La baisse du prix du pétrole est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle, une bénédiction pour l'économie ?
Une vérité de La Palice avancerait l'idée que c'est bon pour l'acheteur et moins bon pour le vendeur. Une vérité qui concerne le « qui », mais où est celle qui s'intéresse au « quoi » ? En « quoi » cela est-il profitable, avantageux pour notre espèce, enracinée dans des vérités anthropocentriques, renforcées par des modèles consuméristes négligeant tout autre réalité.
Je vais dans cet article, à travers une analyse des dynamiques, fournir quelques éléments de compréhension sur le phénomène observé, et jouer un instant le porte-parole d'une planète en souffrance.
C'est bon pour la croissance !
Cette baisse aurait une incidence positive sur le pouvoir d'achat et la croissance si on en croit les nombreux papiers parus à ce sujet. Peut-être, mais uniquement sur une vision court terme, étant donné qu'un phénomène de cette nature considéré en première approche comme bon pour l'économie, est bien souvent néfaste quand on y intègre les externalités.
Une longue phase de stabilité des prix ...
Avant l'été, le prix du baril se situait autour de 110/115 dollars. Aujourd'hui, seulement quelques mois plus tard, il se négocie autour de 65 dollars. Voilà un exemple intéressant d'un phénomène de rupture dans un marché qui depuis longtemps (au moins depuis juillet 2012) oscillait dans une fourchette relativement étroite de 100 à 120 dollars (Prix du BRENT ; le WTI oscillait un peu en-dessus avec une volatilité plus forte). Une séquence assez rare de relative stabilité sur un marché très volatile. Les systèmes chaotiques (les marchés le sont souvent) portent en eux une forme d'ordre, de déterminisme apparent, d'équilibre, mais qui ne peut durer très longtemps du fait de leurs propriétés. La stabilité (ou plutôt l'équilibre instable) observée sur cette longue période a donc été rompue par des facteurs toujours difficiles à 'apprécier, les systèmes complexes ne livrant pas aussi facilement leurs secrets. A noter que les Etats-Unis ont participé ces dernières années à stabiliser les prix grâce à une augmentation de leur production venant compenser les perturbations par ailleurs (Libye, Irak, ...)
Pourtant, le contexte n'a pas beaucoup changé ...
A priori, le contexte économique mondial n'a pas été fortement bouleversé ces derniers mois ; les Etats-Unis sont toujours en croissance, l'Europe n'est pas retombée en récession, et la croissance mondiale ne s'est pas effondrée. Alors que s'est-il passé ? bien malin celui qui pourrait pointer un facteur plus qu'un autre, expliquant rationnellement cette brisure. Souvent, une rupture se produit à la faveur d'une convergence temporelle de plusieurs facteurs qui vont initier une boucle de rétroaction. Certes on peut citer sans trop se tromper les points suivants qui chacun à leur manière participe de cette embellie tarifaire:
• De mauvais indices économiques au niveau mondial
• Un ralentissement de la croissance en Chine
• Un développement des hydrocarbures non conventionnels (principalement aux Etats-Unis qui finalement ont repoussé très loin le spectre du Peak Oil tout en desserrant les contraintes qui pesaient sur les prix)
• Des manipulations d'ordre géopolitique
• Le maintien du niveau de production de l'OPEP qui continue à déverser sur la planète son or noir
• Le recul progressif de la part du pétrole dans la production d'énergie primaire
Ces points entraînent une demande peu dynamique au niveau mondial et une offre relativement abondante. Tout cela ne date pas d'hier, les changements se faisant progressivement ; alors pourquoi y a t-il eu tout d'un coup ce choc ?
Une dynamique de rupture ...
En micro-économie il faut compter sur les petites théories évaluant la variation d'une grandeur en fonction de la variation d'une autre grandeur, notamment celles qui portent sur les relations prix/demande/offre, ce qu'on appelle élégamment « élasticité », à l'image d'un élastique se prêtant plus ou moins bien à l'étirement.
Autrement dit, comment un effet (effet prix) varie en fonction d'une cause (variation de l'offre ou de la demande) ? C'est bien là tout le problème. Il se trouve que les prix du pétrole ont une forte élasticité négative, c'est-à-dire qu'une faible variation de l'offre ou de la demande génère des effets très sensibles sur les prix. Vous ajoutez à cela les techniques de spéculations et les éventuelles résultantes d'une petite boucle de rétroaction positive propres aux systèmes complexes, c'est-à-dire un phénomène d'amplification, et vous aurez l'explication finale de la dégringolade des prix du brut.
