Charles de Gaulle appelait de ses vœux une Europe « de l’Atlantique à l’Oural ». Autrement dit, l’ancrage à l’Europe de la partie occidentale de la Russie.
Il nous faut encore plus d’ambition : jusqu’à Vladivostok et au détroit de Béring ! Il est en effet probable que la Sibérie devienne pour les bébés qui naissent aujourd’hui ce que le Far West fut pour les nourrissons des pionniers européens du XIXème siècle qui traversaient l’Atlantique.
Trois raisons à cela : l’immensité de cette contrée, les ressources de son sous-sol, et l’éventualité d’un changement climatique qui la rendrait, à terme, beaucoup plus accueillante. Avant d’aller coloniser des exoplanètes, l’humanité se répandra sur les étendues terrestres actuellement sous-peuplées, dont la Sibérie est la plus importante.
L’attitude occidentale vis-à-vis de Poutine est ahurissante : nos dirigeants le poussent dans les bras des autocrates chinois, à tel point que Le Figaro du 15 septembre pouvait titrer sans craindre d’être ridicule « l’axe sino-russe » à propos de manœuvres en Sibérie où la Chine avait détaché un (modeste) contingent. Se rend-on compte, à Bruxelles et dans les différentes capitales européennes, de ce que sera le monde que nous préparons à nos petits-enfants si la prodigieuse machine économique et politique du seul communisme qui ait réussi s’empare de ce qui sera vraisemblablement la grande nouvelle ressource de la seconde moitié du XXIème siècle ?
Les bécassons bruxellois, vexés comme des poux par le Brexit, sont incapables de faire ce qu’il faut pour que le Royaume-Uni reste un pilier de la réalité européenne même s’il n’est plus membre de la machine bureaucratique qui a phagocyté l’alliance des nations européennes. Il n’est donc pas étonnant que ces hommes occupés à édicter des normes sur la taille des cages à poule, l’affinage des fromages et les déficits budgétaires ne conçoivent pas la stratégie d’association avec l’immense Russie qui serait vitale pour notre civilisation.
Si les formations politiques nationales ne sont pas complètement sclérosées, elles devraient mettre l’enjeu russe et sibérien au cœur des prochaines élections européennes. Ramener la Russie dans le concert européen, lui offrir la place de premier violon, et donner ainsi à l’Europe la possibilité de jouer le rôle mondial qui est sa vocation, cela changerait la donne.
Cette élection est importante car elle pourrait être l’occasion de mettre en selle un stratège. Nous n’en avons pas, ni à Bruxelles, ni à Paris, ni à Berlin. Macron et Merkel sont des tacticiens assez habiles, mais cette qualité ne suffit pas pour être membre d’une équipe d’obstétriciens politiques capable d’aider efficacement le monde d’aujourd’hui à donner le jour au monde de demain dans des conditions satisfaisantes pour l’Europe. Trouvons un stratège, ou l’Europe vieillissante ne sera plus, selon la formule gaullienne, qu’une grande lumière qui s’éteint.