Pourquoi l’optimisme de 2017 s’est perdu ?

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Par Hervé Goulletquer et Stéphane Déo Modifié le 24 juillet 2018 à 8h48
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2,1%L'INSEE table sur une croissance 2,1% pour l'année 2018.

L’optimisme béat du début de l’année a fait place à des doutes sur la croissance. Certes, rien de dramatique, le consensus a été révisé à la baisse, mais attend toujours 2,2% de croissance pour cette année. Les révisions à la baisse ne sont probablement pas complétement finies.

Les marchés ont aussi intégré une vue beaucoup plus prudente sur la croissance. Baisse du Bund de 45 points de base entre février et juin essentiellement due à un ajustement des taux réels. Sur les marchés actions, rotation sectorielle marquée et cohérente avec une croissance plus faible.

Que s’est-il passé ? Il y a quatre raisons qui peuvent expliquer ce coup de moins bien : (1) un tassement des enquêtes d’opinion qui étaient exagérément élevées, (2) un effet récessif des prix du pétrole, (3) une économie proche de son potentiel et (4) un risque géopolitique. Tous ces arguments conduisent soit à un ralentissement temporaire, soit au pire à un tassement de la croissance vers un niveau plus conforme avec son potentiel. Il est en revanche plus difficile d’envisager une vraie fin de cycle et une probabilité de récession élevée.

Si ce scénario se confirmait, il semble que la valorisation des marchés inclue déjà beaucoup des risques mentionnés. Pour le marché une stabilisation de l’économie pourrait alors devenir le signal d’une phase plus constructive. L’indice de surprise économique est certes toujours négatif, mais il est remonté très violemment depuis un mois. C’est peut-être le premier signe que les attentes se sont assez ajustées.

Moins de croissance attendue

L’optimisme béat du début de l’année a fait place à des doutes sur la croissance. Le premier symptôme de ce changement d’attitude est la révision des anticipations de croissance. Alors que 2017 a été un long fleuve tranquille avec un consensus sur la croissance régulières revu à la hausse, le deuxième trimestre 2018 a vu la tendance s’inverser.

Certes, rien de dramatique, à la fin du premier trimestre, la croissance 2018 était attendue par le consensus à 2,4% pour la zone Euro. Les attentes sont actuellement à un très honorable 2,2%. Il faut noter toutefois que l’INSEE table sur 2,1% et le FMI sur 1,9%. Les révisions à la baisse ne sont donc probablement pas complétement finies.

Il faut aussi noter que les attentes sur la croissance mondiale, elles, n’ont pas bougé, et restent à 2,7% comme au début de l’année. L’Europe a été plus touchée que le reste du monde par la vague de pessimisme. Le graphique ci-dessous montre l’indice de surprises économiques qui a beaucoup plus souffert effectivement en zone Euro.

Il faut en particulier noter l’affaissement des indicateurs avancés, tels les PMI, qui ont baissé de manière continue sur le premier trimestre de l’année. Là aussi il faut se garder d’une interprétation trop pessimiste : les PMI étaient probablement à des niveaux trop élevés et une normalisation n’est pas une surprise. Au total les chiffres attendus pour 2018, mais aussi pour 2019 ont certes fléchi mais restent sur des niveaux confortables, avec une croissance attendue en Zone Euro au-dessus du potentiel. La question principale est alors de savoir si ce ralentissement est une nouvelle tendance qui va se
poursuivre ou juste un trou d’air ?

Et des marchés qui doutent

La baisse de moral s’est faite ressentir sur les marchés de manière très nette. Le premier symptôme est le marché des taux où le rendement du Bund a baissé alors que les écarts de rendement sur l’IG ont progressé. La tendance a été forte entre début février et fin juin. Cette configuration de marché est associée à une vue plus prudente sur la croissance. Il faut d’ailleurs noter que les 42 points de base de baisse du Bund entre début février et fin juin son associés à une baisse de 45 points de base des taux réels. C’est donc bien un problème de croissance.

