Le Centre Pompidou consacre une grande exposition à l’architecte Le Corbusier (1887-1965), mais les polémiques sur ses liens avec le régime de Vichy refont surface, c’est l’occasion de faire le point.
Au moment où s’ouvre cette grande rétrospective sur l’un des grands architectes du XXe siècle, plusieurs spécialistes viennent rappeler un aspect peu glorieux du personnage, à savoir ses sympathies fascistes. Trois livres reviennent sur la question : "Le Corbusier, un fascisme français" de Xavier de Jarcy, "Une froide vision du monde" de Marc Perelman et "Un Corbusier" de François Chaslin, et ils accusent l’architecte d'antisémitisme, de "fascisme militant" et d'avoir entretenu des liens avec le régime de Vichy.
Comme toujours avec les créateurs, les artistes ou les romanciers, il faut se poser la question du rapport entre cet engagement et l’oeuvre elle-même, qui n’est pas forcément automatique. Cependant, en se promenant dans l’exposition, on ne peut s’empêcher de constater la parenté intellectuelle entre une architecture massive, impersonnelle, purement fonctionnelle, grise, et l’esthétique des régimes totalitaires. Le Corbusier sait aussi construire de ravissantes villas, (certainement les datchas des grands dirigeants), mais le populo, lui, aura droit aux cages à lapins (comme ces horribles plans de "Ville contemporaine pour 3 millions d’habitants").
Le Corbusier a directement influencé toute cette esthétique de villes nouvelles et de barres HLM qui ont enlaidi tant de paysages en France. On lui doit par exemple "l’unité d’habitation" de Marseille, plus connue sous le nom qui fleure bon les lendemains qui chantent de "Cité radieuse", mais que les Marseillais surnomme "La Maison du fada". Il propose aussi, des années 20 jusqu’aux années 40, le Plan Voisin qui consiste à raser le centre de Paris en face de l’Ile de la Cité pour y construire des tours de bureaux et d’habitation. Une horreur absolue qui aurait défiguré la capitale.
Pas sectaire pour un sou, il fricote aussi avec la Patrie du socialisme en réalisant le Centrosoyus (1928-1935), le siège de l'union des coopératives de l'URSS à Moscou. Au fond c’est le pouvoir sans limite d’un Etat qui tient tout un pays dans sa main qui semble l’attirer, et lui assurer de réaliser ses projets.
Dans un document qu’il rédige en 1933, la Charte d’Athènes, et qui énonce 95 directives pour réformer l’architecture, on peut y lire : "La violence des intérêts privés provoque une rupture d’équilibre désastreuse entre la poussée des forces économiques d’une part, la faiblesse du contrôle administratif et l’impuissante solidarité sociale d’autre part" (point 73), ou encore, et c’est le dernier point : "L’intérêt privé sera subordonné à l’intérêt collectif". La liberté individuelle, voilà l’ennemi ! Le Corbusier aurait prospéré dans une Europe totalitaire, nazie ou communiste peu lui importe, heureusement l’Histoire en a décidé autrement.