Pourquoi les historiens devraient-ils répondre à la question : d’où venons-nous ?

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Par Sylvain Venayre Modifié le 8 avril 2016 à 16h05
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@shutter - © Economie Matin
19Au 19ème siècle, la connaissance du passé semblait nécessaire pour comprendre le monde.

Le XIXe siècle avait pris l’habitude de rechercher dans le savoir historique la clé de la compréhension du monde. Ce passé semble aujourd’hui bien lointain. Aujourd’hui, ce sont les économistes et les sociologues, pour ne citer qu’eux, qui paraissent détenir les moyens d’intelligibilité de nos sociétés. Ce sont eux que l’on interroge pour tenter de deviner notre avenir, à partir de notre présent.

Cependant un domaine semble devoir demeurer l’apanage des historiens : celui des origines, par lequel on croit pouvoir élucider le mystère de l’identité. Si les historiens sont rarement invités à répondre à la question : « où allons-nous ? », on veut croire qu’ils sont toujours les mieux placés pour dire d’où nous venons et, du même coup, qui nous sommes. De magazines spécialisés en émissions de radio, de plateaux-télé en essais hâtivement écrits, ils sont ainsi très nombreux à revendiquer le nom d’historiens pour dire leur vérité, toujours relative pourtant, sur nos origines et notre identité.

Ce qui m’indigne n’est pas tant que ces auteurs maîtrisent rarement les règles élémentaires de cette discipline historique qui leur sert de principal argument. C’est précisément que le nom même d’histoire puisse leur être un argument. Au nom de quoi les historiens seraient-ils les mieux placés pour dire ce que sont les origines ?

C’est sans doute en partie de la faute des historiens, bien sûr. Ceux du xixe siècle, en ce temps où l’histoire était un savoir majeur, se sont presque tous lancés dans une quête mystique des origines nationales. Augustin Thierry, qui fut peut-être le premier d’entre eux, parlait déjà d’identité nationale. A quelques remarquables exceptions près, ils ont presque tous contribué à propager cette idée fausse selon laquelle les origines d’un phénomène seraient aussi sa vérité. Dites-moi de quand date la France, je vous dirais qui elle est. La principale gloire de Michelet est d’avoir su penser les choses autrement, quand tant de ses contemporains, à coup de races, de langues, de sols, de frontières, de baptêmes de Clovis, exposaient avec fougue leurs vérités sur la nation.

Oui, mais voici : nous ne sommes plus au XIXe siècle. Bien sûr il y a eu, et à une époque encore récente, certaines régressions de la pensée. Mais enfin la plupart des historiens de métier savent aujourd’hui que le principal ennemi du raisonnement historique réside précisément dans ce que Marc Bloch nommait « la hantise des origines ». Partir en quête des origines, pour le dire comme Foucault, c’est rechercher un déjà-là qui est le contraire même de l’histoire. C’est une affaire de métaphysicien.

Est-ce que dire cela revient à penser que les historiens n’ont aucune utilité dans le débat public ? Certainement pas. Les historiens peuvent justement démontrer que notre conception des origines a une histoire et que ceux qui croient aujourd’hui définir l’identité par les origines empruntent leurs façons de penser à un autre temps. Ils peuvent aussi expliquer que l’histoire n’est plus ce lieu de production du Même, qu’elle était encore pour la plupart des penseurs du xixe siècle, mais le moyen très utile d’une compréhension de la différence (car de quoi pense-t-on parler quand on parle de nos origines ?). Parce que c’est leur métier, ils savent que faire l’histoire d’un problème, c’est commencer à le résoudre.

Faisons donc une place aux historiens dans le débat public, mais pour de bonnes raisons.

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Sylvain Venayre est professeur d’histoire contemporaine à l’université Grenoble-Alpes. Il a récemment publié Les Origines de la France. Quand les historiens racontaient la nation (Paris, Seuil, 2013).

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