Les Irlandais sont sortis de la crise par l’austérité ; pourtant, leur expérience ne peut inspirer le reste du monde, défend un de leurs économistes.
Les Irlandais défient-ils la loi de Murphy qui prévaut ? Cette loi énonce que « tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal. » Une formulation plus longe est que « s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose et qu’au moins l’une de ces façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un quelque part pour emprunter cette voie. » Aujourd’hui nous allons nous pencher sur l’Irlande avec cette question : dans un monde grevé par la dette, l’austérité fonctionne-t-elle ?
Les gouvernements doivent-ils gérer des budgets raisonnables ? Ils sont nombreux à travers le monde à ne pas le faire et ils semblent bien s’en tirer… Exceptés en Zone euro et en Amérique du Sud. Pour remettre d’aplomb un budget après des excès de prodigalité, l’austérité serait-elle dangereuse ? La Grèce est souvent donnée en exemple. L’austérité à l’irlandaise serait alors l’exception confirmant la règle.
L’économiste irlandais Stephen Kinsella explique sur l’Alphachat du Financial Times pourquoi l’Irlande n’est en fait pas un exemple. Certes, l’austérité y a fonctionné, mais c’est uniquement en raison de caractéristiques uniques propre à l’Irlande, explique Kinsella. L’Irlande a réussi à se relever malgré l’austérité affirme-t-il. Les autres pays ne devraient pas prendre exemple sur ce cas. Ils seraient induits en erreur. Après un sévère recul entre 2008 et 2010, la croissance est fortement repartie à la hausse pour atteindre 7,2% et le pays s’est fortement désendetté.
La conclusion de Kinsella contredit ses propres arguments et soutient même les points de vue contre lesquels il s’élève. Quels sont ces facteurs que Kinsella met en avant ? En quoi l’Irlande serait-elle si spécifique ?
Une économie de marché très ouverte au commerce mondial
L’économie irlandaise est très ouverte aux investissements étrangers et au commerce mondial. Le commerce représente un pourcentage très élevé du PIB, ce qui a été un facteur de soutien durant la crise et a permis à l’économie de se rééquilibrer rapidement. Les exportations irlandaises s’en sont bien sorties tandis que les importations vacillaient, ce qui a eu pour effet d’améliorer la balance commerciale. Les investissements étrangers ont contrebalancé la perte d’investissements locaux. La migration y est également ouverte. Un très grand nombre d’Irlandais ont émigré durant la crise. Selon Kinsella, cela a eu des effets très déplaisants, sans qu’il explicite plus avant son propos.
Les Irlandais que j’ai rencontrés à travers le monde semblent assez contents d’avoir quitté leur pays. Mais naturellement, perdre une personne sur neuf en sept ans est un changement important. Cela a permis de maintenir le chômage à un niveau bas au cours de la crise, masquant à quel point cette crise a été dure. C’est l’argument de Kinsella. Etudions de près ces deux facteurs. Ils montrent qu’avoir une économie de marché et une économie ouverte aide à surmonter une crise. Ils montrent que permettre la migration enrichit les gens. C’est une leçon fantastique pour les autres pays en crise. Si vous êtes dans une crise économique, plutôt que d’imposer des restrictions sur le commerce, d’essayer d’enrayer l’émigration et d’empêcher le monde d’entrer, il faudrait faire le contraire. Il faut encore plus d’économie de marché, s’ouvrir encore plus aux autres.
Kinsella explique également que l’Irlande est entrée dans la crise financière avec un très faible endettement national, ce qui lui a permis de se sortir de la crise. Ceci est un argument en faveur de l’austérité en périodes de vaches grasses comme en périodes de vaches maigres. C’est une bonne leçon pour les autres pays. La dette est dangereuse parce qu’elle entrave.
Taxer peu mais de très grandes entreprises
Une raison pour laquelle l’Irlande s’en sort bien avant et durant la crise est son énorme réservoir d’entreprises multinationales. L’Irlande est un paradis fiscal. Elle accueille des multinationales gigantesques, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis venu y vivre à l’âge de sept ans, tout près de l’endroit où travaille aujourd’hui Kinsella, à l’Université de Limerick. Kinsella semble penser que ces multinationales ont choisi de s’installer en Irlande du fait du hasard ; il oublie que c’est le résultat d’une politique fiscale intelligente. Or cette politique a pour idéologie l’économie de marché. L’Irlande montre à quel point un pays peut tirer bénéfice d’impôts bas. Plutôt que d’augmenter les impôts pour augmenter les rentrées fiscales, il faut les diminuer suffisamment pour attirer les grandes multinationales.
