La réduction des produits dérivés… Enfin ! Mais insuffisant !

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Par Charles Sannat Modifié le 13 avril 2015 à 11h15
Produits Derives Banque Accord Limitation Catastrophe
@shutter - © Economie Matin
720000 MILLIARDS $Il y a en circulation 720 000 milliards de dollars de produits dérivés.

Lorsque l’on parle de risque systémique, de crise, les produits dérivés ne sont jamais loin. Depuis la grande crise dite des « subprimes », plus de 7 années se sont écoulées et nous arrivons en fin de cycle de « reprise » et « d’expansion économique »… Oui, je sais, vous vous demandez où est passée la reprise. Vous vous demandez quelle croissance avons-nous eu pendant 7 ans. Eh bien nous n’avons pas vu grand-chose si ce n’est des injections massives de liquidités, de l’impression de monnaie, des plans de relance, l’augmentation presque exponentielle de la dette des États.

Au bout de 7 ans, chaque nouveau mois nous rapproche de plus en plus d’une nouvelle crise inévitable pour la simple et bonne raison que l’économie est cyclique.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, que se passerait-il en cas de crise financière importante et d’activation des produits dérivés qui ont joué un rôle déterminant pendant la précédente crise des subprimes ?

C’est ce que nous allons essayer de voir aujourd’hui.

Dis papa, c’est quoi un produit dérivé ?

Un produit consiste en un contrat entre deux parties, un acheteur et un vendeur, qui fixe des flux financiers futurs fondés sur ceux d’un actif sous-jacent, réel ou théorique…

Oui, je sais, dit comme ça chaque mot pris individuellement est compréhensible mais l’ensemble est comme qui dirait un peu « opaque »… C’est normal.

Prenons un exemple, car en fait, un produit dérivé c’est très simple et vieux comme le commerce.

Imaginons un cultivateur de blé et un fabricant de pain (c’était déjà valable à l’époque des moulins à vent et des meuniers tu dors).

Le paysan, pour qui « ça eu payé mais ça paye plus », aimerait bien avoir un acheteur pour son blé à un prix qui lui permettrait d’avoir la certitude de gagner sa vie. Or, il y a une incertitude. En effet, si la récolte est très abondante, les cours vont s’effondrer et le paysan pourrait ne rien gagner. Il est inquiet. Heureusement, en face, un grand fabricant de pain de mie a lui aussi besoin de pouvoir connaître le prix de son blé à l’avance, car il faut qu’il fasse son catalogue et qu’il soit en mesure de garantir un prix à la grande distribution par exemple. Pour lui aussi il y a une incertitude.

En se mettant d’accord aujourd’hui sur le prix du blé qui n’a pas encore été semé et qui n’existe pas au moment où j’écris ces lignes, le paysan et le fabricant de pain vont conclure un contrat de gré à gré (appelé dans le jargon incompréhensible des grands financiers internationaux « contrat OTC ») qui va garantir aux deux parties un prix leur permettant de travailler sereinement.

Vous avez sous les yeux ce que l’on appelle un produit dérivé. Plus précisément, dans la grande famille des produits dérivés, vous venez de conclure un « contrat à terme »… C’est très courant, et c’est économiquement fondamental car cela agit comme une « assurance ». Les produits dérivés permettent aux entreprises de tourner. Il ne faut pas croire que l’on puisse se passer des produits dérivés. Néanmoins, comme nous allons le voir, le problème qui se pose depuis quelques années c’est l’augmentation totalement hors de contrôle de ces engagements qui sont hors bilan pour les banques, qui cachent de plus en plus des opérations de spéculation économiquement inutiles et moralement parfaitement condamnables en faisant courir des risques faramineux à l’ensemble du système économique mondial.

Quelques chiffres sur le marché des produits dérivés

Le marché des produits dérivés est le fils direct de la dérégulation financière et bancaire des années 90 qui a été permise par l’effondrement du bloc soviétique et du communisme. Nous étions à l’époque de l’immense victoire du capitalisme triomphant ! Il fallait déréguler, il fallait encore plus de libéralisme puisque c’était le libéralisme qui avait vaincu le communisme.

Le marché des produits dérivés explose donc à partir des années 1990 où il est presque inexistant.
En 2006, les contrats en cours représentaient 370 000 milliards de dollars. Malgré la crise, à la fin 2013, le marché total des produits dérivés représentait 711 000 milliards de dollars, soit plus de 10 fois le PIB total de la planète qui s’élève à environ 70 000 milliards de dollars. Au plus haut, lors du premier semestre 2014, nous sommes montés, selon les chiffres de la BRI elle-même, à 720 000 milliards de dollars de produits dérivés. Autant dire que nous dansons sur un volcan !

