Le 2 octobre dernier, Suez, via son directeur général Bertrand Camus, donnait les principales lignes de son nouveau plan stratégique à 2030 baptisé « Shaping 2030 ». Parmi elles, l’annonce de cessions d’actifs pour 3 à 4 milliards d’euros sans pour autant en donner les détails : « on ne dira pas ce que l’on a à l’esprit et spéculer ne nous aiderait pas et inquiéterait les équipes » indiquait ainsi Bertrand Camus lors de sa présentation.
Cependant, Suez affirme que ces « rotations d’actifs » permettront de recentrer le groupe sur ses trois principaux métiers : eau, recyclage et technologies pour l’environnement avec comme objectifs d’ici dix ans d’investir et de développer en priorité trois secteurs : l’international hors Europe, les clients industriels, et les solutions et technologies pour l’environnement qui doivent atteindre plus de 30 % des résultats du groupe.
Toutefois, depuis plusieurs semaines, ce sont bien les rumeurs sur d’éventuelles cessions qui agitent le microcosme de l’eau. Parmi elles, la possibilité d’une vente d’Agbar (Aguas de Barcelona, géant espagnol de l’eau) tient la corde. Le media en ligne espagnol « La Informacion » affirmait ainsi le 17 octobre qu’Engie, actionnaire de Suez, aurait mandaté la Société Générale pour préparer la vente de cette filiale du groupe.
Bonne ou mauvaise idée ? « Céder l’eau en Espagne ne serait pas une mauvaise chose car les municipalités espagnoles s’inscrivent dans le mouvement de remunicipalisation de l’eau. Barcelone est une ville emblématique car le contrat de Suez était important et a longtemps été très rentable. Aujourd’hui, la situation est différente, il y a des renégociations à la baisse tous les ans et la maire de Barcelone, récemment réélue devrait continuer à faire pression sur les tarifs », constate un analyste de Bryan, Garnier & Co.
« Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’au sein d’Agbar, il y a la participation dans Aguas Andinas (Chili). Sa cession ferait également sens car même si le Chili a longtemps été un actif intéressant, à la fois en raison des perspectives de volumes à traiter et des tarifs pratiqués, l’environnement semble aujourd’hui moins porteur. En effet, les récentes manifestations dans le pays et les fortes pressions pour réduire le coût de la vie tombent mal pour Suez qui est actuellement en pleine période de négociation sur le prochain cadre réglementaire et tarifaire. » précise le même analyste.
Pour un représentant syndical du groupe, la prudence est de rigueur : « Agbar, représente potentiellement 3 milliards d’euros. En vendre une partie est possible, mais vendre la totalité parait énorme. Je n’y crois pas trop pour l’instant. »
Autre rumeur, celle de la vente de la filiale américaine Suez Water. Elle pourrait rapporter 2,4 milliards d’euros. Pour Bryan, Garnier & Co, l’idée n’est pas forcément à exclure : « Suez a déjà cédé 20% de l’eau régulée aux US, Suez Water, ex-United Water, pour 600 millions de dollars à un fonds de pension néerlandais. L’objectif était d’utiliser le produit de la vente pour réduire l’endettement. La poursuite de ce mouvement serait cohérente. »
Troisième possibilité : se défaire des activités de déchets (collecte et recyclage) en Europe, hors France. « L’Allemagne n’est pas très performante, ce ne serait pas étonnant si le groupe s’allégeait outre-Rhin. En France en revanche, tout changement ne serait que marginal, les positions sont biens établies et nous ne voyons pas la situation évoluer » estime Bryan Garnier.
Pour le représentant syndical, « concernant les déchets, ce qui a été mis sur la table est la collecte en France. Il est possible qu’il y ait une cession ici ou là d’une activité déchets dans telle ou telle ville, mais je n’imagine pas qu’il y ait une décision de se séparer de la collecte de façon massive. Une cession de la collecte en Belgique et aux Pays-Bas n’a jamais été évoquée. En Grande-Bretagne, l’activité fonctionne bien. En Australie, elle est très rentable et très bien gérée. »
Ces perspectives de cessions interviennent quelques mois après la transmission à Suez d’un mémoire présenté par le fonds activiste Amber, qui détient 1,9 % du capital du groupe français, dans lequel le fonds demande à l’entreprise « de remettre à plat sa stratégie » et de céder des actifs « matures » afin de réinvestir dans des activités plus performantes, et de réduire sa dette, qui s’élève à 9 milliards d’euros pour un groupe qui réalise 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Pressé par les investisseurs, en pleine mutation sur ses métiers et clients historiques et toujours dans l’incertitude concernant les projets de son actionnaire principal Engie, le groupe Suez reste dans une situation complexe. Toutefois, le groupe est désormais dirigé par un directeur général confiant dans sa stratégie. Comme l’indiquait une autre source syndicale « Bertrand Camus a pris la mesure de son poste, des tâches qui lui incombent. Il est très déterminé, sûr de ses choix, convaincu de sa solution pour l’avenir de Suez. »
Selon la même source, les détails du futur plan de cessions devraient être connus d’ici la fin de l’année.