Les bulles et les krachs sont des événements dont les conséquences néfastes accablent surtout les pauvres et les classes moyennes (qui tentent de placer leur épargne où ils pensent naïvement bénéficier du meilleur ratio rendement/risque)... En revanche, les ultra-riches, eux, sont confrontés à des cas de figure inédits sur lesquels l'histoire ne jette aucun éclairage pertinent.
C'est la première fois par exemple qu'une survalorisation démesurée de tous les actifs financiers se propage sans que le "petit peuple" ne soit de la partie et vienne racheter au plus haut ce que les riches ont acheté au plus bas. Les gens n'ont appétit ni pour des emprunts d'Etat qui ne rapportent rien, ni pour des actions dont les multiples explosent tandis que les profits réels progressent au rythme le plus lent jamais observé depuis l'après-Seconde guerre mondiale, six ans après l'amorce d'un prétendu nouveau cycle de croissance.
Qui a envie de se constituer un portefeuille d'entreprises qui n'investissent pas, n'embauchent pas et n'augmentent pas leurs salariés, délocalisent leurs sièges sociaux pour des raisons fiscales, cachent leur profits dans des dizaines de filiales offshore et versent des dividendes grâce à de l'argent emprunté ? Et le vieux coup des "PER qui ne sont pas cher"... cela ne prend plus depuis 2010.
Les épargnants ne sont pas revenus vers la bourse. Ceux qui possèdent des actions en sont souvent crédités à leur corps défendant, au travers de plans d'épargne de type fonds de pension dont la valeur au moment de la retraite constitue une vraie loterie. Souvenez-vous de la mésaventure subie par les salariés d'Enron, Worldcom, Adelphia... et de tous ceux ayant cessé leur activité en 2001/2002 puis en 2008/2009 : de quoi vivent-ils aujourd'hui ?
Le PER est devenu une référence particulièrement trompeuse. Celui de l'indice S&P 500 est le plus souvent estimé à 17,5, ce qui est déjà bien supérieur à la moyenne à long terme qui est de 14,8.
Méfiez-vous du PER
Mais le PER dissimule un biais qui fausse l'appréciation des non-initiés. Ils confondent trop volontiers les dividendes bruts (ce qu'intègre le PER) et les profits, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Une entreprise qui ne gagne pas d'argent peut toujours distribuer un dividende (en s'endettant, en rachetant ses propres titres, en cédant des actifs, etc.) et rémunérer grassement ses actionnaires... alors même qu'elle est sur le déclin et que la pauvreté de ses résultats opérationnels devrait susciter des questions sur la stratégie à moyen terme.
En ne tenant compte que des profits non-financiers (revenus d'activité), le PER moyen du S&P est désormais très supérieurs à 20 fois les bénéfices réels.
Alors bien sûr, 21 ou 22 de PER, c'est une bagatelle en regard de multiples supérieurs à 67 à Shenzhen (oui, vous lisez bien : PER de soixante sept) et de 40 à Shanghai, hors secteur bancaire et pétrolier. Une estimation hédoniste puisque beaucoup d'entreprises chinoisent se targuent de profits invérifiables... D'ailleurs, essayez de vous faire une idée des bénéfices d'Alibaba : personne n'est en mesure d'en formuler une estimation crédible.
Puisque les PER sont deux fois plus élevés à Shanghai (ils égalent leurs niveaux record de l'été 2001) et trois plus à Shenzhen qu'à Wall Street, les valeurs américaines ou européennes ne sont pas chères par comparaison.
L'évocation de la Chine, c'est l'occasion de mettre en évidence les mécanismes classiques du gonflement d'une bulle : une foule imbécile, avide et parfois analphabète, emportée par une hystérie spéculative qui puise sa source dans de l'argent trop facile, démultipliée par des leviers délirants et boostée par un sentiment d'invincibilité illusoire.
En Europe et à Wall Street, il y a également un sentiment d'invincibilité, les banques centrales ne cessant d'intervenir pour soutenir les cours à la moindre menace de consolidation. Il y a également des leviers -- les institutionnels, s'appuyant sur le "put Draghi" ou le "put Yellen", prennent tous les risques puisque les gains sont en principe certains -- mais il n'y a aucun enthousiasme populaire, aucun phénomène de foules succombant à une vague d'euphorie irrationnelle.
Investir en bourse ne fait plus partie des conversations entre particuliers quand il s'agit d'évoquer une stratégie patrimoniale. Les anciens "mordus" ne regardent même plus les cours : "tout ce cirque, c'est bidon".
