FICTION
Il faut dire que l'image des grosses rotatives qui impriment des planches de billets tout neufs est un brin désuète, depuis que la Finance, tour à tour ennemie ou amie de la France d'Hollande et Sapin, a numérisé la monnaie. Il suffit d'un clic de souris pour que Mario Draghi, le directeur de la Banque Centrale Européenne, crée artificiellement des milliards d'euros de "liquidités". Au moins 2000 milliards, en 2014. Ou pour être encore plus précis, "autant qu'il en faudra pour soutenir l'économie européenne", dixit.
Tout le monde trichait avec sa monnaie
C'est ce qui a terminé de perdre l'euro. Pour sa défense, Mario Draghi a eu beau se défendre en disant que tout le monde trichait avec sa monnaie. L'euro, la petite des grandes devises, ne pouvait pas se le permettre.
Les Américains inondent le monde avec leurs billets verts ? En 2014, la banque fédérale américaine créait tous les mois 45 milliards de – faux - dollars, injectés dans l'économie mondiale, qui en redemandait. Oui, mais le dollar, c'est la monnaie de référence depuis 70 ans. L'anniversaire des accords de Bretton Woods, conclus en juillet 1944, consacrant le dollar monnaie de réserve, l'a rappelé aux énarques quadras de Bercy qui avaient mal appris leurs leçons d'économie en Terminale.
Le Japon, avec ses Abenomics, a quasiment doublé sa masse monétaire en deux ans ? Oui, mais le Japon est un état souverain et le Yen sa monnaie. Sa puissance exportatrice fait encore de lui la troisième puissance économique mondiale, derrière les Etats-Unis et la Chine.
Les Anglais aussi fabriquent des livres à gogo ? Privilège de celui qui héberge la place de marché financière mondiale, par laquelle transitent 40 % des flux d'argent dans le monde. Facile, dans ces conditions, d'attacher tous les jours quelques kilo-octets de Livres virtuelles aux paquets de monnaies électroniques échangées dans la City.
La Chine joue avec le Yuan, largement sous-évalué depuis des lustres, pour soutenir ses exportations ? Difficile à reprocher à un pays qui détient probablement 4000 milliards de dollars dans ses réserves de change, et achète bon an mal an un bon tiers de la dette américaine. Et administre accessoirement 1/7e de la population mondiale...
L'euro, une monnaie bancale dès le départ
Reste l'euro. Une monnaie bancale, collée sur des économies totalement différentes, exacerbant les disparités entre les bons élèves de la classe comme l'Allemagne et prosaïquement, les démocraties nordiques, et au sud, les adeptes du farniente : Espagne, Portugal, Italie et bien sûr... France. La Grèce et Chypre ne sont pas coupables de ce qui leur est arrivé, mais bien plutôt victimes : aucun de ces deux pays n'est membre fondateur de la monnaie unique. Ils ont rejoint le bateau ivre en cours de route (Grèce, 2001, Chypre, 2007) pour une seule et bonne raison : faire de l'euro une monnaie "too big to fail" : trop grosse pour sombrer. Plus il y avait de passagers à bord, fussent-ils clandestins, moins on risquait de voir le navire torpillé.
Le Titanic aussi était insubmersible. L'ingénieur, l'armateur, étaient à bord du voyage inaugural qui lui sera fatal. L'ingénieur périt cette nuit-là, pas l'armateur, caché parmi les passagers. A l'heure du naufrage de l'euro, certains de ses adorateurs aussi brûlèrent avec leur idole.
Hier : L'économie européenne, et notamment française, est portée à bout de bras (1/6)
Demain : François Hollande, Manuel Valls, les femmes et la crise (3/6)