Alors que le monde de la mode compte de nombreux créateurs de talents, la compétition fait rage pour recruter les profils les plus emblématiques d’entre eux. A la clé, des milliards de dollars de recettes pour les maisons qui savent attirer (et retenir) ces rares personnalités capables de générer leur propre univers, et de changer le cours de la mode. Dans cette catégorie, Hedi Slimane a déjà un track record affolant : chez Dior comme chez Yves Saint-Laurent, il a manifesté sa capacité à entrainer des générations de nouveaux clients dans les boutiques, à imposer de nouvelles lignes et à faire exploser les chiffres d’affaires. L’annonce de son retour chez LVMH a fait l’effet d’une bombe dans le secteur du luxe.
Slimane chez Céline : Bernard Arnault à la manœuvre
Bernard Arnault a l’air d’être un homme qui sait convaincre. Il y a quelques mois, il avait racheté le domaine culte de Colgin Cellars, en pleine Napa Valley. Quelques hectares produisant parmi les cuvées les plus prestigieuses du monde, introuvables en Europe car préachetées des années à l’avance. La propriétaire, Ann Colgin, avait relaté avoir été convaincue par la venue en personne de Bernard Arnault, qui avait su mettre en lumière les autres crus mythiques (Château d’Yquem, Cheval blanc…), détenus par le groupe.
Entre Arnault et Slimane, il semble bien que le contact n’avait jamais été coupé depuis le départ du Directeur de la création de Dior, en 2007. Et cette fois-ci, les arguments du patron de LVMH ont été simples : pour la première fois, Slimane aura la haute main sur l’ensemble de la marque. Une façon habile de mettre en lumière l’erreur commise par le concurrent Kering, propriété de François Pinault, qui avait imposé à Slimane (alors Directeur de la création de Saint-Laurent) la mise en franchise des parfums chez… L’Oréal ! Une « vulgarité » qui aurait provoqué la rupture, au point que, lors de la sortie de Black Opium, H. Slimane avait exigé la publication d’un « disclaimer » en forme de désaveu, rappelant qu’il n’avait rien eu à voir avec ce produit !
Un créateur iconique
Or, Slimane n’est pas seulement un « couturier ». Il s’inscrit dans une autre perspective. Lui est surtout un créateur de tendances, une machine à capter les imaginaires et l’air du temps, et à modeler de nouvelles aspirations. Chez Dior, à partir de 2002, il lance la silhouette qui nous semble désormais incarner cette époque : des costumes près du corps, une ligne « skinny » qui a entrainé tout le prêt-à-porter masculin sur le versant du « slim ». Au point de faire mincir toute une génération d’afficionados. Karl Lagerfeld aime ainsi à raconter qu’il a suivi un régime draconien pour pouvoir entrer dans les costumes de Slimane !
Comme Lagerfeld d’ailleurs, Slimane est plus l’équivalent d’un Steve Jobs du luxe que d’une Phoebe Philo (qu’il remplace chez Céline), au profil très intello : son talent ne se limite pas à l’atelier, au design, au produit, mais à la création d’un univers de marque qui inclut la communication, les lieux de ventes, les affiliations artistiques…
Une défaite lourde de conséquence pour F. Pinault
C’est pourquoi l’excitation générée par son retour ne se limite pas aux sphères de la mode : c’est toute l’industrie qui l’attend avec impatience, comme l’indiquent les nombreuses publications spécialisées. Les acheteurs de grands magasins, comme Bloomingdale, Saks, les Galeries Lafayette, Harrods ou Macy’s sont déjà sur le pied de guerre, et ont probablement déjà réservé des linéaires pour les premières propositions de Céline, notamment en mode Homme. De quoi impacter, par ricochet, les ventes de Dior et Saint-Laurent ? Voire de Gucci, dont l’attractivité auprès des millenials ressemble de plus en plus à une bulle susceptible d’éclater dès que leur allégeance fluctuante les mènera vers un autre univers de marque… Pour Kering, le coup serait rude.
En laissant filer le footballeur Neymar au Paris Saint-Germain, le FC Barcelone avait été la risée du secteur, pour n’avoir pas compris qu’une clause de départ à 220 millions d’euros était en fait dérisoire pour un joueur qui sera mécaniquement la tête d’affiche du foot mondial après les retraites et Messi et Ronaldo ; plus qu’un joueur, une marque mondiale dominante. En laissant Hedi Slimane revenir au bercail chez LVMH, faute d’avoir su lui offrir un environnement à sa mesure, Kering et François Pinault risquent, eux aussi, de se mordre les doigts. Réponse avec les premières collections…