Roland Garros et l’avantage du pionnier

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Par Louis-Marie Valin Modifié le 6 avril 2020 à 13h29
Roland Garros Extension Cout Tennis France
@shutter - © Economie Matin
260 MILLIONS €Le tournoi de Rolland Garros génère 260 millions d'euros de chiffre d'affaires.

En annonçant le 17 mars dernier le report de Roland Garros, la FFT a certes créé la polémique mais qui s’avère être une décision hautement stratégique. Préempter la « meilleure » date avec d’autres ne la prenne et permettre ainsi de sauver l’essentiel, à savoir le modèle du tennis français et l’économie de nombreux joueurs et joueuses.

Dans le petit monde du tennis professionnel, l’annonce de la Fédération Française de Tennis a fait l’effet d’une bombe. Face à la menace du coronavirus qui devraient empêcher la tenue du tournoi de Roland Garros aux dates initialement prévues, l’instance à pris la décision radicale de déplacer l’événement sur la quinzaine de 20 septembre au 4 octobre prochain. Une initiative qui fait polémique.

Une annonce brusque et critiquée

Si à l’annonce de ce report, les réseaux sociaux ont été en en ébullition, joueurs, tournois, fédérations ... Beaucoup reprochaient à la FFT d’avoir agi seule, sans aucune concertation des autres acteurs, bref de n’avoir pensé qu’à elle et à ses intérêts plutôt qu’à ceux du tennis mondial. Il est vrai que décider unilatéralement de sa place dans le calendrier en prenant, de fait, les créneaux affectés à d’autres ressemble à un coup de force et pourrait être considéré comme un manque singulier d’élégance. C’est pourtant ce qu’avait fait l’ATP en décidant dans son coin l’arrêt de la saison jusqu’en juin, puis l’annulation de la saison de terre-battue sans grande considération des organisateurs de tournoi.

Bien que pouvant apparaitre arbitraire, cette décision met en lumière la crise « larvée » (cf. Coupe Davis vs ATP Cup) entre les circuits professionnels, l’ATP et la WTA, d’une part et la fédération internationale, l’ITF, d’autre part. En effet, à la différence du reste des tournois, c’est uniquement à cette dernière que les quatre tournois majeurs, et donc Roland Garros sont affiliés. S’ils décernent des points ATP ou WTA, ils ne dépendent pas de ces instances. Une particularité qui leur donne plus de latitude dans leurs décisions.

Roland Garros : un enjeu vital en France

Soyons clairs, en changeant les dates de Roland Garros, la FFT n’a enfreint aucune règle. Elle est dans son droit et, d’un point de vue purement économique, dans son rôle. Seul tournoi majeur mis en péril par l’épidémie de Coronavirus à ce moment-là, le rendez-vous parisien risquait une annulation pure et simple en ne bousculant pas ses habitudes. Or, ne pas pouvoir compter sur la tenue de son joyau serait un désastre économique pour la FFT et, par ricochet, pour le tennis français. Parlons chiffres, le tournoi génère un chiffre d’affaire de 260 M€ quand le budget annuel de la fédération avoisine les 325 M€ et représente donc 80% de son financement ! C’est absolument colossal ! Dire que la FFT est sous perfusion des revenus du tournoi est loin d’être usurpé. Le financement du haut niveau, des clubs amateurs (environ 100 M€), des enseignants et des tournois dépendent donc directement du maintient de Roland Garros. Sans ces revenus, c’est tout le système fédéral français qui s’écroule. À travers cet événement majeur, la FFT joue tout simplement sa survie.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la FFT a fait preuve de solidarité, préservant l’intérêt économique de bon nombre de joueurs et joueuses professionnel.le.s, dont le statut est finalement comparable à celiu des intermittents du spectacle, la garantie de chômage en moins. Maintenir les Internationaux de France, c’est distribuer un prize money d’environ 50 M€. Telle une mauvaise blague, l’annulation de Wimbledon annoncée le 1er avril ne fait que renforcer l’importance de la tenue de Roland Garros.

Des partenaires au rendez-vous

Si la forme de l’annonce a pu prêter à discussion, difficile donc de remettre en question les raisons profondes qui ont motivé ce changement de dates. Mais si la FFT a pu la prendre, c’est bien parce que ses principaux partenaires lui ont confirmé leur soutien, à commencer par France Télévision. Sans médiatisation, impossible de valoriser les sponsors et donc pas d’économie pour les joueurs, les joueuses et le tennis amateur. Assurer la diffusion fin septembre sur les antennes de France / France 3 était stratégique avant que d’autres événements (tennistiques ou pas) aient l’idée de changer leurs dates. Imaginons un instant que Wimbledon ou le Tour de France optent aussi pour cette période automnale …

La prime au premier entrant fait des malheureux

Evidemment, la densité du calendrier du tennis mondial fait que ce report engendre des effets collatéraux négatifs. « Charité bien ordonnée commence par soi-même », la FFT a ainsi pris ses responsabilités en préservant les intérêts supérieurs du tennis tricolore et sacrifiant le Moselle Open, initialement programmé du 20 au 27 septembre. Avec ce choix de dates, la FFT s’est fait de puissants et influents ennemis. L’USTA tout d’abord, dont l’US Open termine une semaine plus tôt et qui envisageait également d’y placer l’un de ses Masters 1000, Indian Wells ou Miami, récemment reportés mais également Roger Federer dont la Laver Cup entre en concurrence frontale avec ce « nouveau » Roland Garros. S’il s’avère déjà difficile pour ne pas dire impossible de concilier tous ces engagements pour les stars de la petite balle jaune, des choix seront faits pouvant affaiblir les tableaux de Roland Garros. Une situation aux néfastes conséquences économiques qui n’a pas fini de faire grincer des dents.

Avec cette annonce brutale, la FFT a dégainé la première et a coupé l’herbe sous le pied des autres protagonistes. Si une résistance semblait vouloir s’organiser, la récente actualité a donné raison à la fédération française, mais l’affaire n’est sans doute pas encore définitivement entendue.

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Louis-Marie Valin est consultant expert sport. Auprès d’agences ou d’annonceurs, il intervient sur des problématiques de communication, sponsoring, événementiel ou entreprenariat. Il est également membre de l’Observatoire du Sport Business et fondateur du site sport-vox.com.

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