Les empoignades autour de l’affaire Lactalis donnent à Bruno Le Maire l’occasion de retrouver les vieux réflexes de l’économie administrée tant prisés par l’énarchie ministérielle. Dans le même temps, le gouvernement annonce que la taxe d’habitation ne sera pas supprimée, comme l’avait promis Emmanuel Macron, mais remplacée par un nouvel impôt. L’État omnipotent est de retour.
Lactalis est un géant de l’agro-alimentaire français dont on sait que la transparence n’est pas la principale qualité. Au coeur d’un scandale sanitaire, l’entreprise est accusée d’avoir fait passer son profit avant la santé des bébés. Si cela était vrai, ce serait évidemment très choquant.
Bruno Le Maire revient à l’État donneur de leçons…
Assez rapidement, Bruno Le Maire s’est précipité tête la première pour expliquer que le comportement de Lactalis (et des distributeurs qui ont continué à écouler des stocks malgré le rappel des produits) était inacceptable et appelait des sanctions.
Comprenant sans doute qu’il ne revenait plus, depuis la Révolution Française, au pouvoir exécutif de rendre la justice et de prononcer des peines, le bouillonnant ministre de l’Économie a annoncé une enquête. On s’étonne quand même de l’empiètement manifeste du gouvernement sur les décisions de l’autorité judiciaire, une fois de plus.
… mais doté d’un pouvoir d’auto-absolution
Prompt à dénoncer les errements des entreprises, Bruno Le Maire se montre beaucoup moins enjoué dès qu’il s’agit de demander des comptes à son administration. L’affaire Lactalis en donne un superbe exemple.
Ainsi, les services interministériels, sur lesquels le ministre de l’Économie exerce aussi sa tutelle, ont inspecté Lactalis au mois de septembre. Et ils n’ont, dans les locaux des usines concernées par les retraits de produits, décelé aucune trace de salmonelles. Pourtant, on sait aujourd’hui que la contamination était antérieure au mois de septembre.
Quelle mesure disciplinaire le ministre a-t-il ordonné pour sanctionner cette défaillance coupable? Quelle enquête en cours pour comprendre ce loupé monumental?
Bruno Le Maire a le verbe haut quand il s’agit de stigmatiser les méchantes entreprises, mais il se fait beaucoup discret quand il s’agit de faire la police dans ses services. Tiens donc!
Bruno Le Maire proclame l’impunité de Bercy
Au demeurant, on n’a pas non plus entendu Bruno Le Maire s’exprimer avec virulence contre les débordements de Bercy épinglés par la Cour des Comptes. Il faut dire que celle-ci a entendu le 20 décembre pour publier un référé… du 12 octobre 2017 sur les rémunérations à la dérive parmi le personnel de direction du ministère.
De fait, les révélations de ce document ont bien fait d’atterrir sur les moquettes ouatées des fêtes de fin d’année. Elles auraient pu susciter la polémique. On y lit en effet que les hauts fonctionnaires de Bercy se sont attribués en dehors de tout cadre réglementaire des primes qui arrondissent substantiellement leurs fins de mois.
Certains potentats placés sous l’autorité de Bruno Le Maire touchent jusqu’à 20.000 euros nets par mois pour des responsabilités qui semblent très discutables. C’est en particulier le cas des contrôleurs financiers.
Sur ce point, on aimerait aussi entendre Bruno Le Maire tonitruer. Certes, il ne s’agit pas d’un scandale sanitaire qui mettrait en danger la santé des enfants. Mais l’illégalité de la situation est flagrante et, curieusement, le ministre a le verbe moins haut.
Le gouvernement bat retraite face au mur de la dépense publique
Parallèlement, la ministre Jacqueline Gourault, que personne ne connaît et qui est, paraît-il, placée auprès de Gérard Collomb pour prendre sa part de mauvaises nouvelles à annoncer, vient de faire une révélation supplémentaire. La taxe d’habitation ne sera pas supprimée par le gouvernement, comme Macron l’avait promis, mais simplement remplacée par une nouvelle taxe.
On comprend bien la logique qui sous-tend cette Bérézina: supprimer la taxe d’habitation, c’est trouver de l’argent ailleurs pour en compenser le produit. Mais, petit à petit, le gouvernement recule sur le front sibérien de la dépense publique. Déplaire aux fonctionnaires est un exercice trop dangereux…
On préfère donc continuer la ponction fiscale, mais par d’autres moyens.
La paille et la poutre
On aurait tort de dissocier les choses. Il n’y a pas un Bruno Le Maire dur avec les entreprises et, sans raison, un autre Bruno Le Maire conciliant avec les fonctionnaires. Il y a un Bruno Le Maire qui amuse le petit peuple en jouant la fermeté et les gros bras chaque fois qu’il peut s’y divertir sans risque, pour mieux dissimuler, pour mieux dresser un écran de fumée sur le laxisme total qu’il perpétue à Bercy. Il faut donner l’illusion d’être ferme pour mieux faire oublier sa lâcheté dès qu’il s’agit de manager.
Dans notre jeunesse, on appelait cela être fort avec les faibles, et faible avec les forts. On imaginait que Macron changerait le monde ancien. Il y revient au grand galop.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog