« C'est dans la ville de Khanbalik que le grand Khan possède sa monnaie [...]. En effet, on y fabrique du papier-monnaie à partir de l'aubier du mûrier. L'aubier est extrait, broyé puis mélangé à de la colle et comprimé en feuilles semblables à des feuilles de papier coton, mais complètement noires. La méthode d'émission est très formelle, comme s'il s'agissait d'or ou d'argent pur. Sur chaque coupon destiné à devenir un billet, des fonctionnaires spécialement désignés inscrivent leur nom et apposent leur cachet.
Lorsque le travail est fait selon les règles, le chef nommé par le Khan imprègne son sceau de colorant et appose sa marque vermillon en haut de la feuille. C'est alors que le billet devient authentique. Ce papier est ensuite répandu dans tous les domaines de Sa Majesté, et personne n'ose, sous peine de la vie, refuser de le recevoir en paiement. » Tels sont les mots par lequel Marco Polo a relaté, au tout début du treizième siècle, l'usage par les Chinois de « monnaie papier ».
Hélas, personne ne crut le marchand vénitien, si bien qu'il fallut encore attendre plusieurs siècles avant que des billets ne soient produits en Europe, alors qu'ils étaient déjà d'usage courant dans l'Empire du milieu, dès le XIe siècle. Comme le relate Coralie Boeykens, guide du musée de la Banque nationale de Belgique, c'est pour remédier à la pénurie de monnaie métallique qu'ils ont été introduits : « Sous la Dynastie Song (960-1276), le commerce de la région du Sischuan est tellement prospère que la monnaie de cuivre est insuffisante. Certains marchands émettent alors une monnaie privée "Zhu Quan" en papier de mûrier. » Fait remarquable, il ne faudra pas attendre que quelques années pour que l'État s'arroge le monopole de l'émission de ces billets garantis par une réserve monétaire en pièces, en sel et, plus tard, par une réserve en or ou en argent.
En Europe, même si les lettres de change émises par les Lombards étaient utilisées comme une sorte de monnaie parce qu'il arrivait qu'elles circulent entre plusieurs mains avant d'être finalement encaissées, on estime que les premiers véritables billets ont été émis en 1609 à Amsterdam. L'essor de cette place commerciale était alors entravé par la multiplication de centaines de pièces différentes et souvent de piètres qualité ce qui obligeait les commerçants à procéder à de fastidieuses opérations de contrôle. Les autorités ont alors l'idée de récupérer l'ensemble des pièces pour en faire de nouvelles pièces à la teneur garantie en métal précieux. Mais plutôt que de rendre directement cette nouvelle monnaie aux déposants, elle émet des certificats de dépôt aussitôt utilisés comme moyens de paiement.
La première véritable banque d'émission est toutefois celle de Stockholm, créée en 1656 par Johan Palmstruch. « Ce commerçant suédois remarque que la régularité dans le retrait des espèces peut dispenser la banque de conserver en réserve l'intégralité des fonds qui ont été déposés. En 1661, il fait émettre des billets au porteur, remboursables en espèces sur simple présentation. Ces billets ne tardent pas à remplacer les espèces dans les paiements », rappelle Patrick Ladoue, Caissier conservateur des collections numismatiques de la Caisse Générale de la Banque de France. Hélas, l'initiative se soldera par une faillite. Si bien que, transformée en établissement public, la banque de Stockholm s'interdira pendant longtemps d'émettre des billets. Mais cela n'empêchera pas le modèle d'être bientôt repris par la Banque d'Angleterre puis par celle d'Ecosse à la fin du XVIIe siècle.
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