Passons d’un (petit) Plan Cancer à un (grand) Plan Pathologies chroniques!

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Par Frédéric Bizard Modifié le 11 février 2014 à 5h49

Douze ans après que le Président Jacques Chirac ait annoncé en 2012 faire de la lutte contre le cancer l’une des trois priorités de son second mandat, François Hollande vient de lancer le 4 février dernier le troisième plan cancer. La première phrase de son discours sonne comme une mise en garde à tous ceux qui oseraient porter la critique sur une telle initiative. «La lutte contre le cancer est l’une des grandes causes qui fédère, qui rassemble au-delà des sensibilités, des clivages, des alternances. Et comment pourrait-il en être autrement ?». Aucune critique n’est d’ailleurs apparue dans les médias suite à la présentation du Plan. Comment pourrait-il en être autrement? Pourtant, ce plan cancer développe à minima des mesures qui n’ont rien de spécifiques au cancer.

Le grand objectif du Plan est de réduire les inégalités face à la maladie cancéreuse. En effet, la catégorie sociale est un facteur réellement discriminant face au cancer, les ouvriers ont 2,5 fois plus de chance de mourir d’un cancer entre 30 et 65 ans que les professions libérales. On meurt deux fois plus du cancer dans le Nord que dans le Sud de la France. Ceci est vrai mais malheureusement c’est le cas pour la plupart des pathologies dominantes. La différence d’espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier s’est creusée ces trente dernières années pour atteindre 6,3 ans aujourd’hui et même 8 ans si on considère l’espérance de vie sans incapacité. Ces inégalités sont largement dues à une causalité sociale qui est extérieure au système de soins. Le Plan Cancer 3 néglige ce travail indispensable en amont du système de soins.

Le Plan comprend 4 grands axes d’actions : guérir plus de malades, préserver la continuité et la qualité de la vie, investir dans la prévention et dans la recherche, optimiser le pilotage et les organisations. Ces axes, comme la plupart des mesures, sont transposables aux autres grandes pathologies qui affectent la santé de millions de Français. Malgré les effets d’annonce et le puissant relais médiatique du Plan, force est de constater que les moyens ne sont pas au rendez-vous de la lutte annoncée. Le budget de 1,5 milliard d’euros sur les 5 ans du plan laisse songeur sur le montant des investissements réels, aucun détail de financement ni de répartition des sommes n’étant donné.

Instaurer des plans de santé publique par pathologie renforce le cloisonnement d’un système déjà structurellement très segmenté entre la ville, l’hôpital et le médico-social. Si on veut être efficace pour diminuer le nombre de cas de cancer, il faut agir sur les comportements individuels des Français, comme pour les autres pathologies chroniques. Si on veut dépister plus précocement les cancers, il faut créer un réflexe dépistage chez les Français, comme pour les autres pathologies. Si on veut mieux soigner les cancers, il est nécessaire d’optimiser la qualité et la sécurité des soins en labélisant les centres capables de bien traiter ce type de pathologie, en assurant une coordination efficace des parcours et en développant la recherche, comme pour les autres pathologies chroniques. Si on veut améliorer la qualité de vie des patients cancéreux, il faut lutter contre toutes les discriminations sociales liées à la maladie, comme pour les autres pathologies.

Ce plan cancer est, comme bien souvent en politique de santé en France, un non choix face aux exigences de transformation de notre système de santé. Limiter un tel Plan au cancer aura un faible impact sur l’état sanitaire de la population et ne règlera rien aux dysfonctionnements de notre système de santé. Si on veut mener efficacement la lutte contre le cancer et sauver des milliers de vie supplémentaires dans les années à venir, il est urgent de s’attaquer au chantier de sa refondation !

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FRÉDÉRIC BIZARD est Économiste de la santé et Maître de conférences à Sciences Po Paris, il travaille depuis plus de quinze ans dans le secteur de la santé aux États-Unis et en Europe et en est aujourd'hui un expert reconnu. Il dirige une société de conseil spécialisée dans la santé. Il est l'auteur d'un livre intitulé Une ordonnance pour la France : 10 pistes de réforme pour une santé plus juste, plus efficace et plus économe (Éditions Thierry Souccar, 2012).

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