A la manière de certains phénomènes physiques chaotiques, qui n'ont pas la délicatesse de prévenir (séismes, orages, éclairs, turbulence atmosphériques), ce phénomène a été brutal et non prévisible, caractéristiques des systèmes dynamiques complexes sensibles aux conditions initiales.
Cette baisse qui aurait pu être stoppée par la réduction de l'offre, ne l'a pas été cette fois-ci, certains pays producteurs en ayant fait un facteur de pression géopolitique.
L'importance des stocks ...
Il faut parfois compter sur les « effets stocks ». L'énergie étant un domaine stratégique, les états via les compagnies pétrolières constituent des réserves relativement importantes (plusieurs mois de consommation) pour se prémunir d'éventuels chocs pétroliers ou faire face à des problèmes ponctuels d'approvisionnement. Dans un système, le stock joue toujours un rôle déterminant, au-delà des aspects précédemment cités. Il permet de dissocier ou de désynchroniser les flux en amont et les flux en aval, ôtant ainsi quelques contraintes à un système global déjà bien compliqué. De ce fait les opérations d'achat peuvent fluctuer sans trop de soucier de la demande au quotidien qui elle est très régulière sur une période de quelques semaines. Si plusieurs pays adoptent la même stratégie au même moment (utiliser ou reconstituer les stocks), ce qui est peu probable, des variations importantes de la demande peuvent intervenir et avoir une incidence sur les prix. En général, on peut considérer que les acteurs à l'échelle planétaire (y compris le trading spéculatif) sont suffisamment nombreux et bien répartis pour que les stratégies des uns s'opposent à celles des autres, le tout participant à l'équilibre global. Mais quand on a affaire à des systèmes chaotiques, cette règle ne vaut pas loi ; perturbée par une tendance générale, elle peut à un moment donné ne plus opérer, et participer à l'expression du chaos au détriment d'une stabilité toujours précaire. Je ne dis pas que le stock est déterminant dans la phase actuelle, mais il faut tout simplement se rappeler qu'il joue un rôle important dans l'équilibre global, constituant un facteur parmi tant d'autres susceptible d'accélérer les phénomènes.
Pourquoi un tel étonnement ?
Voilà, c'est simple comme bonjour (enfin ... presque), mais le monde est un peu surpris, habitués que nous sommes à voir les prix de l'énergie s'envoler. N'oublions pas que le prix du baril est monté jusqu'à 150 dollars mi-2008, soit plus du double du prix actuel en dollars courants pour retomber à moins de 40 dollars fin 2008 (un modèle d'élasticité !). Cette variation importante depuis juin dernier interpelle peut-être inconsidérément les investisseurs et les états impliqués, tout simplement parce que deux ans et demi de stabilité ont suffi à faire oublier la forte volatilité des cours, et ont permis à des états de procéder à différents cadrages par rapport à ces niveaux de prix (notamment les équilibres budgétaires des états producteurs).
Et la planète ... qu'est-ce qu'elle dit ?
Après un petit aperçu des dynamiques, intéressons-nous à présent au « quoi » ; en « quoi » cela est-il favorable ou défavorable pour notre petit monde ? Le problème est que le pétrole n'est pas une marchandise comme une autre, la géopolitique, le caractère captif de cette énergie, la récente arrivée des hydrocarbures non conventionnes, l'attestent régulièrement. Si la baisse des prix est « super » pour l'automobiliste qui voit ralentir le compteur à la pompe, je crois que la planète, si elle pouvait s'exprimer, énoncerait un autre avis à grands renforts médiatiques. On comprend bien que la baisse du prix du pétrole n'est pas un atout majeur pour inciter les citoyens à en consommer moins, au moment où de nombreux dirigeants se préparent pour la conférence « Paris Climat 2015 », cherchant toujours des solutions chimériques, illusoires, évitant aux terriens d'être grillés à la fin du siècle. On n'est pas à un paradoxe près ! Mais la planète, elle, aimerait bien respirer (valable aussi pour les chinois masqués!), se régénérer, s'oxygéner, se dépoussiérer, conserver ses espèces, maltraitée qu'elle est depuis des années, et plus encore aujourd'hui dans un monde qui ne cesse de croître, qui veut croître davantage, toujours plus et encore, porté par une croyance indéfectible que les belles courbes exponentielles peuvent grimper sans limite dans un monde fini. Donc, comme toujours, le bonheur des uns fait le malheur des autres.
