Dans Les Echos du 29 décembre, une analyse bien étayée explique : « Le monde est devenu une machine à fabriquer des bulles ».
Dans Le Figaro du même jour, un éditorial prétend : « Investir en actions, c’est soutenir la croissance ». Malheureusement, depuis que la machine à bulles s’est emballée, beaucoup d’actions servent principalement à spéculer, tout comme le bitcoin et ses petits frères dont la valeur marchande résulte de la crédulité du public. Les augmentations de capital par émission d’actions sont relativement rares et modestes. Ce sont pourtant elles qui apportent aux entreprises des fonds propres leur permettant d’investir, d’embaucher et de se développer sans recours excessif au crédit. Acheter des actions en bourse ne fait que modifier la répartition du capital social entre différents acteurs.
Si les émissions d’actions sont modestes, encourager les particuliers à investir en bourse, directement ou par l’intermédiaire de fonds de placement, revient à provoquer la formation de bulles spéculatives. Et quand une société se met à racheter ses propres actions – opération destinée à faire monter leur cours de bourse en augmentant le bénéfice par action même si le bénéfice total stagne ou régresse – il n’est pas sûr que l’intérêt général y trouve son compte. Ce qu’il faudrait, c’est un capitalisme suffisamment respectueux des actionnaires pour que les dividendes représentent la majeure partie du bénéfice et soient réinvestis dans la société distributrice si et seulement si les dits actionnaires estiment que ses projets de développement sont sérieux.
Quand on se tourne du côté des produits dérivés (contrats à terme, swaps, options de vente ou d’achat, et formules plus sophistiquées combinant différentes opérations de base), le tableau n’est guère plus encourageant. Certes, on comprend qu’une entreprise puisse vouloir sécuriser le prix d’achat ou de vente d’une matière première, ou d’une devise dans laquelle elle achète des fournitures ou vend une partie de sa production : les agents qui offrent de tels services, comptant sur la loi des grands nombres pour que leurs pertes et leurs gains se compensent, hors marge rémunératrice, sont très utiles. Mais la finance dérivée ne se borne pas à éviter des catastrophes, elle affiche de plus en plus un caractère spéculatif : le fait que le bitcoin soit devenu l’un des « sous-jacents » de ces contrats montre si besoin était que l’aspect « Mondiale des jeux » a pris une importance considérable.
Les mêmes instruments peuvent servir à diminuer le risque inhérent au fonctionnement des marchés, ou à transformer la finance en un vaste casino. L’humanité étant ce qu’elle est, on ne saurait espérer éliminer complètement l’aspect casino : comme le dit la fleur du Petit Prince, il faut bien supporter quelques chenilles si l’on veut voir des papillons. Mais dans l’état actuel des choses, il y a beaucoup de chenilles, et elles ne donnent pas naissance à suffisamment de papillons : tel est le drame de notre planète finance. Ceux qui sont censés la contrôler, éviter les pires excès, seraient bien inspirés d’activer – raisonnablement, le mieux étant l’ennemi du bien – la chasse aux chenilles qui ne donnent jamais naissance à des papillons.