Henri de La Croix de Castries, PDG d’Axa, a annoncé qu’il quittait l’entreprise en septembre 2016. Rien n’exclut que ce départ soit contemporain d’une débâcle boursière systémique, ce qui ne manquerait pas d’ironie. Cet ancien de la promotion Voltaire laisserait alors à son successeur le soin de gérer le désordre d’un capitalisme à l’agonie auquel Castries a longtemps résisté.
Castries et le capitalisme de connivence
Castries n’a pas toujours fait figure de résistant au capitalisme financier et aux visages qu’il peut prendre en France. Il en constitue même une sorte de parangon pur. Ancien de Saint-Jean-de-Passy et du collège Stanislas, Castries a enchaîné les lieux d’excellence: HEC avec Denis Kesler, qu’il retrouvera quelques années plus tard à la FFSA, puis chez Axa, puis l’ENA avec François Hollande qu’il retrouvera régulièrement.
Ancien inspecteur général des finances, Castries est connu pour la puissance de ses réseaux. Bien implanté dans le monde catholique, il est aussi l’un des Young Leaders (une tradition chez Axa) qui travaillent au rapprochement entre la France et les Etats-Unis, puis un important activiste du groupe de Bilderberg dont il devient président en 2011. Cette omniprésence dans les milieux d’influence caractérise la pratique française du capitalisme, obsédée par l’affectio societatis et par le soutien des puissants.
Cette pratique héritée de son prédécesseur Claude Bébéar (sans laquelle l’absorption de l’UAP par Axa n’aurait probablement pas eu lieu) a globalement porté chance à Castries. Claude Tendil, qui dirigeait Axa France, et Denis Kesler, qui occupait des fonctions internationales dans le groupe s’en souviennent: c’est Castries, alors directeur financier du groupe leur fut préféré par Claude Bébéar au moment de sa succession. Les mauvaises langues avaient ironisé à l’époque sur l’effet réseau qui avait permis à Castries de réaliser ce coup de maître qui a façonné le visage de l’assurance en France. C’est à partir de cette succession contestée que Tendil rejoignit Generali et que Kesler commença son glissement vers la Scor.
Cette centralité de Castries dans les noyaux durs français lui apporte quelques privilèges. Certains se souviennent par exemple de l’avoir vu admonester sans ménagement un Manuel Valls épuisé, au début de son mandat à Matignon. C’est l’intérêt d’appartenir à la promotion du président de la République et d’être l’un des financiers les plus influents du monde. Un Premier Ministre français, c’est fait pour obéir.
Castries et le capitalisme global
A la tête d’Axa, Castries s’est consacré à une grande oeuvre: la globalisation de son entreprise, par laquelle Axa est devenue, en quelques années, un géant mondial dont l’épicentre est facialement resté en France, mais dont les sources de profit se sont diversifiées. Le président du groupe de Bilderberg a volontiers pris le tic de se référer en permanence à la sphère globale, et a multiplié les prises de participation à l’étranger, notamment en Chine.
L’évolution personnelle de Castries sur le sujet en dit long sur la dégradation du capitalisme ces dernières années. Castries ne fut en effet pas le dernier a développé deux idées majeures dans le secteur de l’assurance: d’une part, il fut l’un des pionniers de « l’industrie financière » dont l’assurance serait l’une des branches (et la banque l’autre). D’autre part, il marqua d’emblée son attachement et son soutien aux normes Solvabilité 2, en espérant qu’elles vitrifieraient le marché en écartant tous les petits acteurs.
La survenue de la crise de 2008 a beaucoup modifié la donne. L’idée d’une industrie financière puissante s’est effondrée. Axa a-t-il vu le gouffre s’ouvrir sous ses pieds à cette époque? Certains l’ont prétendu, même si le groupe s’en est toujours défendu. En tout cas, 2008 fut un tournant dans la stratégie du groupe qui remit alors l’accent sur le métier d’assureur plutôt que sur celui de financier. Dans la foulée, les négociations sur Solvabilité 2 ont montré à Axa que la norme multilatérale pouvait aussi constituer un danger pour les géants du secteur, dès lors qu’ils étaient mal appuyés par des élites politiques éloignées des dossiers techniques.
Castries et le dividende
Une énigme restera entière: pourquoi Castries a-t-il tant peiné à remonter le cours de l’action, et pourquoi a-t-il distribué aussi peu de dividendes? Lorsqu’il devient président du directoire, en mai 2000, l’action AXA est à 41 euros. Deux ans plus tard, elle est à moins de 10 euros. Depuis son arrivée à la tête du groupe, Castries n’est jamais parvenu à dépasser un cours de 34 euros dans ses meilleurs jours, avec un pivot à 20 euros péniblement franchi à deux reprises. L’action a même frôlé le pire en 2009.
De ce point de vue, Castries peut se vanter d’avoir été un patron très peu capitaliste. Derrière les postures favorables à l’industrie financière, Castries a très peu défendu son titre et ses actionnaires, et a plutôt misé sur le développement à long terme de l’entreprise. Entre les prises de participation à l’étranger et l’éloge de la révolution numérique, Castries a finalement porté une vision d’avenir, même si celle-ci a évolué en profondeur entre le moment où il a pris la tête de l’entreprise et celui où il la quitte.
Là encore, l’ironie de l’histoire veut que Castries quitte le groupe l’année où le CAC 40 augmente fortement les dividendes qu’il sert à ses actionnaires, alors que les bénéfices ont fortement baissé. Les marxistes y verront un triomphe de la théorie des rendements décroissants. Les néo-classiques s’interrogeront sur l’avenir d’un système économique qui consacre de moins en moins d’argent à l’investissement, et de plus en plus à l’enrichissement de ses rentiers.
Castries ne faisait pas partie de ceux-là. Une époque s’en va.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog