Sans pétrole bon marché, pas de croissance

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Par Maarten Van Mourik et Oskar Slingerland Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

Nous avons décrit la manière dont la réserve de capacité de production du marché pétrolier s'est réduite au fil du temps, entraînant une hausse de plus en plus importante du prix du pétrole. À son tour, l'augmentation du baril déclencha celle des matières premières agricoles comme le blé et le maïs.

De fait, le coût de production des denrées de base suit presque directement le prix du pétrole comme celui du coût de fonctionnement des machines et équipements agricoles. Il est ainsi inévitable que l'augmentation du prix du pétrole exerce un effet boule de neige sur l'économie et entraîne un taux d'inflation bien plus élevé que l'augmentation moyenne des revenus. Aux États-Unis, où la dépendance à l'énergie est très forte, cette inflation engendre ensuite des problèmes de trésorerie pour les ménages qui voient tout à coup leurs dépenses croître alors que leurs revenus restent fixes. ils sont contraints de faire des économies sur les trajets du 4 × 4 pour aller travailler, sur l'achat de nourriture ou le paiement du crédit immobilier. L'expérience montre que c'est souvent le crédit immobilier qui est sacrifié, d'abord différé, puis abandonné.

Quelle corrélation existe-t-il entre le prix du pétrole et la croissance économique ?

La croissance économique est mesurée par l'évolution du Produit intérieur brut (PIB) d'un pays, c'est-à-dire la valeur monétaire de tous les biens et services produits au cours d'une année donnée. Mais elle s'explique surtout par l'énergie, car la croissance économique a par-dessus tout besoin d'énergie. Tout ce qui croît a besoin d'énergie. Un arbre ne peut pas croître sans l'énergie du soleil et des minéraux qu'il puise dans la terre. De même, l'économie ne peut croître sans que croisse aussi la quantité de pétrole utilisée : c'est aussi simple que cela.

Examinons brièvement les facteurs de la croissance précédemment évoqués. Une augmentation de la population active fera croître l'économie tant qu'un nombre suffisant de nouvelles personnes entrent chaque année sur le marché du travail. Lorsque la population active cesse d'augmenter du fait du vieillissement démographique et que les individus cessent d'être productifs, seuls le stock de capital et les ressources énergétiques soutiennent alors la croissance économique. Tant que l'énergie est disponible en abondance, il est facile de résoudre le problème en y consacrant suffisamment d'argent et en investissant dans des équipements qui améliorent la productivité du travail et celle de l'énergie. Le gouvernement peut même décider de consacrer des fonds à stimuler la consommation, ce que l'on appelle l'investissement social. Mais lorsque l'énergie devient rare, la seule façon de faire croître l'économie est d'investir dans des équipements économes en énergie. Il faut alors que l'amélioration de l'efficience ainsi obtenue compense la diminution de la productivité du travail et l'augmentation du coût de l'énergie. C'est une solution de très longue haleine qui mettra longtemps avant de produire des effets. Mais nous n'avons plus le temps.

Quant à la solution qui consiste à stimuler la consommation par injection de monnaie dans l'économie, elle est potentiellement néfaste dans la mesure où, plutôt que de favoriser la croissance, elle tend seulement à gaspiller les ressources plus vite et à engendrer de l'inflation.

Chaque point de pourcentage supplémentaire de croissance équivaut à peu près à un demi-point de pourcentage de croissance de la consommation d'énergie. Cependant, la part de croissance économique que l'on peut attendre d'une augmentation de la quantité d'énergie, varie en fonction du coût de cette dernière. Un enfant peut comprendre que si le pétrole coûte plus cher, un dollar ou un euro permettra de parcourir moins de kilomètres et de la même façon, un dollar de carburant permettra d'obtenir moins de production. La croissance économique diminuera inévitablement.

Mais comment quantifier cela ? Commençons par examiner la corrélation sur une longue période, entre le prix du pétrole et la croissance économique, à partir de chiffres de l'OCDE.

L'image de long terme est absolument claire (voir le graphique 1). Cela permet de dire avec certitude que le pétrole à bas prix a été le carburant de la croissance économique.

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Au cours des cinq dernières décennies, la croissance économique moyenne mondiale a été en grande partie le reflet de la croissance économique des pays occidentaux, en raison de leur poids économique dominant. Cependant, cette situation change lentement. Ces dernières années, l'extrême Orient a connu une croissance économique très forte, augmentant la part de ces pays dans la production mondiale. Mais quelles sont les conséquences de ces modifications dans la répartition de la croissance mondiale ?

Puisque la production de pétrole est dorénavant proche de son maximum, le prix de l'énergie limite désormais nos possibilités de croissance. De plus, nous devons partager cette croissance limitée avec les pays émergents. Nous sommes déjà engagés dans une compétition mortelle avec eux dans le domaine du pétrole : entre 2000 et 2005, nous avons assisté à l'émergence des compagnies pétrolières indiennes et chinoises, dans l'exploration et la production. Ces nouvelles entreprises ont non seulement soufflé aux compagnies occidentales des concessions pour l'exploitation de nouveaux gisements, notamment en Afrique de l'Ouest, mais elles ont également commencé à racheter des compagnies pétrolières indépendantes possédant des droits d'exploitation prometteurs.

Dans les premiers temps, les compagnies occidentales ne comprenaient pas pourquoi ces nouvelles entreprises offraient des prix aussi élevés pour obtenir les concessions de droits d'exploration au Nigéria. Le prix du pétrole n'était qu'à 30-40 dollars le baril et il semblait que les Chinois payaient un prix excessif. Mais à mesure que les années passaient, les compagnies occidentales constatèrent qu'elles s'étaient trompées tandis que les actifs achetés par les entreprises chinoises leur procurent aujourd'hui des bénéfices confortables et une certaine indépendance. La tendance s'est poursuivie, les Indiens se joignant aux Chinois pour s'assurer des substantielles et lucratives réserves pétrolières.

Il est peu probable qu'il s'agisse d'un coup de poker. N'oublions pas que la Chine est l'un des derniers pays au monde qui pratique la planification à long terme, une tradition qui remonte à la période communiste. Face à un occident qui n'a pas su prévoir ni prendre conscience de l'importance de l'énergie, les Chinois ont su faire ce qu'il fallait pour se prémunir.

Il semble maintenant que l'avantage compétitif acquis par l'Orient sur l'Occident en accaparant la croissance récente va lui permettre de nous distancer. Cela signifie que l'Occident va souffrir deux fois : d'abord à cause d'une croissance faible et ensuite parce que l'essentiel de la croissance restante sera générée ailleurs.

Nous avons vu qu'il existait une corrélation à long terme entre le prix du pétrole et la croissance du PIB (voir le graphique 1), mais y a-t-il aussi une corrélation à court terme ? Si l'on compare les chiffres trimestriels de la croissance du PIB de la zone euro et les prix trimestriels correspondant du prix du baril de Brent, il semble qu'il n'y ait pas, a priori, de corrélation entre les deux. Cela paraît logique dans la mesure où les événements économiques ne se produisent pas tous simultanément. Dans le secteur de la construction, par exemple, un immeuble n'est construit et la dernière facture payée qu'un an ou deux au mieux après que les plans initiaux ont été élaborés — et c'est la même chose pour beaucoup de secteurs utilisant du capital pour fonctionner, comme les infrastructures portuaires, autoroutières, ponts, chemin de fer. Il semble donc raisonnable de considérer que l'impact de l'augmentation du prix du pétrole ne se fait sentir qu'après un certain temps. De ce fait, si l'on compare le prix du pétrole à la croissance économique avec un décalage d'un an, on obtient alors un résultat tout à fait significatif : plus le prix du pétrole augmente et plus la croissance économique est faible. Le prix du pétrole augmente et un an plus tard l'économie donne des signes d'essoufflement, le prix du pétrole diminue alors et l'économie se revigore, avec le même délai d'un an (voir le graphique 2).

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Aux vues de ce qui précède, la crise des subprimes a donc joué un rôle mais en définitive, l'élément déclencheur ainsi que les raisons de la durée anormale de cette crise sont clairement dus au pétrole.

L'étude attentive du graphique (graphique 2, ci-dessus) révèle encore une information supplémentaire : tant que le prix du pétrole est sous les 90 dollars, la croissance économique est positive. En revanche, quand le prix du pétrole dépasse cette limite approximative, la croissance s'affaiblit et s'arrête. Il est intéressant de noter qu'en 2004, l'AIE avait involontairement prévu ce phénomène. Dans son rapport « L'impact des prix de pétrole élevés sur l'économie mondiale », il est écrit : « ... Une augmentation soutenue de 10 dollars par baril de pétrole, de 25 dollars à 35 dollars, se traduirait par une perte de 0,4 % du PIB pour l'ensemble des pays de l'OCDE au cours de la première et de la seconde année de cette augmentation. »

L'essentiel de ce rapport se fondait sur l'hypothèse d'un prix du pétrole qui demeurerait bas. Cette prévision s'avéra totalement fausse, mais leur analyse de la sensibilité de la croissance au prix du pétrole était en revanche particulièrement pertinente. Durant l'année 2004, le prix moyen du pétrole Brent fut de 38,3 dollars par baril, tandis que le taux de croissance de la zone euro tournait autour de 2,5 %. si nous appliquons à ces chiffres la formule proposée par l'AIE — c'est-à-dire 0,4 % de croissance en moins pour 10 dollars supplémentaires par baril — alors, au prix moyen de 98,3 dollars par baril se traduit un taux de croissance du PIB égal à 0,1 %, soit pratiquement zéro. (Une augmentation du prix moyen par baril de 38,3 dollars à 98,3 dollars correspond à une augmentation de 6 × 10 dollars = 60 dollars. À raison de 0,4 % pour 10 dollars, cela fait une perte de croissance égale à 6 × 0,4 % = 2,4 %. Donc, selon la formule de l'AIE, pour un prix du baril initial égal à 38,3 dollars et un taux de croissance de 2,5 %, une augmentation du prix du baril de 60 dollars se traduirait par un taux de croissance égal à 2,5 % — 2,4 % = 0,1 %.)

La vraie formule est bien plus compliquée que cela, mais pourtant celle de l'AIE semble se vérifier non seulement pour des prix du pétrole oscillant dans l'intervalle 25-35 dollars, mais également au-delà, au moins jusqu'à 100 dollars. Rappelons à ce sujet que la loi du mouvement de Sir Isaac Newton reste largement utilisée et considérée comme suffisamment précise pour de nombreuses applications alors même qu'il a été démontré qu'elle était fausse.

Pour l'instant, en l'absence d'une formule plus précise, nous pensons que la formule de l'AIE peut et doit être utilisée comme une approximation utile. En l'appliquant, il apparaît qu'au prix actuel du pétrole, supérieur à 100 dollars, il n'y a pas l'ombre d'une chance qu'une croissance durable se manifeste dans la zone euro.

"La crise incomprise" d'Oskar Slingerland et Maarten van Mourik
Éditions du Toucan
176 pages
14,90 euros

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Dirigeant de compagnie pétrolière, Oskar Slingerland travaille depuis vingt-cinq ans sur des projets couvrant tous les domaines de l’activité (exploration, production, raffinage). Maarten Van Mourik est économiste et analyste, spécialiste du marché pétrolier. Selon Maarten Van Mourik et Oskar Slingerland, spécialistes hollandais des marchés pétroliers, cette logique repose sur un diagnostic erroné : ils démontrent dans ce livre que la crise n’est pas financière mais bel et bien énergétique. Dès 2006, devant de nombreux spécialistes réunis à Paris, ils furent les seuls à anticiper l’envolée du prix du pétrole et à prévoir le choc économique de 2009. Ils pronostiquent désormais, chiffres à l’appui, un prix du baril à un niveau bientôt insoutenable.Une telle contrainte doit pousser à un changement radical de modèle de production. Or, aucune des politiques engagées à ce jour dans le monde occidental et surtout pas en France, ne prend cette direction. Si rien ne change, nos économies se dirigent donc, d’un pas sûr, vers un effondrement majeur. Ils publient en 2014 aux éditions Toucan "La Crise incomprise, quand le diagnostic est faux, les politiques sont néfastes".

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