Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,
Je vais, avant de laisser la parole à ce gouverneur de banque centrale qui s’est fendu d’une tribune officielle dans le Financial Times, partager avec vous quelques considérations importantes.
Le monde compte 197 pays.
L’Union Européenne compte 28 pays. Sur ces 28, seulement 19 sont membres de la zone euro.
Enfin il existe à ce jour 180 devises.
L’euro n’est pas la règle.
L’euro est une exception.
L’euro est une construction politique.
Pire. L’euro est volontairement conçu comme une prison politique
L’euro n’est pas et n’a jamais été une construction économique, mais une volonté politique d’emprisonnement mutuel par deux hommes. Helmut Kohl et François Mitterrand.
Ayant désormais quelques cheveux gris, outrage du temps et années qui passent, je peux dire que je me souviens de cette époque. Je me souviens de la chute du Mur de Berlin et de la réunification allemande.
Je me souviens également de la peur profonde, viscérale du président de la République de l’époque François Mitterrand, homme de la Seconde guerre mondiale à l’image de l’ambiguïté de cette époque et de notre pays, décoré de la francisque pétainiste, mais également résistant, ami de résistants, comme de collabo à l’Allemagne nazi.
L’euro est la réponse de Mitterrand à la réunification allemande par la création d’une unité de destin économique. L’euro dans l’esprit de Mitterrand est une corde qui attachera l’Allemagne à la France et qui empêchera l’Allemagne de penser seule sa toute-puissance. Mieux, si la France chute, alors l’Allemagne chutera aussi. Tel est le prix d’une cordée que l’on ne peut couper. Si l’un tombe, tous meurent.
Pour le chancelier allemand Helmut Kohl, l’euro est le prix à payer pour se réunifier facilement et avec l’accord de tous ce qui facilitera sa tâche. L’Euro sera aussi géré à l’allemande, et finalement le pari de Kohl sera de faire confiance à son industrie. L’euro sera allemand, taillé pour l’Allemagne, et servira l’Allemagne.
Qui a gagné ?
Qui avait raison. Le président français ? Le Chancelier allemand ?
Avec le recul, avec le temps les choses apparaissent plus clairement.
À mon sens, les deux ont eu raison, mais à des moments différents.
L’allemand Kohl avait raison dans un premier temps. L’euro serait une arme monétaire de domination massive de l’Allemagne sur le reste de l’Europe. C’est ce qui s’est passé globalement depuis 20 ans.
Mais Mitterrand avait raison pour la fin de partie. Quand l’Allemagne aura « abusé » de sa puissance, ce qu’elle a fait, cela conduira à faire chuter l’ensemble de la cordée et de la zone euro. Aujourd’hui, les dettes à l’égard de l’Allemagne dans le système de compensation commercial et monétaire européen appelé TARGET, est de 1.000 milliards d’euros en faveur de l’Allemagne. 1.000 milliards qui ne seront jamais payés.
Pour résumer, nous avons tous roulés en BMW et en Audi pendant 20 ans, et nous ne paieront pas les bagnoles à son fabricant allemand !
L’euro ne peut pas être viable économiquement, car il n’ a jamais été conçu ni pensé pour l’être ! Il devait être juste une prison. Mais les mauvaises intentions font rarement les belles réalisations et nous arrivons au bout de la fiction imaginaire de l’union monétaire. Aujourd’hui c’est Gyorgy Matolcsy, gouverneur de la Banque Centrale de Hongrie, qui met violemment les pieds dans le plat. Il a raison. Son analyse est juste.
Si l’euro n’est pas responsable de tous nos maux, l’euro empêche les ajustements et l’utilisation de marges de manœuvre pour les pays européens les plus en difficulté. Laissons la parole à Gyorgy Matolcsy gouverneur de la banque centrale hongroise qui appelle à un mécanisme de sortie
Nous devons admettre que l’euro était une erreur
« La plupart des pays de la zone euro s’en sont mieux sortis avant l’introduction de l’euro qu’ils ne l’avaient prévu
Le moment est venu de chercher une issue au piège de l’euro. Il existe un dogme néfaste selon lequel l’euro était la prochaine étape « normale » vers l’unification de l’Europe occidentale. Mais la monnaie européenne commune n’était pas du tout normale, car presque aucune des conditions préalables n’était remplie.
Deux décennies après le lancement de l’euro, la plupart des piliers nécessaires au succès d’une monnaie mondiale – un État commun, un budget couvrant au moins 15 à 20 % du produit intérieur brut total de la zone euro, un ministre des finances de la zone euro et un ministère chargé de ce poste – font toujours défaut.
Nous admettons rarement les véritables racines de la décision malavisée de créer la monnaie commune : c’était un piège français. Alors que l’Allemagne s’unifiait, François Mitterrand, alors président français, craignait la montée en puissance de l’Allemagne et croyait qu’il suffirait de convaincre le pays d’abandonner son deutschemark pour éviter une Europe allemande. Le chancelier de l’époque, Helmut Kohl, a cédé et a considéré l’euro comme le prix ultime pour une Allemagne unifiée.
Ils avaient tous les deux tort. Nous avons maintenant une Allemagne européenne, et non une Europe allemande, et l’euro n’a pas pu empêcher l’émergence d’une autre puissance allemande forte.
