Syndicats et membres du MEDEF peuvent raisonnablement se poser la question de l’utilité des entretiens qu’ils ont eu avec le Premier ministre sur la réforme des retraites, en ce début de semaine. Sachant combien de temps l’on accord en temps normal à une plume pour pondre un discours -en l’occurrence celui de Jean-Marc Ayrault en direct à la télévision mardi soir à 19h00- et voyant le nombre de mouvements « entendus » qui justement, se plaignent de ne pas avoir été « écoutés », il est quasiment certain que la « road-map » étaient arrêtée bien avant lundi 9h00, heure du premier rendez-vous de « concertation ».
Le choix de faire financer le trou du régime des retraites par la CSG versus les cotisations sociales, d’abord. Une hausse de la CSG destinée à financer les retraites tenait pourtant la corde il y a peu encore. La presse bruissait de simulations d’impact, expliquant que l’effort serait réparti entre tous, pesant sur le pouvoir d’achat certes, mais avec un effet limité en raison de l’assiette de cet impôt qui ne dit pas son nom (contribution, une de plus). Lundi après midi, Pierre Gattaz, le nouveau patron du MEDEF, tout ébahi, sortait de l’hôtel Matignon avec une bonne nouvelle : la promesse d’une baisse des cotisations de la branche famille, en échange d’une petite hausse des cotisations au bénéfice de la branche retraite. « Le Premier ministre nous a entendus, nous allons gagner en compétitivité ». Bam. Hier soir, le même Pierre Gattaz rejetait la réforme, pardon, la « non-réforme » en bloc, déplorant avoir été trahi.
Une réforme des retraites sans audace ni courage
Pourquoi une hausse des cotisations versus une hausse de la CSG ? Parce que dans ce premier cas, la capacité mobilisatrice des patrons est nulle. Ils ne descendent pas ni ne font descendre leurs salariés dans la rue pour dénoncer une énième hausse des charges, qu’elles soient patronales ou salariales, ce qui ne change pas grand chose : elles sortent de la même poche, pour atterrir aussi dans la même également, mais pas celle du salarié dans tous les cas. Donc, pour le professeur (d’allemand) Ayrault, ponctionner les entreprises en augmentant leurs charges est beaucoup moins risqué que de ponctionner les Français en augmentant la CSG, au risque d’exciter un peu plus les syndicats, mais aussi d’augmenter encore le mécontentement général à quelques mois des municipales.
Vous voulez un autre exemple du mode de fonctionnement du Premier ministre ? La réforme, qui, un temps, envisageait de mettre à contribution tous les retraités, en désindexant les pensions de retraite par exemple, ne va finalement changer la donne que pour les retraités ayant élevé trois enfants, ou plus. Combien de français sont dans cette situation, sachant que le taux de natalité moyen s’établit depuis plusieurs années autour de 2 enfants par femme ? Moins de 15 %. Seuls 15% des foyers français avec enfants ont élevé ou élèvent trois enfants, ou plus. Or, à quoi « servent » ces enfants ? A payer les retraites bien sûr. Dans un système dans lequel le nombre de cotisants baisse régulièrement par rapport au nombre de retraités indemnisés, chaque cotisant en plus est une aubaine.
Les familles nombreuses donnent des cotisants au système de retraite sans être récompensées en retour
Si l’on ajoute le fait inéluctable et largement démontré par des études économiques mais évidemment frappé au coin du bon sens que les familles nombreuses ont moins de capacité à épargner pour les vieux jours des parents puisqu’elles doivent financer les études de leurs enfants et les mettre ensuite sur les rails de la vie, on comprend pourquuoi jusqu’à hier encore, les bonifications de carrière des parents ayant élevé trois enfants et plus étaient exonérées d’impôt. Jusqu’à hier. Pourquoi ? Parce que Jean-Marc Ayrault sait, là encore, qu’il s’attaque à un « non corps constitué », à une masse informelle de citoyens réunis entre eux par un choix de vie, mais faiblement structuré et incapable d’aller bloquer des trains ou défiler dans la rue sous les fenêtres de Matignon.
La méthode Ayrault ne brille pas par son courage ni son audace. Mais si encore elle permettait de résoudre maladroitement, en créant de nouvelles injustices, un problème aussi ardu que le déséquilibre des systèmes de retraites, on pourrait fermer les yeux. Or, cette réforme, ne résous rien. C’est un cautère sur une jambe de bois. Les déficits vont continuer à se creuser. On parle de 200 milliards cumulés, en 2020, au rythme actuel. Avec en trame de fond, le spectre de la faillite du système au 600 régimes spéciaux que le gouvernement n’a pas osé toucher. Pas un seul ! Mais évidemment, en renvoyant de 2020 à 2035 la période d’allongement (modéré) des cotisations.. Pas de risque non plus de mettre grand monde dans la rue !