L’offensive actuelle d’Orange en Afrique met en relief la recomposition actuelle du secteur des télécoms sur le continent. La refonte des business model des opérateurs de télécommunications marque l’entrée dans une ère nouvelle où les entreprises du secteur redoublent d’imagination pour préserver des marges très juteuses.
La téléphonie mobile a connu un succès retentissant auprès des Africains habitués avant la libéralisation du secteur à un réseau de téléphonie fixe faiblement étendu et de piètre qualité. Le taux de pénétration du mobile dépasse désormais 80 % dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et même 100 % dans certains pays comme le Sénégal, le Mali, le Gabon ou le Botswana. Un taux de pénétration dépassant les 100 % devrait assez rapidement devenir la norme dans la plupart des autres pays africains.
L’Afrique est un continent aux enjeux importants pour les opérateurs télécoms. Fin 2012, l’association mondiale des opérateurs télécoms a déclaré que l’Afrique subsaharienne est, depuis 2000, le marché qui connaît des taux de croissance significatifs dans la téléphonie mobile avec un taux moyen de 40 % par an. En termes de rentabilité, le continent africain offre des opportunités très attractives. Les opérateurs télécoms présents en Afrique affichent en effet des niveaux de rentabilité confortables. Par exemple, la marge sur EBITDA en 2015 s’élevait à 52 % pour la Sonatel au Sénégal et à 51 % pour Maroc Télécoms au Maroc. Le Groupe Orange affiche en comparaison sur la même période une marge de « seulement » 30 % environ. Dans le même sens, la Sonatel affichait en 2014 un ROE (« return on equity ») de 25 % contre environ 7 % pour le groupe Orange à la même période.
Coté ménages et utilisateurs de services télécoms en Afrique, l’histoire est un peu différente. Si aujourd’hui l’accessibilité à la téléphonie mobile est indéniablement un succès en Afrique, la téléphonie mobile reste toutefois un poste de dépenses important dans la plupart des pays et une charge financière lourde pour les ménages. Selon l’ITU, en moyenne 23 % du revenu national brut par habitant étaient consacrés aux dépenses de téléphonie mobile en 2013 en Afrique (21 % pour le Burkina Faso, 34 % pour le Niger ou 38 % pour le Togo). Ce même taux n’était que de 1,1 % pour la France ou encore 2,9 % pour la Turquie.
L’importance des dépenses de téléphonie mobile s’explique par le fait que le pouvoir d’achat des ménages en Afrique demeure relativement faible mais pas uniquement. L’intensité concurrentielle est aussi globalement plus faible sur le continent. Il est courant d’observer des opérateurs avec plus de 50 % de part de marché (MTN au Cameroun, Unitel en Angola, Vodacom en Afrique du Sud, Sonatel au Sénégal, etc.). Des marchés oligopolistiques sont bien entendu moins favorables aux consommateurs, notamment en termes de prix. De plus, à l’instar de ce que l’on a observé en Europe au début du développement de la téléphonie mobile, il existe une différenciation tarifaire on-net (intra-réseau) / off-net (inter-réseaux) qui peut avoir des effets anti-concurrentiels en favorisant les acteurs ayant les plus grandes bases de clientèle et en maintenant des prix artificiellement élevés.
De la tarification à la voix à la tarification à la data
Depuis quelques années le marché télécoms africain est entré dans une nouvelle ère. Après plusieurs opérations de fusions-acquisitions (Bénin, Burundi, Sierra Léone, RDC, Centre-Afrique, Egypte, etc.), le marché se consolide autour des grands acteurs internationaux. Les opérateurs rationalisent leurs dépenses et externalisent certains postes de coûts (réseau ou pylônes par exemple) afin de les maîtriser.
Les acteurs du secteur sont obligés de faire sensiblement évoluer leurs modèles d’affaires. Les revenus des opérateurs sont menacés en effet par les guerres des prix initiées notamment par l’opérateur Indien Airtel mais aussi par le développement rapide d’applications OTT (« over-the-top ») comme Whatsapp ou Viber. Dans les deux cas, les revenus de la voix, qui jusqu’à présent constituent la principale source de revenus des opérateurs, sont en chute constante.
L’avenir des opérateurs télécoms se joue désormais au niveau de la data, avec une équation difficile à résoudre : comment passer d’une tarification basée sur la voix à celle basée sur la data dans un environnement plus « hostile » ? Pour répondre à cette question, certains opérateurs n’ont pas hésité à bloquer l’accès de leurs abonnés à ces applications (au Maroc ou en Egypte par exemple) mais cette solution n’est absolument pas viable à long terme. Pour la plupart des régulateurs, y compris en Europe, la régulation des contenus et des acteurs non considérés comme des opérateurs télécoms n’est pas à l’ordre du jour.
L’essor du « mobile banking »
Une alternative pour les opérateurs consiste à migrer eux-mêmes vers le contenu. Dans ce domaine, les solutions de « mobile banking » constituent une opportunité formidable pour les acteurs télécoms. L’augmentation tant attendue du taux de bancarisation, estimé à environ 20 % par la Banque européenne d’investissement en 2013, peut passer par les opérateurs télécoms s’ils saisissent pleinement l’opportunité. Par exemple, Safaricom implanté au Kenya a annoncé qu’il comptait plus de 17 millions d’abonnés au M-Banking. Son système M’Pesa est un porte-monnaie électronique qui permet à la fois d’échanger cet argent virtuel entre clients et le paiement de factures aux entreprises ayant adhéré au réseau.
Les opérateurs doivent aussi aujourd’hui repenser la répartition des revenus générés par la data entre opérateurs et fournisseurs de contenus. Par exemple, Bharti Airtel Afrique a signé en novembre 2015 un partenariat avec Facebook dans les 17 pays africains où l’opérateur est présent pour le lancement de services.
Les acteurs du secteur télécoms africain doivent enfin reformuler leur business model pour tarifer de manière appropriée la data (avec des enjeux importants en termes d’investissement dans le déploiement des réseaux). La question qui se pose peut se résumer ainsi : comment monétiser au mieux la data mobile et créer de la valeur supplémentaire pour augmenter les ARPU et rentabiliser le déploiement des réseaux et les coûts élevés de bande passante internationale ?