Automobiles : un désastre peut en cacher un autre

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Par Ludovic Grangeon Publié le 1 février 2014 à 6h00

A la fin des années 90, une opération allait marquer le monde de l’automobile : la fusion Daimler Chrysler. Dès le départ, Daimler entreprit d’éliminer toutes les forces vives de Chrysler : cadres, personnel, innovation, pour imposer sa culture, alors pourtant que Chrysler gagnait de l’argent. Cette conquête devait se terminer par un désastre de plus de 30 milliards qui a failli engloutir les deux groupes, à force de consultants et de cost killers tous plus incompétents ou irresponsables. Le Président de Daimler finissait par être remplacé en 2005 et Chrysler bradé pour se débarrasser du boulet en 2007.

Aujourd’hui, on assiste à un remake de ce scenario catastrophe avec l’impérialisme des dirigeants d’Opel face à General Motors. L’équipe allemande, constituée en partie d’anciens de Volkswagen, a exercé une pression pour éliminer la cohabitation entre Opel et Chevrolet dans une partie des pays européens, dont la France.

Elle vient semble-t-il d’obtenir gain de cause avec l’annonce de l’arrêt du réseau Chevrolet en France dans deux ans. Cette première mesure fait repenser au drame de l’incompétence stratégique de l’équipe de Daimler. Tout d’abord, la façon d’informer les clients est vague, parlant de solutions à trouver, et donc qui ne le sont pas encore. Elle suscite de l’inquiétude et contribue à tuer toute politique de vente dynamique pour les deux années à venir chez Chevrolet.

Ensuite, ce choix stratégique semble impulsé par des dirigeants qui n’ont pas beaucoup mis les pieds sur le terrain. S’ils s’étaient rendus dans leurs concessions, ils auraient constaté que la marque Chevrolet tirait les ventes Opel par son standing et sa renommée internationale. C’est aussi déroger à deux principes fondamentaux. L’offre amplifie la demande (magasins de vêtements ou de motos tous dans la même rue par exemple) . Un éminent stratège comme Michael Porter insiste aujourd’hui sur la « shared value » des sociétés, valeur sociale et complexe, qui est plus importante pour Chevrolet que pour Opel.

Jamais le contexte n’était autant favorable pour une enseigne étrangère en France. Carlos Ghosn (Renault Nissan) semble rencontrer des difficultés à maintenir sa compétence, et vient de rater complètement sa succession avec le départ de Carlos Tavares chez PSA. L’efficacité nippone est rentrée chez Renault mais à l’inverse la rigidité de Renault a contaminé le réseau Nissan. Pour autant, ce n’est pas cette arrivée providentielle de Tavares chez PSA qui peut redresser le groupe avant plusieurs années. Les deux réseaux Renault Nissan et PSA sont engoncés dans des organisations rigides qui ne favorisent pas leur compétitivité.

La décision du patron d’Opel relève des méthodes révolues des « cost killers » des années 90 par réduction des coûts internes et augmentation de productivité, totalement obsolètes aujourd’hui. Peter Drucker, autre grand spécialiste de l’entreprise avait prédit l’effondrement du groupe si ces méthodes d’un autre âge étaient maintenues.

A moins que… la nouvelle équipe américaine, très pragmatique, n’en fasse l’occasion d’une revanche et n’anticipe sur l’échec annoncé de cette mesure pour éliminer définitivement ces managers au style Jurassic Park. Mary Barra, la première femme à diriger ce groupe est la fille d’un ouvrier de General Motors. Son arrivée coïncide avec la fin de l’ère des financiers qui ont failli aussi précipiter ce groupe dans le désastre. La réactivité de la nouvelle équipe General Motors de Detroit est sans comparaison avec la lourdeur de l’équipe allemande d’Opel. Le nouveau match qui s’annonce promet d’être passionnant, à moins qu’il ne devienne tragique. A eux d’en décider.

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur. Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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