Source Wikipédia ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Produit_d%C3%A9riv%C3%A9_financier

Pour la première fois, des montants en baisse et c’est une bonne nouvelle !

Je ne fais pas partie des économistes béatement optimistes croyant aux contes de fées de la croissance magique qui revient, néanmoins il faut objectivement constater, et c’est une excellente nouvelle, que les risques que font peser les produits dérivés sur la planète financière à défaut d’avoir disparu sont orientés à la baisse pour la première fois depuis la crise des subprimes et la chute de la banque Lehman Brothers. Eh oui, c’est une bonne nouvelle bien que cela ne soit en aucun cas suffisant pour nous permettre de dormir sur nos deux oreilles.

Voici ce que j’écrivais dans l’édito du Contrarien Matin du 13 octobre 2014.

« Enfin un premier pas pour maîtriser les produits dérivés… !

L’actualité est particulièrement riche ces derniers temps. J’ai décidé de m’arrêter aujourd’hui sur cette dernière information en provenance de l’ISDA qui est l’association professionnelle gérant l’ensemble des produits dérivés autour de la planète.

Le montant des produits dérivés donné par la seule source officielle à savoir la BRI (la banque des règlement internationaux) fait état de plus de 720 000 milliards de dollars de produits dérivés (en montant notionnel certains s’annulant mais il est impossible d’avoir le chiffre de produits dérivés nets existants à travers la planète).

Oui, 720 000 milliards de dollars, certaines banques comme la Deutsche Bank dépassent à elles seules les 50 000 milliards de dollars d’exposition alors que le PIB de l’Allemagne est de largement moins de 4 000 milliards d’euros…

C’est vous dire à quel point, que l’on parle de « bonne » ou de « mauvaise » finance, on peut considérer que le qualificatif le plus adapté serait de parler de finance devenue totalement « folle ». Vous imaginez donc facilement que si une grande banque venait à connaître des difficultés, c’est l’ensemble de la planète et du système financier qui s’effondrerait.

Il devenait donc urgent de faire quelque chose surtout que le moment choisi pour le faire n’est pas anodin. Loin de là. Face au danger, les banques enfin se mettent d’accord pour tenter de se sauver elles-mêmes. Alors que nous sommes face à une crise des dettes souveraines sans précédent en « temps de paix », qu’un krach boursier nous menace, que les bulles immobilières partout dans le monde peuvent éclater à tout moment, que la possibilité d’un effondrement obligataire est tout à fait envisageable et que l’explosion de l’euro, loin d’être un fantasme, est un risque qui va revenir sur le devant de la scène, les difficultés qui nous attendent sont innombrables.

Accord bancaire pour sécuriser la finance

C’est dans ce contexte que cet article du Figaro nous a appris que « sous la pression des régulateurs, les grandes banques du globe se sont mises d’accord samedi pour sécuriser le système financier mondial en acceptant de renoncer à des droits dans des transactions de gré à gré. Dix-huit établissements américains, européens et asiatiques, parmi les plus importants de la planète, vont modifier les règles de fonctionnement du marché de quelque 700 000 milliards de dollars de produits dérivés afin d’éviter que la faillite de l’une d’entre elles ne provoque l’effondrement du système financier mondial, a indiqué dans un communiqué l’ISDA. L’Association internationale des swaps et dérivés (ISDA) est l’organisme représentant le secteur. C’est elle qui mène les négociations avec les autorités de régulation ».

Lors de la faillite de Lehman Brothers, qui était un important intervenant sur le marché des produits dérivés, en septembre 2008 les contrats dérivés avaient été massivement débouclés provoquant ainsi une panique et le chaos sur les marchés financiers.

C’est par ce phénomène de débouclage automatique des positions en produits dérivés de la Lehman Brothers que la crise s’est étendue à l’ensemble de la planète. Cela a été le facteur clef de contamination généralisée. « Fait inédit, les grandes banques ont accepté d’abandonner le principe du débouclage automatique (« close out ») des contrats si une institution financière se trouve en difficulté, a indiqué dans un communiqué l’ISDA et cet accord entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2015. »

Quel est désormais l’intérêt des produits dérivés ?

Pour faire simple, un produit dérivé est un pari, ou une assurance sur un risque. Je m’assure du risque de faillite de la France par exemple. Le jour où la France fait faillite, toutes les banques qui ont vendu cette assurance doivent passer à la caisse et payer le client. C’est ce que l’on appelle le « débouclage automatique », où le paiement a lieu dès que le risque pour lequel on a pris un produit dérivé s’est matérialisé.

Revenir (de façon pertinente au demeurant) sur cette idée de débouclage automatique c’est en réalité supprimer l’exécution du contrat d’assurance acheté.

En clair, y a-t-il encore un intérêt à acheter un produit dérivé et les banques ne sont-elles pas sous nos yeux tout simplement en train de mettre en place une réduction drastique des produits dérivés ?

Je pense que c’est le cas et que les chiffres de la BRI en 2015 devraient montrer pour la première fois une diminution de ces montants astronomiques. Pour notre information à tous, « les banques auxquelles va s’appliquer cet accord sont : Bank of America, Bank of Tokyo-Mitsubishi, Barclays, BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Suisse, Citigroup, Deutsche Bank, Goldman Sachs, JPMorgan Chase, HSBC, Mizuho Financial Group, Morgan Stanley, Nomura, Royal Bank of Scotland (RBS), Société Générale, UBS, Sumitomo Mitsui et UFJ ». Il y en aura sans doute d’autres dans les prochains mois qui se joindront à la liste. Cette décision historique est à la fois une excellente nouvelle et une nouvelle inquiétante. Excellente car pour la première fois depuis 2007 et que le système financier a enfanté ce monstre que sont les produits dérivés, nous voyons enfin poindre une législation restrictive. Inquiétante, car si les banques acceptent cela presque sans broncher, si elles acceptent de s’asseoir sur les milliards de profits que génère cette activité, c’est que nous dansons vraiment sur un volcan. »

Source Le Contrarien ici : https://www.lecontrarien.com/wp-content/uploads/2014/10/LCM-13102014.pdf

Source Le Figaro ici : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2014/10/12/97002-20141012FILWWW00031-accord-bancaire-pour-securiser-la-finance.php

Les derniers chiffres publiés par la BIS/BRI les produits dérivés sont en nette baisse pour la première fois !!

Comme prévu en fin d’année dernière et suite à l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles techniques sur les produits dérivés ces derniers sont clairement orientés à la baisse pour la première fois depuis 2007 de façon structurelle et s’établissent selon le dernier pointage de la BRI à 691 000 milliards de dollars. Le prochain pointage aura lieu aux environs du 15 mai 2015.

Source BIS/BRI ici: https://www.bis.org/publ/otc_hy1411.htm&m=6%7C32%7C71

Alors certes c’est en baisse mais c’est nettement insuffisant !

Il faut bien comprendre que mal utilisés, et c’est le cas, les produits dérivés permettent à tous y compris les particuliers de spéculer sur des marchés sur lesquels ils n’ont pas forcément grand-chose à faire. Prenons deux exemples. Vous êtes à titre particulier détenteur d’un PEA. Vous détenez des actions françaises du CAC 40. Vous avez peur que le marché baisse (vu comme il est haut). Vous pouvez donc couvrir votre PEA en achetant un tracker appelé BX4 éligible au PEA et qui va reproduire 2 fois la performance inverse du CAC 40. En clair, si le CAC baisse de 10 %, votre BX4 va vous rapporter 18 % et venir compenser votre perte… Vous vous êtes couvert et vous avez acheté une assurance pour votre PEA. Pourquoi pas, évidemment.

Cependant, d’autres produits dérivés peuvent vous permettre de spéculer sur le blé par exemple : cela fait augmenter la volatilité et cela va peser sur les cours.

L’une des solutions pour mettre fin aux errements de cette finance hors de contrôle et de cette spéculation exacerbée serait par exemple la mise en place d’un système de licences qui autoriserait une entreprise en fonction de son activité à agir sur un marché de produits dérivés. Si vous êtes un paysan, vous pourriez vendre à terme votre production de blé. Si vous êtes un fabricant de pain, vous pourriez acheter à terme votre farine. Mais pas si vous êtes une banque… qui n’a pas besoin de farine pour travailler !

Hélas, nous n’en sommes pas là et les autorités aussi bien économiques, monétaires que politiques laissent les banques elles-mêmes tenter de mettre de l’ordre. C’est un peu comme si nous demandions au renard de surveiller le poulailler.

Dans un monde globalisé, mondialisé et dérégulé, il est très difficile de réintroduire des limitations efficaces et acceptables par tous. Résultat… vous entendrez parler encore longtemps des risques que font peser les produits dérivés sur la planète. En particulier lors de la prochaine, et elle approche ! Ne vous y trompez pas, certes cela baisse, mais il reste encore 691 000 milliards de dollars et c’est, comme le nombre de têtes nucléaires, pourtant en forte baisse et depuis des années… Et c’est largement suffisant pour faire sauter 10 fois toute la planète !

Il est déjà trop tard, préparez-vous.

Au coffre Le Contrarien Charles Sannat

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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