Un discours semble faire l'unanimité qui présente l'absence de « croissance », comme le mal à l'origine du chômage et des déficits publics. Le sens du terme prête à confusion. Croitre, c'est grandir, se développer, en l'occurrence, nous parlons d'économie et notre pays étant parmi les plus « développés » au monde, je ne suis pas le seul à penser qu'il est suffisamment développé, au moins au regard de l'état actuel du monde et de notre société. Que dans de nombreux domaines où le gaspillage, la production de déchets et la pollution, il manifeste plutôt une obésité qu'un besoin de croissance.
Cette croissance est voulue par ceux qui lui prêtent la vertu de créer des emplois. Un surcroit d'activité économique devant « nécessairement » créer des emplois pérennes. Malheureusement, il s'avère que ce n'est pas toujours le cas et que de nombreux phénomènes perturbent cette vision idyllique. En outre, il apparaît que tous les emplois créés n'ont pas les mêmes conséquences. Dans certains cas, ils assurent un supplément de production de richesses, dans d'autres, ils n'en produisent pas. Dans une troisième catégorie, ils concourent à en détruire. Ces trois phénomènes se manifestent dans la société. Dans le premier cas, la gâteau à partager s'accroit et n'affecte le reste de la société que de façon plutôt favorable. Dans le second cas, le gâteau étant resté le même, les parts deviennent plus petites pour chacun. Dans le troisième cas, la réduction des parts n'étant plus suffisante, ceux qui sont servis le sont par la suppression de la part d'autres. Ce schéma est très abstrait et il serait long et compliqué de détailler les phénomènes, bien que chacune des actions et conséquences soient assez simples. Que chacun d'entre nous puisse en constater autour de lui.
A partir de certains exemples pris dans la société, nous pouvons néanmoins l'éclairer. Dans le système social, nous entendons et constatons la fermeture de services hospitaliers, le regroupement les réductions de personnel soignant. Equipements et personnels qui rendaient des services. Mais nous constatons, en même temps, le développement des services administratifs, des tâches administratives. Or il est bien connu que la principale fonction de l'administration consiste à créer de l'administration. Quiconque a été confronté à ces services sait qu'il a dû donner au moins dix fois (parfois beaucoup plus), les mêmes renseignements, souvent à la même personne et pour le même objet, un objet annexe ou similaire. Pourquoi ces tâches administratives, dans la plupart des cas superflues, voire carrément inutiles, se sont-elles autant développées ? Au point que la tâche réelle des services de santé, les prestations, les soins aux malades, deviennent secondaires, par rapport aux tâches administratives dont tout le monde est submergé. La principale cause est la concentration des pouvoirs et son corollaire: l'irresponsabilité. Chacun doit consacrer une partie de plus en plus importante de son temps à rendre compte, établir des rapports, dont la plupart ne sont d'ailleurs lus par personne, mais qui permettent à un responsable administratif de justifier de son pouvoir. De consentir ou refuser tel ou tel moyen demandé par une personne qui en a l'usage et sait s'en servir. Alors que lui-même en serait incapable. Car, autre phénomène aberrant de l'état de notre société, il est donné à des personnes incapables d'accomplir certaines tâches, le pouvoir de diriger ceux qui les maîtrisent parfaitement. Personnellement, je serais plutôt tenté de les classer dans la troisième catégorie, alors que ce sont le plus souvent parmi les mieux rémunérés.
Je ne nie pas qu'il faille une certaine administration, mais comme j'en ai eu l'expérience dans la recherche médicale au Canada, un ratio d'un administratif pour vingt-cinq soignants me semblerait largement suffisant. Si l'on compte tout ce qui gravite dans et autour du système social, du ministère aux diverses caisses, je crains qu'il y ait plus de personnel administratif que de soignants, qui vivent du système social. Ce qui me semble relever de la folie pure. Etant tout aussi clair qu'avant de réorienter ou de supprimer des postes administratifs, il faudrait rationnaliser, simplifier et réduire les tâches. Un principe simple consisterait à n'avoir à rendre compte qu'en cas de problème, d'accident ou d'échec. Ce qui permettrait de consacrer le budget de santé à ce qui est sa véritable vocation.
Accroitre le gâteau permet plus facilement de créer des parts nouvelles. Accessoirement d'accroitre les anciennes. Mais, dans ce domaine, comme pour tout ce qui concerne les finances publiques, les données sont difficiles à interpréter. Un producteur de fruits et légumes, qui fournit une collectivité locale, l'école ou la mairie voisine, ne va représenter qu'un montant minime dans la production intérieure brute. Etant des dizaines de milliers qui n'ont pas un grand poids économique, contribuent assez peu à l'impôt, ils n'ont pas l'oreille du gouvernement, qui ne les soutient et les aide que le moins possible. Par contre, un gros importateur, négociant avec les centrales d'achat de la grande distribution, a ses entrées dans les ministères. Représente des sommes considérables au sein du PIB, des impôts conséquents. Alors qu'en fait il ne crée aucune richesse, à l'inverse des petits producteurs. Qu'il fait une concurrence déloyale à la production locale et détruit beaucoup plus d'emplois qu'il n'en créé.
Cet exemple, assez simpliste, est néanmoins caractéristique de nombreuses situations, dans à peu près tous les domaines de l'économie. D'une façon générale, la complexité de la fiscalité, comme celle de la législation en général, favorise les gros au détriment des petits, les fraudeurs à celui des citoyens honnêtes.
Contrairement à ce qui est généralement dit et cru, les grandes entreprises n'apparaissent plus rentables que les petites qu'au moyen d'artifices. De subventions, d'exonérations, d'avantages particuliers, mais aussi grâce aux méthodes « d'optimisation fiscale » et aux montages financiers internationaux, licites ou illicites, comme l'ont encore récemment montré quelques célèbres sociétés américaines en délicatesse avec le fisc.
Nous sommes, en réalité, confrontés à un problème multidimensionnel. L'emploi, la création de richesse et la fiscalité sont trois paramètres qui permettent d'analyser et de gérer l'économie de notre société. Tenter de modifier l'un sans prendre des mesures cohérentes, ou gérer l'incidence, sur les autres, est une démarche vouée à l'échec. De nombreux exemples, pas tous récents, l'ont montré. Une hausse de la fiscalité a toujours entrainé une baisse de l'investissement, de la consommation, de la création de richesse et de l'emploi. Bien sûr en incluant le travail dissimulé et les activités illicites, on augmente le dénominateur dans le ratio de la fiscalité sur le PIB (considéré comme représentatif de la création de richesse), mais ce sont des activités dont l'estimation est éminemment aléatoire d'une part, et qui ne contribuent en rien aux recettes fiscales d'autre part. Ce qui devrait en exclure la prise en compte, si l'on prétend à un minimum de réalisme. La création d'emplois « aidés » a toujours un « effet d'aubaine ». Bien que celui-ci soit désormais reconnu, il est le plus souvent sous-estimé, voire dissimulé. La plupart des emplois ainsi créés le sont à la place d'autres emplois ou d'autres activités qui, ne bénéficiant pas de l'aide, cessent d'être rentables. Cela ne permet jamais d'obtenir de nouveaux marchés ou de développer la consommation. Les véritables conséquences étant, le plus souvent à l'opposé.
Des mesures viennent d'être prises pour une « simplification administrative ». Ce sont des mesures que j'appelle de mes vœux depuis des décennies et je m'en réjouis. A condition que la simplification soit réelle et effective pour tous. Qu'elle s'étende à la fiscalité et à la législation. Que le législateur tienne enfin compte du principe de droit « Nul n'est censé ignorer la loi. »