L’euro, la BCE et les 1,20 dollar

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Par Alexandre Baradez Modifié le 29 novembre 2022 à 10h07

A chaque période d'hésitation de l'euro face au dollar se pose la même question: la baisse est-elle terminée ?

Cela semble peu probable...

Tout d'abord parce que le contexte d'évolution des prix en zone euro depuis des mois ne fait apparaître aucune pression à la hausse. Au mois de novembre, l'inflation annuelle s'est inscrite à 0.3% et retombe sur les niveaux de septembre, après un léger rebond à 0.4% en octobre.

A ce stade, la baisse du prix des matières premières, le recul des prix à l'importation et à la production en zone euro écarte le scénario d'une stabilisation de la politique monétaire de la BCE après les premières mesures d'envergure déjà prises: baisse de taux, taux négatif sur les dépôts, LTRO ciblés, achats d'ABS et d'obligations sécurisées.

La BCE a mis en place un objectif potentiel pour ces achats d'actifs: ramener la taille du bilan de la BCE sur les niveaux de début 2012, soit plus de 3000 milliards d'euros contre 2033 milliards d'euros à ce jour, c'est-à-dire une progression espérée de 1000 milliards d'euros. Même si Mario Draghi a expliqué lors de la réunion de novembre qu'il ne s'agissait pas d'un objectif à proprement parler mais plutôt d'une anticipation, d'une estimation, les marchés ont intégré cette information et surveillent avec attention les chiffres communiqués par la BCE (comme ce fut le cas pour les chiffres du premier T-LTRO de septembre dont le montant inférieur à 100 milliards d'euros avait été jugé décevant).

Lundi la BCE a indiqué avoir acheté pour 368 millions d'euros d'ABS pour la première semaine...ce que les marchés ont jugé insuffisant. Le CAC et le DAX ont brièvement corrigé à la baisse et l'euro est repassé temporairement au-dessus de 1.2500 dollars. Ces faibles volumes d'interventions laissent les marchés perplexes à court terme sur le rythme auquel la BCE achètera les actifs car trop lent pour l'instant pour ramener rapidement le bilan sur les 3000 milliards d'euros...

Face à ces interrogations, Mario Draghi a frappé un grand coup lors du 24ème
Congrès Bancaire Européen. Le 21 novembre, le président de la BCE s'est montré particulièrement incisif en précisant que la BCE était prête à changer le rythme et la composition des achats d'actifs si nécessaire et de façon rapide, notamment si la politique menée jusqu'à présent était inefficace. Ces déclarations sont intervenues après un constat sans équivoque de la situation économique en zone euro, Mario Draghi jugeant qu'il fallait augmenter le niveau d'inflation «aussi vite que possible».

Ces propos ont résonné pour les marchés comme une quasi-confirmation de la mise en place de mesures additionnelles aux mesures déjà prises. L'euro a décroché de plus de 160 points en quelques heures, passant de plus 1.2500 dollar à moins de 1.2400 dollar et se rapprochant de son plus bas annuel à 1.2360 dollars...

Le vice-président de la BCE, Vitor Constancio, a ajouté sa pierre à l'édifice en déclarant que les arguments selon lesquels un QE en zone euro ne serait pas efficace étaient infondés et que la BCE pourra jauger l'impact des premières mesures au premier trimestre 2015 (et donc ajuster avec des mesures complémentaires si nécessaire).

Jens Weidmann a tempéré les ardeurs du marché en déclarant une nouvelle fois que la politique monétaire seule ne pouvait résoudre les problèmes structurels et rappelant aux officiels européens de se focaliser sur la croissance et non pas sur le QE. Il a également estimé qu'il existait des obstacles légaux importants à la mise en place d'achats d'obligations d'états. Ce week-end Sabine Lautenschlaeger, membre du Directoire de la BCE, a également estimé que les «obstacles» à la mise en place d'un QE par la BCE étaient «très importants», jugeant que le coût d'un QE pourrait excéder les bénéfices...

Ce contexte a donc favorisé une temporisation de la baisse de l'euro face au dollar. Mais cela ne semble pas suffisant pour enrayer durablement son déclin...

Tout d'abord parce-que le déclin des prix de l'énergie (pétrole) a été beaucoup plus rapide que celui de l'euro, mettant sous pression l'inflation. Même si Mario Draghi se défend de fixer des objectifs de cours de changes, la baisse de la devise est un levier important pour stabiliser la baisse des prix, notamment dans un contexte de faible croissance économique. Même si certains officiels américains s'inquiètent de l'impact de la hausse du dollar sur l'économie US (au sein de la FED notamment), la baisse des prix de l'énergie apporte peu d'écho à ces propos et il semble peu probable que la FED mettent en place de mesures à court terme pour limiter la hausse du billet vert face à la devise européenne.

Le cycle de politique monétaire est totalement désynchronisé entre l'Europe et la Etats-Unis avec une banque centrale américaine qui s'interroge sur la date de premier relèvement de taux et qui a récemment mis fin à son 3ème QE lancé en 2012 dans un contexte où les prix se redressent progressivement (inflation / PCE à +1.4%) ce qui n'est pas le cas en Europe.

Le fort différentiel de croissance économique entre l'Europe et les Etats-Unis entretien cette perspective de poursuite de la baisse de l'euro (croissance US au 3ème trimestre à 3.9% contre 0.8% pour la zone euro).

Les derniers chiffres européens, notamment les PMI manufacturiers de novembre, montrent une nouvelle dégradation de la situation, renforçant les attentes autour d'une intervention accrue de la BCE.

D'un point de vue technique, même si des rebonds sont possibles comme en octobre (de 1.2500 dollar à près de 1.2900 dollar), ils ne devraient pas remettre en question la poursuite de la tendance baissière qui devrait se diriger dans un premier temps dans la zone des 1.2250 dollar (support oblique passant par les plus bas de 2010-2012). Sous ce niveau, la prochaine zone technique est à 1.2130 dollar et marque 50% de correction de toute la phase de hausse de 2000 à 2008. Il n'y a ensuite plus beaucoup de zone technique importante avant la zone psychologique des 1.2000 dollar...

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Diplômé de l’ESCE (Ecole Supérieure de Commerce Extérieur), Alexandre Baradez débute sa carrière chez EBG FINANCES en 2003 en tant que consultant spécialisé en défiscalisation immobilière. Il intègre le département Gestion Privée de BNP PARIBAS en 2005 où il assure la gestion et le suivi d’un portefeuille de 400 clients. En 2008, il rejoint Banque Robeco Gestion Privée où il a en charge la gestion d’un portefeuille de 650 clients. Il délivre un conseil sur OPCVM, la constitution et la gestion d’un patrimoine en exploitant l’actualité macro et micro-économique. En octobre 2009, il rejoint Saxo Bank en tant que Sales Trader et devient en 2011 Analyste Marchés de la banque dont il est l’interlocuteur privilégié auprès des medias français. Aujourd'hui, Alexandre Baradez est Responsable Analyses Marchés chez IG France.

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