Mais la baisse de moral se voit peut-être encore plus sur le marché actions

Certes l’Euro Stoxx est quasiment inchangé depuis le début de l’année. Mais les attentes des analystes pour les bénéfices 2018 ont commencé à piquer du nez : alors qu’elles étaient restées très stables depuis le début de l’année, rabaissées seulement de 0,65% sur les cinq premiers mois de l’année, elles ont
perdu 0,94% depuis début juin. Une fois de plus rien de dramatique, mais clairement une accélération à la baisse. Plus spectaculaire, les rotations sectorielles ont été violentes. Tout d’abord la rotation habituelle « croissance » contre « value ». Dans un monde où la croissance est remise en question, les
valeurs « de croissance » qui ont démontré leur capacité à maintenir une croissance de leur activité stable devraient avoir une prime. Dans un monde où on doute du cycle, les dossiers délaissés que le marché n’aime pas, les « value », devraient être encore plus pénalisés. C’est exactement ce qui s’est passé depuis début mai.

D’autre part, l’exposition à la croissance en dehors de la Zone Euro a été récompensée par les marchés. Comme le montre le graphique ci-dessous, les entreprises exposées aux Etats-Unis ou aux pays émergents ont soudainement surperformé à partir de mai.

En contrepartie les entreprises les plus exposées à la croissance domestique européenne ont été pénalisée par les marchés. Dans un contexte de doute sur la croissance européenne, cela se comprend. Toutefois nous sommes aussi dans un contexte où l’administration américaine veut « America first » et où les exportateurs sont sous pression. D’autre part, les pays émergents ont beaucoup souffert récemment en bourse avec des devises attaquées. La surperformance des valeurs exposées aux Etats-Unis et aux pays émergents est donc d’autant plus remarquable.

La baisse de moral sur la croissance européenne a donc eu des effets marqués sur les marchés financiers, depuis février-mars dans le cas des marchés de taux, plus récemment sur les marchés actions.

Et maintenant où allons-nous ?

Tout ceci n’explique pas vraiment ce qui s’est passé. Pourquoi cet accès de faiblesse subit ? Nous pouvons proposer quatre explications :

- Un tassement des enquêtes d’opinion qui étaient exagérément élevées
- Un effet récessif des prix du pétrole
- Une économie proche de son potentiel
- Un risque géopolitique.

Premier élément, les indicateurs avancés, enquêtes dans l’industrie ou les services, se sont effectivement tassés sur le premier trimestre de l’année. Mais ils étaient à un niveau difficile à justifier. Une approche simple, visant à prévoir le PIB avec l’enquête européenne, aurait donné une croissance à 3,7% à la fin de l’année dernière. La croissance réelle était à 2,5%, ce qui n’est pas si mal. En d’autres termes les chefs d’entreprise péchaient par excès d’optimisme, une normalisation était à venir. Cette explication est rassurante et effectivement les indicateurs avancés dont on dispose sont toujours cohérents avec une croissance au-dessus du potentiel.

La deuxième explication est liée aux prix du pétrole. La hausse continue de l’or noir de moins de 30 dollars le baril début 2015 à presque 80 récemment, a eu un impact récessif. Nous estimons par exemple l’impact du pétrole sur le revenu des ménages et nous trouvons que le pic serra atteint ce mois-ci, avec 1,4% du revenu des ménages raboté depuis un an. Les modèles économiques classiques montrent que dans un cas de choc pétrolier limité et transitoire comme nous le vivions actuellement, les ménages ont tendance à lisser leur consommation et donc nous sommes en droit d’attendre un impact beaucoup plus limité que les 1,4% calculés sur la croissance. Cette explication est elle aussi rassurante dans la mesure où le ralentissement serait dû à un choc transitoire dont les effets devraient s’estomper graduellement. La stabilisation des prix du pétrole milite dans ce sens. C’est donc la théorie du « trou d’air ».