Mais les Allemands sont également tombés dans le piège de l’euro « trop beau pour être vrai ». L’intégration des économies du sud de l’Europe dans la zone euro a conduit à un taux de change suffisamment faible pour permettre aux Allemands de devenir la machine d’exportation mondiale la plus puissante de l’UE. Cette occasion inattendue les a rendus complaisants. Ils ont négligé de moderniser leur infrastructure ou d’investir suffisamment dans les industries futures. Ils ont raté la révolution numérique, ont mal calculé l’émergence de la Chine et n’ont pas réussi à créer des entreprises mondiales paneuropéennes. Dans le même temps, des entreprises comme Allianz, Deutsche Bank et Bayer ont lancé des efforts infructueux pour conquérir Wall Street et les Etats-Unis.
La plupart des pays de la zone euro s’en sont mieux sortis avant l’introduction de l’euro qu’ils ne l’ont fait avec. Selon l’analyse du Centre for European Policy, il y a eu peu de gagnants et beaucoup de perdants au cours des deux premières décennies de l’euro.
La monnaie commune n’était pas nécessaire pour les succès européens avant 1999 et la majorité des Etats membres de la zone euro n’en ont pas bénéficié par la suite. Lors de la crise financière de 2008 et de la crise économique de la zone euro de 2011-2012, la plupart des membres ont été durement touchés, ayant accumulé d’énormes dettes publiques. Il n’y a pas de repas gratuit et les prêts bon marché coûtent souvent beaucoup plus cher.
Alexandre Lamfalussy, l’économiste d’origine hongroise, a eu raison de nous dire qu’une monnaie commune était nécessaire pour renforcer le lien entre les puissances européennes et défendre l’UE contre les Soviets. Un seul hic : la décision finale de créer l’euro a été prise à Maastricht en 1992, lorsque l’Union soviétique s’est effondrée. La raison d’être de la monnaie a pris fin précisément au moment de sa naissance.
Le temps est venu de se réveiller de ce rêve néfaste et infructueux. Un bon point de départ serait de reconnaître que la monnaie unique est un piège pour pratiquement tous ses membres – pour différentes raisons – et non une mine d’or. Les États membres de l’UE, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone euro, devraient admettre que l’euro a été une erreur stratégique. L’objectif de construire une monnaie occidentale mondiale qui rivalise avec le dollar était un défi pour les États-Unis. La vision européenne des États-Unis d’Europe s’est traduite par une guerre américaine ouverte et cachée contre l’UE et la zone euro au cours des deux dernières décennies.
Nous devons trouver comment nous libérer de ce piège. Les Européens doivent renoncer à leurs fantasmes risqués de créer une puissance qui rivalise avec les Etats-Unis. Les membres de la zone euro devraient être autorisés à quitter la zone monétaire dans les décennies à venir et ceux qui restent devraient construire une monnaie mondiale plus durable. Célébrons le 30e anniversaire en 2022 du traité de Maastricht qui a donné naissance à l’euro en réécrivant le pacte ».
Gyorgy Matolcsy
L’Europe a été la paix, et sera la guerre si nous n’y prenons garde.
Voilà qui est clair. N’oubliez jamais que dès le départ, l’euro n’a jamais été conçu pour fonctionner, mais pour emprisonner. Dans les faits, il fonctionne parfaitement bien et c’est une immense réussite puisque c’est une immense prison économique, sociale et politique.
Il ne faut pas sauver le soldat euro. Il faut l’achever. Il faut achever l’euro, avant qu’il ne tue les pays européens.
Nous ne pourrons affronter aucun de nos maux, économiques, sociaux, ethniques, politiques, religieux sans souveraineté et liberté de nous penser collectivement pour faire nation ensemble. Si nous ne pouvons penser la nation ensemble, alors nous nous affronterons exactement comme l’a prophétisé l’ancien ministre de l’intérieur Gérard Collomb en disant que si pour « le moment nous vivions côte à côte, nous pourrions rapidement vivre face à face ».
Si nous n’y prenons pas garde, alors c’est un destin funeste qui attend notre pays en particulier et l’Europe en général.
Il est convenu de rappeler cette vérité absolue que l’Europe c’est la paix. L’Europe a été la paix tant qu’elle n’a eu pour objectif que d’apporter la paix. Quand l’Europe a voulu exister par elle-même, en combattant les nations et les fragiles équilibres sociaux, pour faire émerger le rêve fou du citoyen européen et post-national, l’Europe a commencé à créer les conditions de la discorde. Au départ, l’idée européenne était mue par le concept de subsidiarité. Une belle idée où l’Europe ne pouvait pas, parce qu’elle ne voulait pas, se substituer aux rôles des États mais aidait les Etats là où ils n’étaient plus assez forts pour le faire. Avec l’Euro, l’Europe s’est substituée aux États. Pour exister l’Europe combat toutes les souverainetés. L’Europe, au bout du compte, devient un monstre froid, anti-démocratique et totalitaire.
Dans quelques années, il est possible que les historiens disent que l’Europe fut la guerre.
Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !
Article écrit par Charles Sannat pour Insolentiae.