Depuis 40 ans, la France vit au rythme de ses déficits publics. Compte tenu des évolutions démographiques et de la situation économique, les pertes de nos régimes de retraite contribuent depuis quelques années à l'aggravation de la dette publique qui atteint en 2013, 92 % du PIB. Pour autant, le « circuler il n'y a rien à voir » et « demain, tout ira mieux » servent de devises à de nombreux gouvernements.
Notre assurance-vieillesse ressemble à un navire pris dans une tempête annoncée par Météo France de longue date mais dont le capitaine un peu ivre juge la mer plate et sûre. Il ressemble surtout à une énorme pyramide de Ponzi à la nuance près que pour financer les retraites d'aujourd'hui, il faut prélever une part croissante de la richesse produite par les actifs mais aussi préempter les richesses de demain pour rembourser les déficits.
Une répartition explosive
La répartition repose sur un principe simple, les cotisations versées par les actifs ayant un emploi financent les prestations des retraités. En contrepartie de ce prélèvement, les actifs acquièrent logiquement des droits pour leur future pension. Par application de ce principe, les générations les plus jeunes contribuent aux retraites de celles qui les ont précédées. Cette solidarité intergénérationnelle fonctionne tant que le nombre de bénéficiaires reste faible et tant que la masse salariale servant d'assiette aux cotisations progresse. A partir du moment où le nombre de pensionnés augmentent plus vite que les actifs ayant un emploi et que la masse salariale pour des raisons démographiques et économiques stagnent, la répartition devient explosive. A défaut de pouvoir réduire le nombre de pensionnés, de diminuer les pensions ou d'accroître les cotisations, il faut recourir à la cavalerie.
Les futures générations subissent alors une double voire une triple peine. Ils doivent financer les pensions des aînés, financer les dettes accumulées et accepter que leurs futures retraites soient réduites. Le contrat intergénérationnel peut-il exploser ? Ce n'est pas évident car les retraités concourent de plus en plus financièrement à la vie de leurs petits-enfants et il faut ne pas négliger la capacité de passivité des peuples. En outre, les générations du papy-boom contrôlent une grande majorité des rouages économiques et politiques du pays. Il ne faut pas oublier que les 15 millions de retraités sont des électeurs...
La France hypothèque son avenir
Contrairement aux propos lénifiants du Premier Ministre sur les retraites, la France est dans une situation plus qu'inconfortable. L'équation est simple. Notre pays détient, au sein de l'Union européenne, le record de l'espérance de vie à 65 ans, c'est une bonne nouvelle, plus de 19 ans pour les hommes et près de 24 ans pour les femmes. Depuis les années 60, la durée de la vie active s'est contractée de 8 ans quand la durée de la retraite a gagné 10 ans. Les retraités qui représentent 20 % de la population pourraient, d'ici 2050, en représenter un tiers. En plus de cette spécificité, nous avons la chance d'avoir conservé un taux de fécondité relativement élevé, autour de 2. Cet atout pour l'avenir est, en revanche, à court et moyen terme, coûteux.
A la différence de l'Allemagne ou de l'Italie, nous devons consacrer une part plus importante de notre richesse nationale à la formation des jeunes. L'augmentation de la population, 200 000 par an, crée, en outre, des tensions sur le marché de l'immobilier. La France a le ratio de dépendance (rapport entre inactifs jeunes et retraités par rapport à la population d'âge actif) le plus dégradé de l'Union européenne. Il est de 55 % contre une moyenne communautaire de 50 %. En prenant en compte les 5 millions de personnes sans emploi ou occupant un emploi à temps partiel subi, le taux est supérieur à 60 %.
Le vieillissement est une bombe à retardement et à fragmentation
Nous devons gérer deux chocs, celui de l'allongement de la durée de vie et celui de l'arrivée des baby- boomer à l'âge de la retraite. Pour la France, la fin de ce double choc interviendra après 2040 avec un pic qui se situera autour de 2030. A ce moment, là, les gros bataillons du baby-boom, les générations des années 60 seront à la retraite. Mais, pouvons-nous attendre à meilleure fortune sachant que d'ici là nous risquons de périr sous les charges et les dettes.
Les gouvernements, par peur des réactions de l'opinion et des partenaires sociaux, minimisent sciemment l'importance du problème et optent pour des mesures d'apparence indolore. Depuis 1993, date de la première réforme réelle des retraites, les économies réalisées s'élèvent à près de six points de PIB à l'horizon 2030, soit deux fois le montant de l'impôt sur le revenu. Ce sont les retraités actuels mais surtout ceux de demain qui supporteront les conséquences des différentes réformes. Les pouvoirs publics répètent que le montant des pensions ne baissera pas mais refusent, en revanche, de publier les taux de remplacement des générations qui partiront à la retraite d'ici 2030.
Or, ils diminueront par le simple fait de la désindexation par rapport aux salaires et le calcul des pensions en fonction des 25 meilleures années en lieu et place des 10 meilleures. L'argument du maintien du niveau des retraites ne repose que sur un effet d'optique. Les générations partant actuellement à la retraite ont connu des carrières plus progressives que celles de leurs aînés. De plus, arrivent à la retraite des générations de femmes dont le taux d'activité a fortement progressé et dont la vie professionnelle est moins interrompue par la naissance des enfants. De ce fait, automatiquement, leurs pensions sont supérieures à celles de leurs mères tout en restant nettement inférieures à celles des hommes.
Au-delà de ces effets d'optique, à défaut de mettre en œuvre un plan global de gestion du vieillissement, les pouvoirs publics acceptent un appauvrissement implicite des futurs retraités. A ce titre, ils font supporter une nouvelle charge aux jeunes générations sous la forme d'une détérioration de leur pouvoir d'achat quand ils seront à la retraite. En laissant filer les déficits aujourd'hui pour prévoir un retour à l'équilibre des comptes publics en 2020, il y a un pari, celui du retour de la croissance et de la baisse du chômage.
Par absence de consensus, la réforme au fil de l'eau s'est imposée. C'est ainsi que toutes les réformes systémiques qui permettraient de déboucher sur un système de retraite plus facilement pilotable ont été abandonnées. C'est également ainsi que le développement de la capitalisation reste un tabou en France quand tous nos partenaires y ont recours. L'un comme l'autre ne résoudrait pas d'un coup de baguette magique la question du financement des retraites. Néanmoins, ils apporteraient quelques marges de manœuvre qui nous font cruellement défaut aujourd'hui.