Une interprétation plus problématique serait que nous avons déjà atteint la croissance potentielle en Europe. L’OCDE estime que la croissance potentille en Zone Euro est de 1,¼% à l’heure actuelle alors que la Zone a connu une croissance de 2,4% l’année dernière et devrait être proche de 2,0% cette année. S’il n’y a pas de signes évidents de surchauffe, certains indicateurs montrent effectivement que l’appareil de production travaille à plein. Premier signal, le taux d’utilisation des capacités de 84,5% est très proche des pics de cycle précédents.

Deuxième exemple, l’enquête trimestrielle en Zone Euro demande aux entreprises ce qui limite leur production, elles peuvent choisir entre plusieurs options. La réponse « demande » est au plus bas historique depuis le début de l’enquête, soit depuis 1985. Il n’y a donc pas de problème de demande, et d’ailleurs les questions sur les carnets de commandes sont elles aussi proche des meilleurs niveaux historiques. En revanche deux facteurs limitent la production.

- D’une part le « travail » ce qui montre que les entreprises ont déjà du mal à recruter malgré le niveau élevé du chômage. Ceci suggère que le taux de
chômage actuel, 8,6%, serait déjà proche du taux structurel.

- Même message pour « l’équipement » qui lui aussi approche les pics de cycle. La frilosité extrême des entreprises durant cette reprise et le faible niveau de l’investissement aboutissent donc à des capacités limitées.

Ces deux indicateurs montrent qu’effectivement l’économie est probablement proche de son potentiel et donc la croissance doit se tasser. Sans investissement en capacité, à la fois créations d’emplois et investissements en capital, la croissance ne pourrait ré-accélérer.

Cette interprétation est beaucoup plus déprimante. Penser que la Zone Euro plafonne déjà en terme de croissance, après une performance somme toute poussive depuis 2009, n’est pas très encourageant.

Dernier point, le risque géopolitique : guerre commerciale, problème politique en Italie, etc… Beaucoup de simulations ont été faites sur l’impact d’une guerre commerciale sur le commerce international et la croissance. Beaucoup plus difficile à mesurer est l’impact sur la confiance des entrepreneurs. Nous avons toutefois déniché deux indicateurs qui semblent montrer que les entrepreneurs sont effectivement plus circonspects sur l’avenir. D’une part l’enquête européenne sur les perspectives d’emplois s’est tassée depuis le début d’année. Bien sûr la baisse s’est effectuée en parallèle de la baisse plus générale de la confiance, mais une décision d’embauche étant par définition une décision de long terme, cela dénote aussi d’un attentisme plus marqué des entreprises. Même message pour les perspectives d’investissement (malheureusement il n’existe pas d’indicateur européen sur le sujet) qui ont très nettement piqué du nez aux Etats-Unis récemment alors que l’environnement économique est robuste. C’est un signe plus clair de l’effet immédiat du risque politique.

Cette interprétation, si elle est la bonne, n’est rassurante que dans la mesure où on pense que le risque politique est transitoire. Rien n’est moins sûr évidemment.

Conclusions : risques à la hausse ?

Tous les arguments que nous avons avancés conduisent soit à un ralentissement temporaire, soit au pire à un tassement de la croissance vers un niveau plus conforme avec son potentiel. Il est en revanche plus difficile d’envisager une vraie fin de cycle et une probabilité de récession élevée.

Si ce scénario se confirmait, il semble que la valorisation des marchés inclue déjà beaucoup des risques mentionnés. Pour le marché une stabilisation de l’économie pourrait alors devenir le signal d’une phase plus constructive.

Le premier symptôme pourrait être l’indice de surprise économique. En 2016 et 2017 il est resté très largement positif, une période faste pour les marchés. Depuis le début de l’année il a plongé pour tutoyer les plus bas historiques : les prévisions ont été revues à la baisse et les marchés ont souffert. Le niveau actuel est certes toujours médiocre, -32,6, mais l’amélioration sur un mois est une des plus forte jamais enregistrée. C’est le signe que les anticipations se sont adaptées très vite à un niveau correct. A ce rythme-là le pessimisme ne sera plus de mise d’ici peu, on pourra revenir sur une vue plus neutre.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management. Stéphane Déo est stratégiste chez La Banque Postale Asset Management.

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