Et nous lisons souvent que ce rally haussier est "le plus détesté de l'histoire" par une majorité d'actionnaires américains.
Même les pros doutent...
Même les gérants qui encensent l'action des banques centrales en public se montrent plus que sceptiques "en off". Ils participent au mouvement haussier à reculons.
Les plus honnêtes avouent acheter "par défaut", sous la contrainte de leur mandat. Les brasseurs d'argent qui gèrent les méga-flux de liquidités inventés par les banques centrales n'interviennent qu'au travers d'instruments comme des ETF, qui leur permettent de décamper du marché en quelques secondes à la moindre alerte.
Ce n'est pas une image : il suffit d'observer à quelle vitesse se vident les carnets d'ordres -- et comment la contrepartie s'évapore en un éclair -- lorsqu'un algorithme haussier ou baissier est activé par un ou plusieurs des relais financiers des banquiers centraux (banques d'affaires, hedge funds).
Dès qu'il est identifié, tous les opportunistes s'engouffrent dans la brèche, les contrariens se couchent.
Tout récemment, nous avons observé une phase de stagnation surnaturelle des indices boursiers durant 120 heures, ce qui trahit la mise en œuvre d'une "camisole algorithmique". Là, le cas de figure est inverse puisque quiconque croit identifier une tendance et mise sur un accroissement de la volatilité se fait littéralement plumer, via l'effondrement de la "valeur temps" : le marché ne va nulle part, le prix des options tend vers zéro.
De lundi à vendredi dernier (21h30), 95% des échanges au sein du Dow Jones se sont effectués entre 18 280 et 18 340 points, soit un corridor de 60 points ou 0,33% d'amplitude. ?
Même scénario pour le S&P, avec 30 heures de transactions (prises dans la continuité) toutes entières inscrites entre 2 125 et 2 135 points. C'est là encore moins de 0,4% de variation en quatre séances, avec une forte décrue de l'activité jeudi et vendredi.
Et le CAC 40 reste prisonnier depuis une semaine (mardi dernier, 9h15) d'un corridor 5 090/5 150. Cela débouche sur un effondrement des volumes depuis mercredi dernier : tous les traders ont vite compris que le "marché" ne devait aller nulle part.
En fait, beaucoup d'opérateurs ont compris depuis mars 2009 -- voire l'automne 2010 pour les plus lents --, qu'il n'y a plus de marché à partir du moment où il n'y a plus qu'un opérateur qui impose sa stratégie au travers de relais financiers qui lui sont totalement dévoués par conviction (comme JP Morgan qui gère un tiers des actifs de la Fed) ou par opportunisme (Goldman Sachs étant la seule banque d'affaires à jouer sa propre partition lorsqu'elle acquiert la conviction que la banque centrale perd la main).
La BCE et les banques...
Cette fois-ci, cependant, le scénario sera différent. La BCE vient en effet de démontrer qu'elle orchestre bien la fuite en avant (comme cela doit avoir été convenu avec la Fed)... mais elle se voit contrainte de changer de tempo au bout de trois mois. Un changement de braquet qui invite à s'interroger à la fois sur le calibrage du QE, sur les canaux de transmission de sa politique monétaire et pire que tout, sur la pertinence d'envoyer les taux explorer des territoires inconnus, avec comme conséquence absurde de pénaliser l'épargne obligataire puis ultimement la détention de liquidités.
Et voici le citoyen européen confronté à une alternative des plus singulières : investir la mort dans l'âme dans des actifs surévalués... ou payer pour exercer le droit de ne prendre aucun risque en se faisant confisquer une partie de ses dépôts par le système bancaire.
Si les liquidités figurant sur vos comptes ne peuvent en théorie pas produire d'intérêts négatifs (comme un Bund de maturité cinq ans ou une OAT de maturité trois ans), les banques peuvent en revanche inventer n'importe quel prétexte scélérat pour vous délester d'une partie de votre épargne : frais de tenue de compte additionnels pour détention de numéraire au-delà de 10 000 euros, pseudo droits de garde, taxation des retraits en liquide au-delà de 1 000 euros par mois, etc.
L'objectif : vous contraindre par tous les moyens de racheter -- au plus haut absolu -- les dettes provenant d'émetteurs insolvables et les actions gonflées à l'hydrogène (gaz hautement explosif) dont les ultra-riches cherchent désespérément à se délester.
D'habitude, ce transfert s'opère naturellement. Pas cette fois car l'arnaque est trop grosse : l'épargnant se met "aux spéculateurs absents".
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