Cher François,
Ne pense surtout pas que ma jeunesse à l'Est m'a rendue insensible ! Je sais que la gestion du Parti socialiste français, le seul grand parti au monde qui cite encore mes compatriotes Marx et Engels, plus un soupçon de Keynes il est vrai (la « nouvelle cuisine française », je suppose), doit être une épreuve.
Passe donc à l'Ouest ! Fais comme moi ! D'abord, sache que je suis d'accord pour avancer avec toi sur les sujets que tu me proposes... Tu te doutes que j'y ai déjà réfléchi, avec l'idée de retenir des spécialistes privés et publics pour travailler sur tous ces grands chantiers. Soyons concrets et précis. Avançons, avec remise des projets dans quatre mois par exemple, puis réunions de coordination entre nous, puis élargissement à tes amis d'un côté, aux miens de l'autre. Il s'agit d'être aussi techniques que possible, donc aussi peu « étroitement politiques » que possible. Tu comprends ce que je veux dire.
Mais il faut que, de ton côté, tu fasses des efforts. Je ne puis demander plus à mes amis, plus à la BEI, plus de se calmer à la Buba et à son président, le beau Jens Weidmann, si tu ne fais rien d'autre que de taxer les riches qui te restent, d'augmenter les dépenses publiques et de laisser monter à la fois le chômage et les salaires réels sans « mettre les pieds dans le plat » (comme tu dis). Moi, je répète simplement le théorème du Chancelier (socialiste) Schmidt : « les profits d'aujourd'hui font l'investissement de demain et l'emploi d'après-demain ». Fais comme moi.
On parle ici de « gestion de bonne ménagère ». C'est peut-être limité pour qui a fait l'Ecole de ton pays. Mais les résultats obtenus depuis la deuxième guerre, où nous étions en ruines et au banc de la société mondiale, puis le succès de la réunification, montrent que le débat interne pour chercher le consensus, plus le travail, ne sont pas sans mérite.
Bien sûr ma population vieillit, plus vite que la tienne je te l'accorde. Mais j'attire, comme toujours, les Turcs, et désormais les ressortissants de l'Est, puis les Espagnols et les Portugais (plus que toi). Nous devenons une terre d'immigration, immigration d'assez bonne qualité même, ce qui va soutenir notre croissance. Et j'exporte, et je délocalise.
Pour le futur, nous allons réduire notre endettement public, ce qui n'est pas égoïste mais logique pour une population qui vieillit, à condition de bien le faire. Je compte d'ailleurs passer vite à l'usage massif des nouvelles technologies pour nous soigner mieux que toi et moins cher, pareil pour la formation. Tu as vu la grande réunion que j'ai eue avec mes ministres sur le sujet il y a quelques jours. Je compte « numériser » ce que nous faisons. Déjà, notre « machine étatique » fonctionne avec près de 10 % de moins de PIB que la tienne et notre profitabilité privée dépasse la tienne d'un tiers : c'est notre solution. Plus de profit, c'est moins de dépenses publiques et ainsi de suite. C'est mon théorème, pas seulement à moi d'ailleurs, mais à nous tous.
Pour la zone euro, bien sûr qu'elle n'est pas « optimale » ! L'essentiel est de la faire avancer, sachant que nous avons été, par le passé, plus « politiques » qu' « économiques » avec l'élargissement par rapport à la crise de l'URSS et que ceci continue avec l'Ukraine. Il nous faut à la fois plus de souplesse à la périphérie et plus d'homogénéité au centre. Il nous faut poser la question des limites de la concurrence fiscale (Luxembourg et Irlande vont aimer) et de la stratégie anglaise (Cameron va adorer).
« On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment », disait ton Cardinal de Retz. Une phrase ambiguë comme tu les aimes tant. Mais l'ambigüité, l'attentisme, l'hésitation sont des produits de luxe ! Tu sais, dire du mal de moi et de ce que je fais, même si je ne fais pas tout bien mais peut-être mieux que d'autres, me touche peu. Et d'autant moins quand j'en vois la source.
Rapprochons-nous vraiment ! Mon cher Hegel disait : « L'oiseau de Minerve ne s'envole qu'au crépuscule ». C'était la chouette, symbole de cette sagesse qu'on acquiert en fin de vie et qui vient aux vieilles civilisations quand elles ont épuisé leurs anciennes logiques, pour passer enfin au monde nouveau. C'est maintenant. Je n'ose pas te dire « sois sage », je te connais de réputation, mais pense à ton pays et à l'Europe.
Alors je t'aiderai. Et nous entrerons, tous deux, dans l'Histoire.
Angela
Ce courrier, fictif, est la réponse d'Angela Merkel à la lettre, fictive, que lui a envoyé François Hollande
Article initialement publié sur le blog de Jean-Paul Betbèze et reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteur