Combattre la loi travail et soutenir le grand capital

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Par Eric Verhaeghe Publié le 1 avril 2016 à 10h20
Loi Travail Manifestation Raisons Capital
1,2 MILLIONLes manifestations contre la Loi Travail du 31 mars 2016 ont fait descendre dans la rue 1,2 million de personnes selon les syndicats.

La mobilisation contre la loi travail donne lieu à un superbe déferlement de postures faciles, à l’instar d’Anne Hidalgo, ce matin sur France Inter, qui expliquait sans rire que le plafonnement des indemnités de licenciement n’était pas une mesure « humaniste ». Cette ancienne inspectrice des affaires sociales, qui cumule sa retraite avec ses indemnités de maire, surfe sur une vague de velours: le bien, l’humanité, c’est défendre le droit du travailleur contre le capital, alors que la loi travail fait tout le contraire. Y a-t-il idée plus belle, plus simple, plus gentille à défendre dans les dîners en ville?

Le droit du travail et le capital

Pour comprendre la perversité de cette idée, il faut évidemment relever ses non-dits et mesurer « pragmatiquement », comme dirait Anne Hidalgo, l’impact exact de ses conséquences. À ce jeu, il apparaît vite que les revendications hostiles à la loi travail font toutes le bonheur du grand capital et de la rente face à l’émergence d’une catégorie d’entrepreneurs étouffés par les normes sociales en vigueur.

Mettons les pieds dans le plat: le sujet de la loi travail consiste bien à diminuer une part des garanties et des protections obtenues par les salariés au fil des décennies. Ce qu’on appelle ici la flexibilité vise à réduire le coût concret du travail et non son coût économique. Moins de règles, moins de protection, pour une optimisation du salaire.

En remettant ainsi en cause, très marginalement au demeurant, les protections des salariés, le gouvernement donne un coup de pouce aux entreprises qui sont le plus pénalisées par l’épaisse couche de réglementation existante. Compte tenu de la structure du capital en France, ce sont les petites entreprises qui en seront les principales bénéficiaires, bien entendu, car ce sont elles qui n’ont pas les moyens techniques de maîtriser toute la réglementation et ses évolutions incessantes, et ce sont elles qui sont le plus handicapées par les innombrables freins que le Code du Travail introduit dans l’exécution du contrat.

On ne peut ignorer ici qu’une partie importante du foisonnant code en question fut dictée et rédigée par les patrons des grandes entreprises eux-mêmes, trop heureux d’imposer des règles qui sont autant d’avantages comparatifs sur les petites entreprises du secteur. Contrairement à l’idée la plus largement répandue, ce n’est pas le grand capital qui est ennemi de la protection des salariés, c’est le petit capital! parce que c’est lui qui dispose du moins de marges pour optimiser les salaires.

Quand une entreprise à la main du grand capital est gênée par sa masse salariale, elle se délocalise et le problème est réglé. Cette souplesse-là n’existe pas pour les petites entreprises.

Les puristes de la protection des salariés ne peuvent donc ignorer les conséquences concrètes de leur opposition à la loi: elle leur donne bonne conscience, mais elle constitue un soutien évident, dans l’après crise 2008, à l’hégémonie du grand capital sur notre organisation économique.

Combattre la loi travail ou conserver un capitalisme de la rente

Et c’est probablement là le fond du problème. Il existe un non-dit absolu dans la vision latente du monde portée par les adversaires de la loi travail: un monde de grandes entreprises policées, réglementées, leur convient infiniment mieux qu’une France parsemée de petites entreprises qui se font concurrence. Et lorsque le gouvernement annonce des mesures qui pourraient favoriser cette dernière, la « gauche » se hérisse le poil en imaginant son jardin à la française idéal perclus de mauvaises herbes, de plantes foisonnantes, d’arbustes incongrus qui vont gâcher la vue.

Sans surprise d’ailleurs, ce sont majoritairement des fonctionnaires qui se battent contre la loi. Ceux-là nourrissent une sainte horreur naturelle pour le monde auxquels ils n’appartiennent pas: pour tous ces petits entrepreneurs (forcément poujadistes, c’est même un pléonasme), ces petites entreprises (forcément insalubres et dangereuses, des zones de non-droit) qui sont incontrôlables et les éloignent tant du monde lunaire, aseptisé, dégagé des contraintes de productivité qu’on appelle le service public.

Symboliquement, il existe d’ailleurs un risque important, pour eux, de voir triompher un autre monde si la loi travail devait passer. Elle prouverait qu’une inversion de l’expansion permanente dont les protections bénéficient serait possible. Et c’est probablement cela qui est le plus important dans le combat contre la loi.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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