Les conséquences prévisibles du déshonneur

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Par Jacques Bichot Publié le 29 octobre 2019 à 6h00
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@shutter - © Economie Matin
10Dans une telle guerre, les morts de civils représentent environ dix fois celles de militaires.

En septembre 1938, au Lendemain des accords de Munich, par lesquels la Grande-Bretagne et la France abandonnèrent la Tchécoslovaquie à la botte hitlérienne, Winston Churchill – alors chef de l’Opposition – prononça à l’adresse du Premier ministre Neville Chamberlain une phrase restée célèbre : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. » Les faits donnèrent raison à l’homme qui, ensuite, eut à mener le combat dans des conditions encore plus difficiles.

Ce qui vient de se passer à propos de la zone nord de la Syrie tenue en grande partie grâce aux Kurdes fait songer à ce douloureux épisode de notre histoire. Depuis des années, les Occidentaux comptent sur la Turquie pour retenir sur son territoire quelque 3 millions de réfugiés, principalement syriens et irakiens, qui se dirigeraient volontiers vers l’Europe pour y trouver des conditions de vie moins précaires. Une petite partie de nos impôts sert à rémunérer la Turquie pour ce service, mais à tout moment Erdogan peut ouvrir le robinet et laisser les Européens gérer le problème – un véritable casse-tête.

Tant que l’oncle Sam faisait la police, avec un gros bâton, aux confins de la Turquie, de l’Irak et de la Syrie, le président turc attendait son heure. La foucade de Trump, décidant brusquement de rappeler les « boys » et leurs joujoux sophistiqués, a totalement changé la donne. Les troupes spéciales européennes, et notamment françaises, ont beaucoup contribué à empêcher les extrémistes musulmans de créer une sorte d’émirat, mais elles ne sont pas en mesure de résister à une offensive massive menée par une armée nombreuse et bien équipée, qui opère relativement près de ses bases. Sans parler du fait que se taper dessus entre « alliés » membres de l’OTAN obligerait à reconnaître ce qui est : que la Turquie d’Erdogan n’a pas vraiment le profil OTAN.

Nous laissons donc Erdogan faire ce qu’il veut : installer les réfugiés qui l’embarrassent sur une enclave comprenant notamment les zones kurdes. Peu lui importe qu’à cette occasion de nombreux terroristes détenus par les Kurdes retrouvent leur liberté, et que certains, venus d’Europe, y reviennent – probablement pas pour y mener une vie parfaitement paisible.

Le problème est que le Président américain ayant, dans cette malheureuse histoire, joué le rôle de Chamberlain, malgré sa capacité à être tout et son contraire il ne se transformera probablement pas en un Churchill Yankee ! Et il est peu probable que son remplaçant démocrate, au cas où il ne serait pas réélu, mobilise l’US Army pour venir protéger ceux qui, dans cette affaire affreuse et compliquée, ont joué, mutatis mutandis, le rôle tenu jadis par les Harkis, si nombreux à avoir été lâchement abandonnés par la France lorsqu’elle se retira de l’Algérie.

Quant aux Syriens et Irakiens qui avaient fui les massacres de Daech et les bombardements des armées syrienne et irakienne, puis des Russes et des occidentaux, ils ont très bien compris par eux-mêmes ce qu’un article spécialisé indiquait récemment : dans une telle guerre, les morts de civils représentent environ dix fois celles de militaires. Donc, leur propension à regagner leurs villes ou villages dévastés, même si la paix semble revenir, ne sera pas très grande. La tentation d’émigrer vers l’Ouest sera très forte.

La pusillanimité occidentale, la faiblesse du sens de l’honneur, vont donc probablement, une fois de plus, se payer très cher. Pour les populations du Moyen Orient, si durement éprouvées depuis si longtemps, et pour les populations européennes, qui vont recevoir des millions d’immigrés dont l’intégration ne se réalisera globalement pas mieux, sauf miracle, que celle de ceux qui nous sont arrivés, plus ou moins au compte-goutte, depuis une dizaine d’années

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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