Le nouveau contrat de travail qu’envisage de faire passer le Président Macron ne sert pas seulement les patrons en recherche de flexibilité, c’est surtout une réponse à la mutation du marché de l’emploi et une direction donnée aux salariés en quête de sens.
Les députés viennent de donner leur feu vert à Emmanuel Macron pour la fameuse réforme du code du travail espérée de longue date par le patronat, MEDEF en tête, et redoutée par les syndicats et l’extrême gauche brandissant le livre sacré à bout de bras.
Dans ce projet de loi porté par la Ministre du Travail Muriel Pénicaud, le point qui cristallise toutes les attentions est le CDI de projet, une généralisation du CDI de chantier bien connu dans le BTP. Un compromis entre CDI et CDD dont l’objectif est de favoriser la flexibilité de l’embauche et du licenciement, en se basant sur les projets de l’entreprise, donc sur ses besoins réels.
Une évidence pour coller au monde d’aujourd’hui
Le monde a changé en 30 ans, mais le CDI et le CDD sont restés les mêmes, rigides, ni l’un ni l’autre ne convenant réellement aux entreprises d’aujourd’hui. Les gouvernements successifs ont mis en place des palliatifs, un exemple récent étant la rupture conventionnelle qui remporte un vif succès, libérant plus facilement patrons et salariés prisonniers du carcan strict et figé du CDI, et rééquilibrant leur rapport de force.
Comme il parait impensable de briser d’un seul coup ce sacro-saint CDI, il est donc nécessaire de passer par un nouveau palliatif faisant évoluer la situation progressivement. Le CDI de projet n’est peut-être pas la réponse idéale à tous les secteurs, d’où les négociations prévues par branche, mais dans la nouvelle économie du digital, des services innovants, des start-ups, des Millenials et des cadres supérieurs cherchant un sens à leur travail, cette idée de nouveau CDI est plus que bienvenue, elle sonne comme une évidence.
Les starts-ups, et de manière plus globale les entreprises du numérique, ne sauraient être représentatives de l’ensemble de l’emploi en France, c’est certain, mais font tout de même figure de modèles avant-gardistes tournés vers l’avenir, que nous pouvons prendre comme exemple.
Dans ces entreprises du digital et de l’IT, le travail est de plus en plus organisé en « mode projet » avec un objectif précis, une durée plus ou moins définie et la constitution d’une équipe où chacun a son rôle à jouer. Le CDI de projet prend tout son sens dans ce type de contexte où la flexibilité est primordiale pour multiplier les projets et garantir leur réussite.
Un projet pour donner du sens à son travail
Si l’on se positionne du côté du salarié, on constate que de plus en plus de cadres et de jeunes diplômés souhaitent désormais s’engager davantage sur des missions que dans une entreprise dans son ensemble. Ils recherchent avant tout une aventure humaine à la vision claire et motivante. Dans CDI de projet, le terme clé est « projet », évocateur de construction positive.
L’ouverture récente de Station F, le plus grand incubateur du monde aux 1000 start-ups ne nous montre-t-elle pas l’adhésion de milliers de jeunes entrepreneurs au concept de CDI de projet ? Le deal est clair : travailler un temps indéterminé à la réussite de la start-up ou passer à autre chose si le projet échoue.
Le CDI classique est-il donc devenu obsolète et dépassé ? Il concerne aujourd’hui 75% des personnes occupant un emploi, en légère baisse depuis 10 ans. Mais qu’en sera-t-il dans 10 ans ? Les travailleurs indépendants ont de leur côté le vent en poupe (+120% en 10 ans) et ne fonctionnent déjà qu’en mode projet avec des clients qui recherchent cette flexibilité via une multitude de nouvelles plateformes de mise en relation avec des freelances.
