Pourquoi le dollar est condamné à être fort

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Par Simone Wapler Publié le 13 novembre 2015 à 5h00
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4 768 milliards $En 2015, les actifs des principaux fonds souverains représentaient 4 768 milliards de dollars.

Les créances libellées en dollar sont reconnues partout dans le monde. Les réserves de change des banques centrales sont de la dette fédérale majoritairement libellée en dollar.

Comment le dollar-dette s’est imposé

?Il existe 4 "devises de réserve" agréées par le FMI : dollar, euro, livre sterling et yen. Le dollar est évidemment le poids lourd de la bande, les 3 autres monnaies formant surtout la cour du Roi Dollar. Le statut de devises de réserve de ces 4 monnaies permet aux pays émetteurs de payer à crédit dans une monnaie qu’ils contrôlent. Les Américains payent leur pétrole en dollar.

Les pays pauvres, eux, sont contraints soit de payer comptant soit, éventuellement, de payer à crédit mais exclusivement dans une des monnaies de réserve – monnaie qui n’est pas la leur et qu’ils ne contrôlent donc pas. Ils émettent alors de la dette, libellée le plus souvent en dollar. Ainsi, depuis des décennies, les Etats-Unis et l’Europe exportent leur dette publique, importent du pétrole, des biens fabriqués en Chine ou dans d’autres pays à bas coût de main-d’oeuvre. La monnaie-dette en dollar est la plus répandue et le mythe veut qu’elle soit toujours honorée.

Que font les pays qui ont beaucoup de dollars ? Ils souscrivent à des emprunts américains en dollar, ils prêtent des dollars à d’autres pays, ils réinvestissent via des fonds souverains. En 2015, les actifs des principaux fonds représentent 4 768 milliards de dollars, soit à peu près autant que ce qu’a créé la Fed depuis 2008. Le total, selon le FMI, s’élève à 7 300 milliards de dollars.

Les prix du pétrole et des matières premières ont fortement chuté depuis 2014. Les excédents commerciaux des pays producteurs se sont volatilisés et certains se retrouvent confrontés à des difficultés budgétaires. Leurs fonds souverains voient donc leur capacité d’investissement fortement diminuer, voire réduite à néant. Pire encore, certains pourraient vendre. La baisse du pétrole signifie donc moins de dollars en circulation.

Déflation = moins de dollars ?

L’inflation des actifs financiers (obligations, actions) est la seule inflation tangible que les banques centrales ont jusqu’à présent réussi à produire. L’argent des QE est resté dans le système financier et les taux bas ont permis les rachats d’actions à crédit (presque gratuit). Mais depuis la fin de l’année 2014, il n’y a plus de QE. Donc il y a moins de dollars disponibles. Et il y a moins de pétrodollars susceptibles d’acheter des actions et des obligations.

La caractéristique d’une déflation est que les prix baissent. Pour le moment, il n’y a que les prix du pétrole et des matières premières qui aient significativement baissé. Mais cette déflation peut se montrer contagieuse.

Moins de dollars = dollar plus rare donc plus cher?

Glissez-vous dans la peau d’un entrepreneur chinois, coréen, brésilien, indien… Vous vous êtes endetté en dollar pour investir et produire des biens que vous vendez à des consommateurs des pays développés. Vous avez fait vos calculs de marge et, comme les taux étaient bas (en dollar), votre investissement était rentable. Mais voilà que l’activité ralentit, les prix baissent un peu partout et, finalement, il vous faut rogner vos marges.

Comble de malheur, le dollar s’est apprécié contre votre monnaie car cette fichue Janet Yellen de la Fed parle sans cesse de relever son taux directeur. Vous êtes dans de sales draps vous devez rembourser votre dette en dollar au plus vite. Pour cela, il faut vendre des actifs (à perte) et convertir le produit de la vente en dollar. Vous devenez donc acheteur de dollars et il y a moins de dollars disponibles pour d’autres. Quel est le montant de ces prêts libellés en dollar et contractés par des gens qui n’ont pas de dollar ? Environ 9 000 milliards de dollars.

Autre secteur en proie à la déflation, celui de l’énergie de schiste aux Etats-Unis. Nous avons là 2 000 milliards de dollars de prêts (+3 000 milliards de produits dérivés) contractés au moment où le pétrole cotait 80 $ par des entreprises qui vendent le pétrole qu’elles extraient à perte. Ces entreprises ne pourront pas payer ; une partie de cette dette va probablement se détruire, ce qui là aussi signifie moins de dollars. Plus d’acheteurs de dollars et moins de dollars : voilà qui est haussier pour le dollar !

Que peut faire la Fed ? ?

Pour compenser, il faudrait soit que la Fed se lance dans un QE de proportion monumentale, soit que les hélicoptères lâchant des liasses de dollars décollent. Dans les deux cas, le mythe n’y résisterait pas. Ce ne serait pas une baisse du dollar, ce serait tout simplement sa mort. Le simple arrêt du QE et l’annonce, bien que sans cesse reportée, d’une hausse des taux assèchent les liquidités en dollar. Le ralentissement de la croissance mondiale donne lieu à des débouclages de prêts en dollar de la part de gens qui ne vivent pas en dollar : les fameux carry trades. Voilà pourquoi le dollar monte.

Comme le dollar monte et que l’inflation reste faible, ceux qui achetaient de l’or pour se protéger de l’érosion du dollar n’ont plus de raison de le faire. Voilà pourquoi l’or reste si calme.

Récapitulons : aujourd’hui nous avons des forces déflationnistes très puissantes :
?– 7 300 milliards de dollars d’actifs détenus par des fonds souverains qui vont peut-être devoir vendre – ce qui pourrait remettre les devises des pays émergents sous pression ;
?– 9 000 milliards de dollars de dette en dollar émise par des pays émergents qui sont pris à la gorge par le ralentissement de leur économie domestique et la hausse du dollar face à leur monnaie ;
?– 5 000 milliards de dollars de dette émise par des entreprises américaines du pétrole et gaz de schiste– dont certaines se retrouvent en difficulté.

Soit un total de 21 300 milliards de dollars, cinq fois plus que les 4 000 milliards que les QE, TWIST et taux zéro ont permis à la Fed de créer jusque-là. Plus longtemps le pétrole restera bas, plus la déflation pèsera. Sur les marchés, après la secousse estivale, le mois d’octobre fut un mois radieux avec des gains de 10% à 12% sur les places financières. Mais ces gains furent achetés par les belles promesses de la BCE, Mario Draghi laissant entendre qu’il pourrait augmenter le volume de ses rachats en décembre.

La Chine et le Brésil ont-ils retrouvé une dynamique florissante ? Toutes les informations qui nous remontent prouvent le contraire. L’indice du fret maritime, retombé sous le niveau de 2003, montre que le commerce mondial cale. Les prix déprimés des matières premières et les faibles niveaux d’inflation nous montrent que les forces de la déflation surpassent les effets des créations monétaires. Tant qu’il n’y a pas d’inflation et que le pétrole reste bas, les forces de la déflation sont favorables au dollar, mythe monétaire dominant et valeur refuge.

Même avec des taux ultra-bas, le refinancement de mauvais projets n’est plus possible si l’économie mondiale cale. Si cette analyse est correcte, le dollar continuera son ascension quoi que fasse la Fed (à l’exception d’un lâcher par hélicoptères de milliers de milliards de dollars).

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers. Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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