« Et si la cause majeure du chômage de masse en France se trouvait cachée dans les replis de notre immense code du Travail ? », demandions-nous dans un essai publié en janvier 2013 sous le titre Chômeurs ou Esclaves, Le Dilemme français (Education Pierre-Guillaume de Roux). A l’époque, personne n’osait poser la question aussi directement. Aujourd'hui, c’est chose faite. Mais la question du code du Travail en cachait une autre, indiquions-nous dans le même livre, celle-là vertigineuse : aux sources du malaise social français, n’y aurait-il pas le Code civil, vieux de plus de deux siècles ?
La réponse se trouve dans Chômeurs ou Esclaves :
Le Code civil apprend à distinguer le travail manuel du travail intellectuel.
Le Code civil a voulu donner ses lettres de noblesse au salariat, mais non sans réticences [...]. Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd'hui que le salariat s’est étendu à presque toutes les couches de la société, les rédacteurs du Code civil craignaient que l’établissement du salariat ne conduisît au rétablissement de l’esclavage.
Le Code civil apprend à distinguer deux sortes de travail : le travail manuel et le travail intellectuel. Le travail intellectuel est sorti du champ. Il ne peut faire l’objet d’un échange marchand. Il est rétribué par des honneurs, qui ne sont pas encore devenus des honoraires. Seul le travail manuel relève du marché.
Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que, selon les rédacteurs du Code civil, le travail manuel n’engage pas la personne, au contraire du travail intellectuel. Quand l’ouvrier vend sa force de travail au patron, il ne vend que sa force de travail – son intellect est comme hors d’atteinte de la marchandisation. Son aliénation est limitée, partielle, et donc tolérable dans la patrie des Droits de l’homme. Au contraire, le travailleur intellectuel, lui, à cause de la nature de son travail, irait jusqu'à vendre son âme s'il acceptait d'être payé. Mais justement, il n’est pas payé : il est seulement « honoré». La forme est sauve, même si l'honneur en question se traduit bientôt en espèces sonnantes et trébuchantes sous forme d’honoraires. [...]
Au 19ème siècle, donc, on croyait pouvoir distinguer des activités purement manuelles des activités purement intellectuelles. Pas de mélange entre les deux. Ou on travaillait de ses mains, ou on travaillait du chapeau. Cette image perdure jusque dans le célèbre film de Chaplin, Les Temps modernes (1936). [...]
À l’époque même de la rédaction du Code, on était tout à fait conscient des risques du rétablissement de l’esclavage. Le Comte de Montlosier voyait clair, qui dans les « Observations sur le projet de Code civil » , écrivait ces phrases remarquables où s'avoue crûment la crainte d’une filiation avec le droit romain de l’esclavage : « les serviteurs [...] n'ont point de propriété, car ils sont une propriété eux-mêmes [...] ; simples instruments, leur temps, leur peine, leur industrie, tout appartient au maître ». [...]
Justement pour éviter que le travailleur manuel ne soit réduit en esclavage, le Code civil ne veut pas entendre parler de louage de services perpétuels [...] (Art. 1780). En langage d’aujourd'hui on dirait que le contrat de travail à durée indéterminée (CDI) est plus proche de l’esclavage que le contrat à durée déterminée (CDD). C’est pourtant le CDI qui est recherché désespérément par tous ceux qui sont las d’aller de CDD en CDD [...]
Ceci est un extrait du livre « Chômeurs ou Esclaves, Le Dilemme français » écrit par Philippe Simonnot paru aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux. (ISBN: 2363710592, ISBN numérique: 978-2363710598). Prix : 13,90 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Pierre-Guillaume de Roux.
À lire sur le même sujet : « Aux sources du malaise français : le Code civil (2/2) »