Le plus inquiétant dans la grande crise de 2008, ce n’est pas la crise elle-même, mais l’analyse qu’en font les princes qui nous gouvernent, mal conseillés par des économistes qui ont pignon sur rue.
Cette méga-crise est d’abord une crise de la pensée économique dominante. Partout on nous répète qu’il s’agit d’une crise de marchés. On aurait eu la folie de « déréguler » les marchés. On a même entendu des économistes se féliciter du retour de Keynes, ou plutôt de son fantôme, dont on réédite la Théorie générale. En même temps, on a réclamé davantage de coopération internationale, sans se rendre compte que ce deuxième souhait n’était pas forcément compatible avec une soi-disant reprise par les Etats des manettes de l’économie.
La grande crise de 2008 est en fait le résultat d’une défaillance massive du système de régulation financière, et non de la dérégulation.
1) Les fameux crédits aux subprimes sont les fruits d'une intervention étatique qui a enjoint aux banques d'accorder une quote-part de leurs prêts à des catégories de population défavorisées, donc peu, voire pas du tout, solvables. Prime désigne un bon client. Subprime vise un client en dessous du bon client, un client fauché. On a aussi inventé un acronyme pour désigner ces gens-là : NINJA, No Income, No Job, (no) Assets. On force les banquiers à être des philanthropes. De fait, les prêts subprimes résultent d'une loi votée sous Jimmy Carter en 1977 et renforcée par Bill Clinton en 1997. Cette législation interdisait aux banques de discriminer les gens les plus défavorisés dans leurs activités de prêts, et donc leur imposait de faciliter l’attribution de prêts aux ménages pauvres ou appartenant à une minorité ethnique (Blacks, Latinos, Indiens, familles monoparentales, etc.).
2) Le deuxième facteur de la méga-crise se trouve au sein des deux agences de crédit hypothécaire disposant de la signature publique, à savoir les tristement célèbres Fannie Mae et Freddie Mac. Leur existence ne doit rien non plus aux mécanismes de marché. Ces deux organismes étaient des institutions directement “sponsorisées” par le gouvernement fédéral américain, et leur signature était réputée aussi bonne que celle du Trésor. Elles disposaient d’une ligne de crédit garantie par l’État, ce qui leur donnait la possibilité d’emprunter sur le marché à des taux d’intérêt plus faibles qu’une banque ordinaire.
3) Derrière toute cette mécanique, agit la banque centrale américaine, c'est-à-dire le Système de Réserve fédéral, qui, en se posant comme prêteur en dernier ressort du système, permet aux organismes financiers sous son « contrôle » de prendre des risques qu'ils ne devraient pas prendre. De fait, la banque centrale, en tant que « prêteur en dernier ressort », introduit dans l’économie bancaire, et à travers elle, dans l’économie tout entière, ce que dans la littérature anglo-saxonne on appelle un « risque moral ». En résumé, les banques, du fait même de la couverture que leur offre la banque centrale, sont conduites à prendre des risques plus élevés qu’elles ne le feraient si cette couverture n’existait pas et si elles devaient par conséquent accorder des prêts seulement sur la base d’un capital propre suffisant. Des investissements sont financés qui ne mériteraient pas de l’être, et des emplois sont créés qui ne correspondent pas à des besoins réels. Le résultat final, quand la « bulle » explose, ne peut être que faillites en chaîne et chômage de masse.
Ceci est un extrait du livre « Nouvelles leçons d'économie contemporaine » écrit par Philippe Simonnot paru aux Éditions Gallimard. (ISBN-10 : 2072718430, ISBN-13 : 978-2072718434). Prix : 11,20 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Gallimard. © Éditions Gallimard, 1998 et 2017 pour la présente édition.