Mais qu’en est-il de l’austérité au cours d’une crise ? Fonctionne-t-elle ou pas ? Kinsella n’aborde pas ce sujet durant l’interview. Un exemple qui montre que l’austérité ne fonctionne pas, selon Kinsella, est que les Irlandais se sont imposés l’austérité à eux-mêmes avant que cela soit demandé par le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne. Hmmm. Ce n’est guère un argument contre l’austérité, qu’elle soit imposée ou pas. Encore plus étrange, Kinsella affirme que le filet de S écurité sociale et l’émigration ont permis à l’économie irlandaise de croître durant la crise. C’est complètement idiot. Une économie ne peut pas croître grâce à l’émigration, ni grâce à un filet de Sécurité sociale. Cela ne rentre pas non plus dans le récit de l’austérité.
Selon Kinsella, « personne en Irlande ne croit en l’infaillibilité et en la primauté des marchés. » Pourtant, j’ai rencontré beaucoup de gens qui y croyaient il y a un an. Mais ce sont souvent ceux qui ont quitté le pays à l’occasion de cette vague d’émigration que Kinsella mentionne. Même si ces gens ne reconnaissent pas la primauté de l’économie de marché, leurs actions prouvent que c’est pourtant bien le cas. Ils ont compris que l’économie de marché les oblige à tracer leur propre route plutôt que de voter lors d’élections pour une politique économique souhaitable. En économie de marché, les gens se concentrent sur ce qu’ils font et non sur leurs revendications. C’est pourquoi le célèbre traité économique sur l’économie de marché de Ludwig von Mises publié en 1940 s’intitule Action Humaine et non « Théorie Générale de… »
Les arguments de Kinsella sont franchement bizarres. Ils expliquent comment l’austérité fonctionne. Ils expliquent comment l’économie de marché et les marchés ouverts aident à sortir d’une crise économique. Ils expliquent pourquoi l’austérité avant une crise financière est importante – en réduisant la dette elle permet de survivre à une crise financière. Au lieu de se rendre compte que l’économie de marché et une économie ouverte fonctionnent, Kinsella arrive à la conclusion que l’austérité ne fonctionne pas.
Le filet de Sécurité sociale ne doit pas être retiré en période de crise
L’économie de marché et un budget équilibré peuvent s’appeler austérité, assainissement budgétaire comme le dit Kinsella ou ce que vous voulez. Mais dire que l’Irlande est unique et que par conséquent l’austérité ne devrait pas être tentée par les autres pays est une façon décevante d’y réfléchir. Comme l’a souligné le présentateur de l’Alphachat, « l’austérité qui a été imposée a donné les résultats attendus qui étaient prévus… » Toutefois, Kinsella fait une remarque très intéressante dans son interview. Pourquoi les Irlandais n’ont-ils pas manifesté ? Partout ailleurs dans le monde les gens se sont soulevés contre l’austérité.
D’abord, l’Etat a maintenu les parties cruciales de son filet de Sécurité sociale. L’enlever aux gens dans ces circonstances est pire que de les rendre dépendants en premier lieu, c’est donc une bonne idée. Il existe un autre phénomène sur lequel Kinsella et moi sommes d’accord. Lorsque j’ai visité Limerick, le ministre des Finances irlandais de l’époque était assis derrière moi dans le pub où je dégustais des scampi. Il était venu sans garde du corps. On peut supposer que lors de la crise financière, les responsables politiques étaient insultés durant leurs moments de détente au pub. Cela freine la mise en place de politiques stupides dont les responsables politiques se dédouanent en se cachant derrière leurs gardes du corps comme aux Etats-Unis.
Les entreprises aussi vont se mettre à l’austérité
Les Etats de la Zone euro et les Etats américains ne peuvent pas imprimer de la monnaie. Pour eux, l’austérité n’est qu’un problème arithmétique. Ils n’ont pas le choix. C’est pour cela que tous finissent par l’imposer. Mais généralement les Etats qui impriment leur monnaie préfèrent tenter l’inflation d’abord. Il n’y a pas que les Etats qui ont des problèmes d’austérité. Les entreprises elles non plus ne peuvent pas imprimer de l’argent. Elles ne peuvent même pas modifier les lois pour truquer les comptes en leur faveur.
Au Japon, les engagements en matière de retraite des grandes entreprises menacent de poser de gros problèmes. Ce phénomène arrive aux Etats-Unis. Les malheurs de General Electric ont récemment été rapportés par les médias. Selon Bloomberg, il manque au fonds de pension de General Electric 31 Mds$ soit 33% du total des engagements dans ce domaine. Même après avoir dépensé 1 Md$ par an pour cotisations de retraite, le trou s’agrandit. Les changements démographiques à l’origine de ce phénomène mondial ne font que commencer. Notre monde devra changer radicalement avec des paiements de retraites qui deviennent exigibles dans le public comme dans le privé. Le modèle actuel ne fonctionnera pas.
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