Loin d’être dépassée, la technique du porte-à-porte est fréquemment utilisée par les entreprises, comme en témoignent les nombreux abus signalés jour après jour par les particuliers. Dans ce domaine, certains fournisseurs d’énergie cristallisent les critiques pour leurs pratiques trompeuses, voire illégales.
Sans scrupule ni pitié pour leurs victimes, les escrocs du démarchage à domicile ne manquent en revanche pas d’imagination ! Suite à l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, plusieurs habitants de Seine-Maritime ont ainsi signalé avoir été démarchés par de prétendus laboratoires mandatés par la préfecture pour effectuer des prélèvements payants sur la qualité de l’air à leur domicile ou pour des diagnostics amiante.
Loin d’être anecdotiques, ces tentatives d’arnaque pour le moins créatives ont conduit la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à ouvrir une enquête. Elles font appel à une technique rompue pour arriver à facturer une prestation de manière abusive. Si les procédés sont souvent les mêmes – imposture, intimidation et/ou mensonge, si possible auprès de personnes vulnérables –, les prétextes évoluent régulièrement en fonction de l’opportunité du moment.
Tandis que les escroqueries au calendrier ont toujours la côte, les travaux de rénovation énergétique sont également très en vogue depuis plusieurs années. Avec l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz et de l’électricité en 2007, suivie de l’entrée en vigueur du Crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) en 2014, les pratiques de démarchage abusif ont explosé dans le secteur de l’énergie.
Comme le dénonce l’association de consommateurs Que choisir, l’un des modes opératoires utilisés par des commerciaux peu scrupuleux consiste à se présenter chez des particuliers en leur promettant des travaux de rénovation à moindre coût, voire gratuits grâce aux dispositifs fiscaux ou à la revente d’électricité à EDF. Problème : les propriétaires doivent avancer plusieurs milliers d’euros ou souscrire un prêt pour un montant équivalent. Les gains promis, eux, ne sont jamais au rendez-vous…
Fournisseurs d’électricité : Eni et Engie épinglés pour pratiques commerciales abusives
Mais ces méthodes contestables ne se limitent pas à de petites entreprises aveuglées par l’appât du gain. Parmi les fournisseurs d’électricité, plusieurs grands groupes continuent aussi de sévir en fermant les yeux sur les techniques de commerciaux souvent mandatés et payés au nombre de contrats signés.
Début octobre, le témoignage de deux auditrices de l’émission Ça peut vous arriver sur RTL confirme les agissements fallacieux d’Engie et d’Eni. L’une d’elles, ancienne salariée d’Eni, dévoile les « consignes officieuses » du groupe italien pour faire signer des « personnes vulnérables », « âgées » ou « avec de nombreux enfants » « dans des cités un peu défavorisées ». L’autre, visitée à son domicile par deux démarcheurs travaillant pour Engie, a découvert que sa signature avait été contrefaite pour parapher un contrat chez l’ex-GDF-Suez.
Ce genre d’abus est néanmoins loin d’être exceptionnel. En 2017, les plaintes pour litige auraient augmenté de 19 % par rapport à 2016, selon Jean Gaubert, médiateur national de l’énergie. Et en 2018, la hausse des démarchages à domicile a été très nette dans le domaine de l’énergie. Plus d’un Français sur deux (56 %) aurait en effet été démarché l’an dernier, contre 36 % en 2017, selon le rapport 2018 du médiateur. Dans le lot, plus de 1.400 cas ont donné lieu à un litige pour contestation de souscription ou mauvaises pratiques commerciales. D’après Jean Gaubert, deux fournisseurs concentreraient près de trois quarts des plaintes : Engie, cité dans 44 % des cas, et Eni (28 %).
En 2017, une première amende de 150.000 euros infligée à Engie n’a pas suffi. Alors « en mars 2019, la cour d’appel de Versailles a condamné Engie à verser 1 million d’euros de dommages et intérêts à EDF en raison de démarchages mettant en œuvre des actes de concurrence déloyale », rappelle le rapport du médiateur de l’énergie. Mais la somme reste dérisoire par rapport aux 11 millions de contrats gérés par le fournisseur et à ses 65 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017…
À quand un encadrement plus restrictif ?
Bien que désormais connues, ces pratiques ne semblent toutefois pas près de disparaître. Malgré les sanctions essuyées, y compris une amende de 100 millions d’euros en 2017 pour avoir utilisé son ancien monopole sur le gaz à des fins de démarchage, Engie se contente de minimiser l’ampleur de ses dérives.
Les méthodes de ces fournisseurs d’énergie sont d’autant plus accablantes qu’elles trompent également les consommateurs sur les rabais réellement obtenus. « Le marché de l’énergie est structuré autour du prix. Les fournisseurs positionnent leurs offres en proposant une réduction par rapport aux tarifs réglementés, de 10 % à 15 % moins cher. L’arrivée de nouveaux acteurs à l’automne 2017 a renforcé cette vague. Or, aucun consommateur ne fera autant d’économies sur sa facture puisque la baisse ne concerne que le prix du kWh consommé, et non la part fixe correspondant au prix de l’abonnement et des taxes, explique François Carlier, délégué général de l’association de consommateurs CLCV, qui en 2018 a assigné en justice trois opérateurs pour pratiques commerciales trompeuses. […] Le rabais promis de 10 % se limite en fait à environ 6,6 %. Ces offres s’accompagnent souvent de petites contraintes supplémentaires : le paiement par virement mensuel automatique, une absence de service client par téléphone, etc. Le consommateur passe par-dessus ces inconvénients si la différence de prix semble substantielle ; mais si elle l’est moins, il hésitera davantage. Peu de gens se plaignent, rétorquent les fournisseurs concernés. Sans doute parce que le préjudice apparaît diffus : les premières factures arrivent plusieurs mois après la souscription ; et elles ne sont pas toujours strictement comparables à l’année précédente, compte tenu des variations climatiques. »
Pour protéger les ménages, qui ont visiblement beaucoup moins à gagner qu’à perdre en contractant avec les démarcheurs, certains comme Christophe Naegelen, député des Vosges, plaident pour un encadrement plus restrictif. « Que ce soit pour le démarchage à domicile ou téléphonique, le dispositif actuel ne permet pas une bonne protection des consommateurs ; le dispositif légal n’est pas assez dissuasif », estime l’élu. « Au regard du ras-le-bol des consommateurs et de l’augmentation du nombre de litiges liés au démarchage, un nouveau dispositif légal doit voir le jour », confirme Laurent Latapie, avocat au barreau de Draguignan.