Le droit à l’erreur fait désormais partie des tartes à la crème de la macronie. Il doit permettre aux entreprises d’échapper aux redressements systématiques décidés par les administrations contrôlantes. On regrettera qu’il n’ait pas fait l’objet d’un large débat préalable, qui aurait permis d’en mesurer le vice: le texte actuellement présenté à l’Assemblée y aurait gagné…
Le texte sur le droit à l’erreur est désormais en discussion à l’Assemblée Nationale. On lira attentivement ce qu’il dit… et ce qu’il ne dit pas, car il illustre à merveille l’incapacité de l’administration française à se réformer et à simplifier les règles qu’elle déploie. Face à cette résistance au changement de tous les instants, Macron utilise une tactique vieille comme le monde: le cautère sur une jambe de bois.
Le droit à l’erreur à rebours des principes républicains
Qui n’a pas appris, à l’école, que « nul n’est censé ignorer la loi »? Cette règle, fondamentale en démocratie et en République, suppose qu’un citoyen ne puisse invoquer sa méconnaissance de la loi pour la violer.
Avec le droit à l’erreur, le législateur français la met en pièces. Désormais, en effet, il est supposé que, de bonne foi, le citoyen, et notamment l’entrepreneur, ne connaisse pas la loi ou, en tout cas, ne puisse pas l’appliquer de façon simple. Pour lui laisser une « chance », l’administration sera donc tenue de ne pas le sanctionner immédiatement, mais de l’inviter à réparer son erreur. Cette « chance » sera offerte une fois.
On voit bien le raisonnement qui est sous-tendu par ce dispositif: trop de textes sont incompréhensibles, ou difficilement applicables. Donc, on assouplit la dureté des sanctions en reconnaissant que le citoyen est susceptible de ne pas tous les connaître.
L’excès de réglementation: le mal du siècle
En aménageant ainsi un modus vivendi avec l’excès de réglementations et avec l’opacité de leur contenu, on voit bien le vice à l’oeuvre. Pourquoi le législateur, devenu au fil du temps la meilleure marionnette de l’administration, réfrènerait-il ses envies de faire des textes sur tout et sur n’importe quoi? puisque le citoyen sera pardonné de ne pas tous les connaître et de ne pas tous pouvoir les appliquer…
Le droit à l’erreur n’est pas, contrairement au discours macronien, une façon de simplifier les choses. C’est au contraire une arme pour justifier à terme l’expansion continue de ce mal séculaire qu’on appelle l’hyper-réglementation. Face à un monde en voie de transformation radicale, les rentiers d’hier se crispent et multiplient les règles, les contraintes, les entraves, pour retarder le plus longtemps possible le moment où ils perdront leurs prérogatives.
Cette crispation est devenue si étouffante que le pouvoir politique est obligé désormais de desserrer la contrainte en instaurant ce droit à l’erreur.
Macron a-t-il renoncé à réformer l’État?
On s’inquiétera donc de ce droit à l’erreur, et du renoncement dont il est discrètement porteur. Face aux innombrables contentieux qui accablent la vie des citoyens, et tout particulièrement des entrepreneurs, le président de la République aurait fait oeuvre utile en prenant deux mesures fondamentales. La première aurait consisté à interdire toute nouvelle réglementation. La seconde aurait consisté à déréglementer systématiquement.
Tournant le dos à cette volonté réformatrice, Emmanuel Macron a finalement décidé de faire le jeu de ses administrations, en leur donnant implicitement un permis d’hyper-réglementer comme elles le souhaitent. Plus de problèmes, puisque les citoyens ne seront plus obligés de connaître les tombereaux de textes dont regorgent les armoires des administrations.
Disons-le tout net: ce mauvais signal envoyé aux ayatollahs du décret, de l’arrêté, de la circulaire, devrait rapidement provoquer une pression sur les effectifs. Il suffit d’avoir fait un passage même très bref dans une administration pour savoir que le fonctionnaire justifie son emploi en réglementant. S’il peut le faire sans se préoccuper de la capacité du citoyen à appliquer ces règles, l’imagination devrait définitivement prendre le pouvoir dans les bureaux. Et, dans les six mois, aboutir à des demandes de créations de postes pour contrôler les réglementations nouvelles induites par ce mécanisme pervers.
