La Thaïlande, le plus prometteur des nouveaux Tigres asiatiques, s'enfonce aujourd'hui dans un marasme économique inquiétant. Pris dans une crise politique en plusieurs actes, le pays manque clairement de vision, et les conséquences sont déjà palpables. Retour sur une gestion calamiteuse, entre autoritarisme et crise.
La Thaïlande est dans de beaux draps. Face à une contestation grandissante, le général au pouvoir, Prayut Chan-O-Cha, ne cesse d’appliquer des mesures de plus en plus répressives, débouchant sur un nombre important d’arrestations arbitraires. Dans une grande tradition qui remonte à 1932, les militaires thaïlandais jouent un rôle majeur sur la scène politique thaïlandaise, avec pas moins de 12 coups d'Etat réussis et 7 tentatives. Les deux derniers essais transformés visaient à empêcher le maintient au pouvoir de l'homme d'affaires Thaksin Shinawatra et de son clan. Premier responsable politique à s'être doté d'un parti moderne, avec des propositions en matière sociale, s'adressant directement aux classes défavorisées et aux paysans, il fait l'objet des foudres des élites traditionnelles de Bangkok dès son arrivée en 2001. Ces derniers soupçonnent le Premier ministre de vouloir mettre fin à la monarchie. Le 19 septembre 2006, alors qu'il se trouve à New York, une faction de l'armée le renverse.
5 ans plus tard, le 8 août 2011, la soeur de Thaksin, Yingluck Shinawatra, est à son tour élue démocratiquement à la tête du gouvernement. Elle y restera un peu plus de deux ans et demi, avant d’être renversée à son tour par la junte militaire, le 7 mai 2014. Quinze jours plus tard, le général Prayuth Chan-ocha prend le pouvoir. Il orchestre depuis une politique ultra répressive, bâillonnant systématiquement le moindre embryon de répression en invoquant le lèse-majesté.
"Ces arrestations arbitraires massives sont une violation flagrante des engagements internationaux de la Thaïlande en matière de droits humains. Il s’agit clairement d’une politique de persécution et d’une tentative de réduire l’opposition au silence" déclare Richard Bennett, directeur d’Amnesty International. Une politique musclée peu business friendly dont les effets pèsent déjà sur l’économie du pays. La croissance nationale, qui jusqu'à la destitution de Thaksin était systématiquement au dessus de la barre des 5%, dégringole. En dépit d’une forte affluence de touristes (25 millions en 2014), elle plafonne à 0,7 %.
Malgré d'importantes réformes engagées pas la junte pour redynamiser le pays, la Banque mondiale, d'abord convaincue, réduit ses prévisions de croissance économique pour la Thaïlande à 2,5 % en 2015 contre 3,5 % auparavant. Sur place, les exportations sont en recul depuis sept mois consécutifs, alors qu'elles représentent plus de 60% du PIB.
Le dernier Indice de confiance des consommateurs (ICC) publié en août 2015 est au plus bas depuis 15 mois, et les résultats d'une récente enquête montrent une augmentation marquée de l'endettement des ménages thaïlandais.
Plusieurs facteurs expliquent cette dégringolade. En plus du manque de vision flagrant du régime militaire, les liens entre la Thaïlande et l’Union européenne se sont considérablement distendus. Partenaire commercial important du Royaume, l’UE a dès le départ condamné le détournement du pouvoir, et a fait savoir que seul un plan précis de retour à la démocratie pourrait permettre une reprise des affaires. "Nous suivons les développements actuels avec une grande inquiétude", s'était à l'époque inquiétée la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton. "Nous appelons les dirigeants militaires à libérer tous ceux qui ont été placés en détention pour des raisons politiques ces derniers jours et à abolir la censure."
Ironie du sort, dos au mur, le gouvernement militaire a annoncé vouloir injecter 136 milliards de baht dans l'économie sous forme de prêts subventionnés : une politique de relance directement inspirée de celles qui avaient assuré le succès de… Thaksin. Un changement de cap qui serait dû a une nomination discrète, dans le grand chaos qui a suivi l’attentat du 17 août dernier. Le dernier remaniement ministériel décidé par le général Prayut incluait notamment la nomination de Somkid Jatusripitak comme vice-Premier ministre, et ministre des Finances - une double casquette qui en dit long. Ce dernier est largement considéré comme le co-architecte des "Thaksinomics", les politiques de relance qui ont stimulé la croissance du PIB pendant les années Thaksin. Somkid est aussi l'un des principaux co-fondateurs du parti Thai Rak Thai en 1998, avec Thaksin.
Si ce changement de cap est globalement une bonne nouvelle, et prouve qu'au moins d'un point de vue économique, la junte devient plus raisonnable, elle pose aussi une question. S'il s'agit de faire la même politique de Thaksin - celle qui lui avait valu d'être évincé en 2006 - pourquoi ne pas le faire revenir directement ? L'homme derrière les idées serait sans aucun doute le mieux qualifié pour appliquer ses propres idées. On ne peut plus douter, en tout cas, du résultat des prochaines élections démocratiques – si tant est qu’elles aient lieu un jour.