Un monde de paradoxes ...
Quant aux effets collatéraux, il faudra attendre ; Au-delà des difficultés à venir pour certains pays producteurs (Venezuela à titre d'exemple), loin d'être neutres pour la marche du monde, tournons-nous une nouvelle fois vers notre petite planète, qui paradoxalement pourrait tout autant se réjouir d'une baisse que d'une envolée des prix, contrariant ma précédente analyse. En effet, le contexte énergétique mondial nous plonge en plein paradoxe. Quand les prix montent, l'exploitation coûteuse du pétrole et des gaz de schiste devient rentable et permet aux sociétés exploitantes de prospérer en parallèle des dégâts considérables sur la nature que chacun connaît. Quand les prix baissent, à contrario, ces mêmes exploitations peuvent être menacées de faillite, ce qui en soi pourrait être une très bonne nouvelle pour les amoureux de la nature, atterrés de voir les défilés de dizaine de milliers de camions chargés d'eau, de sable et produits chimiques, pour extraire l'or noir des profondeurs terrestres. En contrepartie, les 4/4 américains rouleront davantage, alimentés à un prix dérisoire de 2,70 dollars le gallon en moyenne (parfois moins de 2 dollars), 70 cents le litre, sans la moindre contribution pour les réparations futures, les programmes de dépollution et de réhabilitation des sites endommagés.
Cela me permet de préciser que la phase de croissance aux Etats-Unis amorcée depuis 2010, n'est qu'une croissance d'activités, assortie d'une décroissance de richesses au vu de tout ce patrimoine naturel détruit par l'exploitation des gaz de schiste. Le PIB, l'indicateur cardinal, est doué de cette impéritie comptable, de son aptitude à masquer ou déformer les réalités (le PIB n'est pas un indicateur de création de richesses).
L'alignement des planètes ...
Il faut aussi remarquer que cette situation se conjugue avec la baisse de l'euro, la baisse des taux d'intérêts devenus historiquement bas, une politique très accommodante de la BCE, ce que d'aucuns qualifient comme une conjonction aussi rare que l'alignement des planètes, une configuration heureuse pour accélérer la relance de l'économie européenne. Espérons qu'à l'image du système solaire, ces « planètes » occupent un espace de stabilité interdisant l'éjection de l'une d'entres elles (le chaos existe aussi dans le système solaire !). Personnellement, je ne considère pas cet alignement très opportun, car je n'ai jamais cru à la politique des taux à zéro et des injections massives de liquidités qui pervertissent tout le système économique et financier ; mais là, on rentre dans une autre histoire ... que j'ai essayé de raconter dans de précédents articles.
Conclusion
Finalement, tout cela démontre qu'il n'y a pas de prix idéal dans le contexte actuel si on prend la peine de l'étudier dans sa globalité, au-delà d'une vision réductrice de petits terriens soucieux de conserver leur capacité à se déplacer toujours plus vite, plus loin, plus souvent. Le bon prix n'est pas celui du baril, mais celui du produit fini chargé de taxes, suffisamment élevé pour éviter toute consommation superflue, incitant les consommateurs à consommer moins et mieux, et le système productif à améliorer l'efficacité énergétique des produits, tout autant que l'intensité énergétique globale (dans le 1er cas, minimisation de la consommation d'énergie pour un même service rendu, dans le 2ème cas, réduction de la consommation d'énergie par unité de PIB produite).
Si la société doit cependant retenir que c'est une aubaine pour le portefeuille, encore faut-il que cette situation soit pérenne, au vu des inerties imposant leurs délais pour des effets durablement perceptibles. N'oublions pas que l'hiver n'est plus très loin, que la météo est joueuse, et qu'elle pourrait très vite contrarier les anticipations. Notons pour terminer que la Chine restera une grande dévoreuse d'énergie, et plus encore demain et après demain, avec un parc automobile en forte expansion et une croissance économique toujours soutenue. Alors, une hausse pour bientôt ?