Lorsque l'on parle de sécurité alimentaire mondiale, on pense souvent aux guerres et troubles politiques qui détruisent les récoltes, coupent les acheminements et affaiblissent les populations.
On pense parfois à la production agricole nécessaire à la lutte contre la pauvreté ou à la nécessité d'échanger entre zones excédentaires et zones déficitaires. Depuis peu on mentionne aussi l'importance de réduire pertes et gaspillages. Mais qui lie la sécurité alimentaire mondiale aux régimes alimentaires et à leur évolution, au changement climatique ou à l'augmentation rapide des classes moyennes dans le monde ?
La « sécurité alimentaire mondiale » est un sujet complexe et exigeant
Complexe, car il ne suffit pas de produire assez pour que tous disposent de la nourriture nécessaire. Le prix Nobel d'économie de 1998, Amartya Sen, écrivait déjà en 1981 : "Une famine est le signe que des gens n'ont pas assez à manger, pas qu'il n'y a pas assez à manger". Certes parlons d'"offre disponible suffisante" ou d'"offre accessible" mais aussi de pratiques nutritionnelles équilibrées, lesquelles font intervenir toute la chaîne alimentaire, de la production à la distribution, le consommateur et son environnement.
Produire sans détruire
Exigeant car il s'agit ici de produire sans compromettre la satisfaction des besoins des générations futures, ce qui implique fondamentalement de revoir les pratiques agricoles et les systèmes alimentaires, et de promouvoir ceux qui sont économes en énergie, respectueux de l'environnement et justes sur le plan social.
La loi dite de Malthus est très controversée. Néanmoins, comme le note Daniel Cohen, elle résiste à l'examen des faits, au moins jusqu'à la révolution industrielle. Selon cette loi, "chaque fois qu'une société commence à prospérer, un mécanisme immuable se met en place qui en annule la portée".
La croissance économique entraine dans son sillage celle de la démographie en augmentant la viabilité et en réduisant la mortalité. L'augmentation de la population conduit alors à une baisse du revenu par tête et vient fatalement le moment où la population bute sur l'insuffisance des terres disponibles pour se nourrir.
"Trop nombreux, les hommes doivent mourir, par la faim ou la maladie". Jusqu'à très récemment, au début du XIXème siècle, les implications de celle que l'on avait nommée la "science sinistre" semblaient corroborées par l'analyse des faits historiques : les niveaux de vie moyens en France sous Louis XIV ou en Angleterre, sous la reine Victoria, n'étaient pas sensiblement différents de ceux des chasseurs-cueilleurs ou des premiers agriculteurs.
Pour autant, les agricultures ont profondément changé en particulier ces dernières décennies. Qu'il s'agisse de la révolution verte en Asie, de la mutation agricole européen ou de l'expansion américaine, les apports techniques, comme les organisations socio-économiques dédiées, ont permis de multiplier la productivité agricole par un facteur 2 en moyenne au niveau mondial, entre 1960 et 2000.
Augmenter la surface des terres agricoles et le rendement
Durant cette période le passage de 3 à 6 milliards de personnes s'est accompagné d'une augmentation encore plus rapide de la disponibilité alimentaire ; la situation s'est donc globalement améliorée mais parallèlement il y a eu un accroissement très important des écarts de productivité entre les agricultures. "Le modèle économique occidental est inapplicable à une population de 1,45 milliard de Chinois (en 2030)", écrit Lester Brown. Demain et ailleurs, il faudra consommer différemment et réduire les pertes et gaspillages qui représentent plus de la moitié de la production réellement disponible mais il faudra aussi produire !
L'agriculture mondiale a besoin d'investissements massifs dans les années à venir pour augmenter sa production de 40 à 90% selon les hypothèses d'augmentation de la demande. L'équation mondiale de l'agriculture suppose une forte augmentation de la production qui se fera pour partie par une extension des surfaces et pour partie par une augmentation des rendements.
Actuellement, 4,9 milliards d'hectares sont dédiés à l'agriculture, dont 1/3 pour la production végétale, le reste servant de pâturages aux animaux. Il serait possible d'étendre les surfaces agricoles d'un milliard d'hectares, notamment en Afrique et en Amérique Latine, mais cela ne suffirait pas à nos besoins en nourriture. Sans parler de la concurrence sur les mêmes terres pour la production énergétique.
D'où la nécessité d'augmenter les rendements. 85% de l'augmentation de la production depuis 1950 est imputable à cette intensification agricole, variable selon les régions du monde. Des progrès sont encore réalisables par exemple seulement 6% des surfaces agricoles sont irriguées et moins de 5% des agriculteurs ont un tracteur.
L'augmentation des rendements s'appuiera bien évidemment aussi sur l'amélioration de la nutrition minérale et du fonctionnement des couverts végétaux avec des variétés améliorées. Mais sans s'interdire l'emploi de moyens de production classique, cette intensification des moyens de production devra aussi se faire en préservant l'environnement, la santé des populations et des écosystèmes et en tenant compte des couts croissants et de la finitude des intrants.
Innover, avec les producteurs
Cette transformation, la recherche agronomique y travaille dans le monde entier ; elle sera largement basée sur l'intensification de tous les processus écologiques à l'œuvre dans les parcelles, les exploitations et les paysages agricoles.
Toutes les disciplines sont mobilisées depuis la biologie et l'écologie jusqu'aux sciences politiques et sociales, mais au-delà, les innovations se feront en lien de plus en plus étroit avec les producteurs, qui en sont les véritables acteurs.
Nourrir 9 milliards d'humains, c'est possible (sous conditions)
Alors, affirmons-le : à certaines conditions, satisfaire les besoins alimentaires de plus de neuf milliards de personnes à l'horizon 2050 dans un cadre de développement durable est possible !
Nous vivons une époque exceptionnelle avec la conjonction de trois phénomènes majeurs : un pic démographique, une sous-nutrition et une pauvreté qui, en parallèle, ne diminuent pas depuis 1970 et la prise de conscience humaine de la finitude de la planète et de ses ressources.
Il faudra agir vite, avec constance et à tous les niveaux, sachant que le temps nous est compté pour anticiper et infléchir le cours des évolutions qui sont à l'œuvre. Emmanuel Le Roy Ladurie remarquait que les difficultés d'approvisionnement, les disettes et les crises alimentaires ont souvent créé des situations prérévolutionnaires. Au-delà de l'alimentation, c'est donc l'avenir des sociétés humaines qui est en jeu.