virales qui puissent atteindre les systèmes de production de viande de porc. » C’est d’abord au niveau de l’appareil de production que toute la chaîne peut être contaminée. Sur le terrain, et particulièrement en Chine et en Malaisie, la transmission du virus est devenue incontrôlable, surtout au niveau des petits producteurs, des intermédiaires et des braconniers, mais aussi des centrales d’achat sur Internet qui importent de Chine, par exemple, de l’alimentation ou des vitamines pour animaux. Une étude américaine de 2018 a révélé que « certains pathogènes viraux de bétail ont effectivement démontré la capacité de survivre dans des aliments pour animaux (vitamines, acides aminés, protéines et autres compléments) dans des conditions simulant le transport pendant une période prolongée. »
Que peuvent faire les autorités françaises et européens pour contrôler et prévenir ces multiples vecteurs de contamination ? Les éleveurs du Vieux continent attendent probablement de vraies réponses.