Le renoncement à l’intelligibilité de la loi…
On a bien compris quel principe démocratique allait prendre le plus vilain coup à l’occasion de ce texte: celui de l’intelligibilité de la loi.
Ce principe à valeur constitutionnelle a déjà beaucoup souffert durant les dernières décennies, à force de textes touffus rédigés en hâte puis caviardés en commissions ou dans les différents hémicycles qui nourrissent des parlementaires parfois en mal d’inspiration. La reconnaissance d’un droit à l’erreur devrait constituer un permis définitif à bâtir des textes complexes, abscons et souvent contradictoires.
Là où Macron aurait dû combattre, il préfère rendre viable, avec la généralisation progressive du rescrit. Cette technique consiste à demander aux administrations ex ante leur interprétation d’un texte en vigueur appliqué à un cas concret. Là encore, le vice progresse: au lieu d’exiger des pouvoirs publics des textes simples et clairs, on contraint peu à peu les citoyens à demander aux administrations comment les appliquer.
Cet usage est à rebours de la démocratie, car il confie en dernier ressort le pouvoir de faire la loi à des fonctionnaires. Les lois ne sont pas claires, qu’importe! l’administration dit la façon de les appliquer.
On a bien tort de tolérer ces dérives! car le rescrit est une arme redoutable: il est insusceptible d’appel. Donc, une entreprise qui demande un rescrit (social) par exemple, ne peut plus contester l’interprétation des textes faite par les auteurs du rescrit.
Voilà une excellente façon de voir disparaître un droit historique conquis de haute lutte contre Vichy, à l’occasion de l’arrêt Dame Lamotte de 1950: celui de contester un acte administratif.
Le nouvel article L. 123-1 reconnait un droit à l’erreur au bénéfice de l’usager de l’administration en cas de méconnaissance d’une règle applicable à sa situation : il précise ainsi que l’usager ne pourra faire l’objet d’une sanction, s’il a régularisé sa situation, de sa propre initiative, ou après y avoir été invité par l’administration (alinéa 4).
Cette disposition signifie donc que :
– le droit à l’erreur s’appliquera en cas de première méconnaissance involontaire d’une règle. Si la personne méconnaît une nouvelle fois cette même règle, elle s’exposera à la sanction administrative encourue ;
– seules les erreurs régularisables sont concernées, comme le précise l’étude d’impact du projet de loi. Les retards ou omissions de déclaration dans les délais prescrits par un texte, parce qu’elles ne sont pas régularisables, n’entrent donc pas dans le champ d’application du droit à l’erreur.
? L’alinéa 5 prévoit que la sanction pourra être cependant prononcée en cas de mauvaise foi ou de fraude, et ceci sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation. Il s’agit par-là d’écarter du bénéfice du droit à l’erreur les erreurs grossières ou qui témoignent d’une négligence grave.
Ainsi que le précise l’étude d’impact du projet de loi, ce dispositif « ne tend pas à accorder aux administrés un droit de commettre des erreurs. Il leur reconnaît un droit de régulariser une erreur commise de bonne foi. »
La notion de « bonne foi » n’est volontairement pas définie par le projet de loi. Interrogé sur ce point par votre rapporteur, le Gouvernement a expliqué ce choix par la volonté de maintenir pour les administrations une certaine souplesse dans l’appréciation du comportement de l’usager, compte tenu de la diversité des situations envisageables. Cette absence de définition ne signifie pas l’arbitraire, dès lors que, dans l’appréciation du droit à l’erreur, la mauvaise foi correspondra à la détection d’un élément intentionnel ou d’une négligence caractérisée, appréciée en fonction des circonstances propres à chaque manquement, qu’il appartiendra à l’administration d’établir et de justifier.
La bonne foi étant présumée, c’est en effet à l’administration qu’il appartiendra de motiver, en fait comme en droit, son refus de faire droit à la demande de prise en compte de la bonne foi de l’usager. En toutes hypothèses, l’appréciation de la bonne ou de la mauvaise foi interviendra sous le contrôle du juge, lequel précisera, par sa jurisprudence, les contours de cette notion, comme il le fait déjà de longue date en matière fiscale.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog