La France n'a pas connu de budget à l'équilibre depuis 1978. Voici 36 ans que le déficit est la norme. Presqu'un Français sur deux n'a jamais connu un budget positif. Tandis que l'Allemagne va vers un équilibre de son budget depuis 2012 et prévoit même un excédent budgétaire de 200 millions d'euros pour 2015, la France continue à enfreindre les règles du pacte européen de stabilité et de croissance avec un déficit public supérieur à 3% du PIB. Ce déficit avoisine 4,8% du PIB, soit un tiers des recettes de l'Etat. Il est difficile d'imaginer une entreprise qui pourrait perdurer dans une telle situation
L'Etat français, pourtant, poursuit son bonhomme de chemin sans dévier. En fait de stratégie pour s'affranchir du déficit chronique, il ne démord pas du présupposé que le retour de la croissance permettra de résorber le problème. On anticipe que l'augmentation attendue des recettes de l'Etat en période de croissance sera supérieure à celle du PIB, ce qui permettra à la France de revenir à un niveau de dette « acceptable ». En attendant Godot, on pratique une politique de rigueur destinée à maîtriser les dépenses à la marge... et on continue à emprûnter ; les dettes souveraines de la France augmentent de plus de 4% par an, et frisent 90% du PIB.
Nul besoin d'un doctorat en macro-économie avancée pour comprendre que la situation est intenable.
En premier lieu, contraindre les dépenses n'est pas une solution satisfaisante dans un système où leur augmentation est automatisée.
D'une part, les salaires des fonctionnaires augmentent mécaniquement de 1% l'an en-dehors de toute hausse du point de base.
D'autre part, on fait face à des phénomènes d'accélération comme le départ à la retraite des baby-boomers fonctionnaires. Or les partants continuent à être remunérés sur le Budget (leurs retraites n'ont pas été provisionnées) ET doivent être remplacés. Il ne manquerait plus que l'on souhaite leur mort !!!
Enfin, le principal poste des dépenses publiques est, depuis 2010, le service de la dette alors même que les taux d'intérêt sont au plus bas.
En réalité, si nos dirigeants entendent sérieusement maîtriser les dépenses, alors ils doivent commencer par admettre haut et fort que l'Etat ne peut pas tout faire, en tout cas pas pour encore bien longtemps. Mais ils préfèrent agir dans les coulisses, comme en atteste par exemple la nouvelle mesure qui étend à six mois le délai d'attente du premier versement des indemnités de chômage des cadres. Quand on considère que plus de 95% des cadres retrouvent du travail dans une période de six mois, on comprend qu'il s'agit purement et simplement de faire des économies en les privant de leur allocation chômage.
Sortir du paradigme
En second lieu, si on attend le salut d'un retour de la croissance, alors il convient d'appuyer cette croissance. Or la méthode traditionnellement choisie consiste à justifier l'augmentation des dépenses de l'Etat en évoquant l'effet multiplicateur — une vaste illusion dans la mesure ou cet argent très centralisé n'a pas son fameux impact escompté.
Bref, il est temps de sortir du paradigme dans lequel nous sommes enfermés. Ce paradigme est celui d'un Etat paternaliste campé sur ses fonctions régaliennes. Convaincu de sa supériorité morale sur le citoyen, il entend oeuvrer au bonheur de ce dernier au lieu d'être un instrument à son service. Résultat, la France est un pays qui court avec les bras attachés dans le dos.
Les exemples abondent. Avec un budget mirifique de 100 milliards d'euros (trois fois plus que la Défense), l'Education Nationale dépasse depuis longtemps sa mission et pousse un maximum d'individus vers un bac dévalué. Aujourd'hui, la moitié des étudiants de certaines branches universitaires (psychologie, droit, économie...) se retrouvent sans diplôme au bout de trois ans d'études. Quels sont les bénéfices de ces années perdues pour les étudiants laissés en échec et pour les contribuables ?
Dans le même ordre idée, le développement des transports est ligoté dans la mesure où l'Etat favorise certains modèles par-rapport à d'autres. Pour créer une ligne de bus entre deux villes, par exemple, il faut demander l'autorisation de la SNCF. Dans le bâtiment, pourquoi l'Etat décide-t-il ce qu'il est convenable ou non de construire ? Dans la région parisienne, la conséquence est l'insuffisance des logements et l'augmentation du mal-être causée par des conditions de vie indécentes ou des transports quotidiens trop longs.
Enfin, comble du comble, le marché de l'emploi est verrouillé. Pourquoi, par exemple, l'Etat décide-t-il de la durée hebdomadaire du travail, y compris la durée hebdomadaire minimum ?