Les syndicats et politiques qui se dressent en évoquant un « coup d’état social » en parlant du CDI de projet ne seraient-ils pas en train de s’opposer au sens de l’histoire, aux signes clairs d’une société du travail en pleine mutation, qui cassent le schéma de la dépendance envers le salaire donné par l’employeur que l’on déteste (parfois/souvent) ?
De plus en plus de travailleurs commencent à comprendre que leur revenu ne doit pas dépendre que du bon vouloir de leur employeur, mais de leur faculté à se positionner sur le marché avec leur valeur ajoutée, pour déplacer la situation vers une interdépendance.
La fin d’un projet n’est pas synonyme d’échec
Quitter son entreprise avec le sentiment du devoir accompli et une belle expérience en poche pour partir en quête d’une nouvelle mission motivante dans une autre société, soutenu par des indemnités de chômage légitimes : voici une nouvelle façon d’appréhender l’évolution de sa carrière avec le CDI de projet.
Le salarié est libre, il peut aussi faire le choix de rester dans l’entreprise si celle-ci lui propose un nouveau projet intéressant dans le cadre de la priorité à la réembauche, à un salaire renégocié compte tenu de l’expérience acquise sur la précédente mission. Le salarié reprend du pouvoir et du contrôle sur sa carrière, à charge de l’entreprise d’accompagner son évolution, à travers son service RH ou des prestataires spécialisés.
Un changement de mentalité qui passe par l’acceptation qu’un CDI de projet arrivé à son terme n’est pas un échec, mais souvent une réussite : si l’entreprise n’a plus besoin du salarié, c’est qu’il a a priori accompli sa mission.
Quand Lubomira Rochet est arrivée au poste de CDO (Chief Digital Officer) de L’Oréal en 2014, elle déclarait que son équipe avait vocation à disparaître d’ici 10 ans pour être intégrée dans les métiers une fois la transformation numérique de l’entreprise totalement accomplie. Aucun échec dans cet exemple, mais au contraire une perspective de réussite.
La vraie sécurité, c’est l’employabilité
Les détracteurs du CDI de projet pointent du doigt la perte de sécurité de l’emploi et donc une précarité accrue pour le salarié. Nous pourrions leur répondre que ce nouveau type de contrat de travail reste un CDI avec certains avantages associés, mais il serait plus sage et lucide de leur révéler la vérité qu’ils n’ont peut-être pas encore comprise ou acceptée : la sécurité de l’emploi n’existe plus depuis longtemps !
Rien n’empêche dans les faits une entreprise de licencier un collaborateur, cela lui coûte simplement plus ou moins cher, créant ainsi un frein à l’embauche dommageable. Où est-on le plus en sécurité aujourd’hui : dans un grand groupe, autrefois synonyme de stabilité, qui va annoncer le licenciement de milliers de personnes en CDI ou dans une start-up incertaine mais à la croissance fulgurante, embauchant des CDD à tour de bras ?
Nul part objectivement. Les règles ont changé, les cartes sont rebattues, et c’est à l’individu d’assurer lui-même sa sécurité de l’emploi en investissant dans son employabilité. L’Organisation Internationale du Travail la définit comme « l'aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s'adapter au changement tout au long de la vie professionnelle ». CQFD.
L’Etat et les entreprises ont leur rôle à jouer dans le développement de l’employabilité des individus, surtout dans certains secteurs, mais c’est avant tout à chacun de se responsabiliser. L’accès à la connaissance et aux formations gratuites (comme les MOOC) n’a jamais été autant facilité qu’aujourd’hui.
Donnons une chance au CDI de projet
L’idée d’Emmanuel Macron et de son gouvernement n’est ni nouvelle ni audacieuse, elle est tout simplement réaliste et pragmatique. Et puis, le Président de la République et ses Ministres sont les premiers à nous montrer l’exemple. Ne les avons-nous pas recrutés pour un projet à l’objectif défini : redresser la France ? Donnons-leur les moyens de l’atteindre, cela nous donnera peut-être l’envie d’accepter le nouveau projet qu’ils nous proposeront dans 5 ans !