L'Etat au service du citoyen
Il est devenu urgent de réévaluer la mission de l'Etat pour remettre l'Etat au service du citoyen. Que signifie « être au service du citoyen ? » A défaut d'une définition, j'affirme en tout cas qu'il ne s'agit pas de vouloir le rendre meilleur ou plus heureux malgré lui ! Un solide point de départ serait de prendre les citoyens pour des adultes.
Par exemple, pourquoi l'éducation est-elle sous le contrôle absolu de l'Etat ? On peut imaginer de sortir l'éducation de la sphère publique tout en laissant à l'Etat le rôle vital de redistribuer les subventions adéquates aux familles et de sanctionner les diplômes. Le secteur de l'éducation se réduirait en poste administratif, gagnerait en hétérogénéité, c'est-à-dire en une multiplicité de vrais choix, donc en efficacité et en résultats bénéfiques pour les jeunes. Les professeurs seraient dans un espace de liberté plus important, quittant le champs de l'administration pour celui de l'entreprise.
Sur le marché du travail, il est temps que l'Etat cesse de tenir la chandelle aux employeurs et aux employés, et rende aux parties concernées le pouvoir de négocier entre elles. Simplifier le code du travail pour ramener à quatre ou cinq clauses essentielles (sur les questions de sécurité, par exemple) les clauses d'ordre public et de supprimer le principe de faveur (ou tout au moins le ramener à l'ensemble de l'accord et non clause par clause). Cela donnerait aux entreprises la flexibilité de négocier de bonne foi avec les salariées, et rendrait aux syndicats leur rôle d'interlocuteur dans l'entreprise. Bien entendu, tout ceci conduirait les syndicats à revenir sur le terrain, du fait de la fin de leur monopole.
Aujourd'hui, la croissance de l'emploi est verrouillée car le désir des entreprises de recruter est perpétuellement sapée par la menace du coût exorbitant de débaucher. Autrement dit, les entreprises qui auraient terriblement besoin d'embaucher aujourd'hui attendent d'avoir suffisamment de visibilité sur leurs perspectives de développement avant de prendre ce risque. Si les employeurs avaient toute latitude d'embaucher sans que ce soit un risque, ils se trouveraient bientôt en concurrence pour recruter les meilleurs talents pour un poste donné, ils seraient motivées pour augmenter les salaires en conséquence et améliorer les conditions de travail offertes aux employés.
Il serait intéressant de faire l'expérience pendant un an et d'évaluer les conséquences sur la croissance, notamment par-rapport à nos voisins européens.
Une chose est certaine, aucune remise en question n'est à attendre de l'Etat. Comme toute organisation, sa première mission est de survivre.
Quand les citoyens et les dirigeants politiques vont-ils alors admettre que l'Etat a perdu le sens de sa mission et exiger sa révision ?
Etat royal ou Etat local, il faut choisir
Deux voies s'offrent à nous. Si ce que l'on désire est le maintien de cet Etat royal, Etat paternaliste, Etat unificateur jugé vital car garant de la paix, alors assurons-nous que sa gouvernance est confiée à quelqu'un qui détient une vision de long-terme et assume pleinement sa responsabilité. Le Président de la République quel qu'il/elle soit est clairement incapable d'assumer ce rôle. En effet, les occupants temporaires de l'Elysée sont soumis à un mandat de cinq ans et n'hésitent pas à glisser les difficultés les plus épineuses sous le tapis pour leurs successeurs. Les candidats n'hésitent pas à diviser les Français pour s'assurer une victoire électorale. L'Etat est devenu désincarné au point d'assumer des rôles iniques.
Cherchons donc un roi ! Cet individu voudra léguer à ses enfants un pays en meilleure santé que celui dont lui-même a hérité la responsabilité, et se trouvera donc engagé dans une vision à long-terme, avec un sens fort de sa responsabilité et un attachement à l'incarnation de cet Etat. On peut imaginer une monarchie à l'anglaise, où le monarque est garant de l'Habeas Corpus et de la Magna Carta.
Un deuxième scénario possible est pour le citoyen de reprendre la parole et de ramener l'Etat à son niveau. Ce choix implique le démantèlement de l'Etat central et le transfert de son autorité aux autorités locales. On trouverait sans doute là le meilleur modèle propre à optimiser les opportunités et résorber les difficultés caractéristiques de notre monde chaotique. En effet, le chaos nous oblige à la diversification et à l'hétérogénéité, donc à un système résilient... ou mieux : « antifragile ».
C'est là la grande leçon du libéralisme que nos dirigeants peinent à comprendre, eux qui cherchent à tout contrôler à tout prix. Un peu d'humilité pourrait leur dessiller les yeux. Le préjugé, omniprésent dans les antichambres du pouvoir, de la supériorité de l'Etat sur les citoyens a fait long feu.