Les récents attentats, par-delà l’émotion, soulèvent des problèmes d’intendance. Les hôpitaux ont dû faire face à un afflux tout-à-fait exceptionnel de blessés par balles ; ils se sont semble-t-il montrés à la hauteur, et la mobilisation des professionnels a été complétée par celle des bénévoles, notamment les donneurs de sang. Ensuite, il va falloir s’occuper de l’indemnisation des victimes : 4 000 dossiers à traiter par le Fonds de garantie d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), autant que depuis la création de ce fonds en 1986, selon Les Echos du 23 novembre.
Les réserves du Fonds sont suffisantes (1,2 Md€), si bien que le ministre des finances a pu dire : "le problème n’est pas l’argent, mais la rapidité et l’accompagnement des victimes." Pour instruire tous ces dossiers, pour s’occuper correctement des personnes concernées, il faut clairement beaucoup plus de personnel que d’ordinaire. Le fait que le FGTI soit en fait géré par le FGAO, le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, facilite les choses : à l’intérieur du FGAO, il existe sans doute une certaine adaptabilité des agents, permettant de consacrer davantage d’entre eux à ce qui est l’urgence du moment. Mais probablement faudra-t-il avoir recours à d’autres personnes encore : l’adaptabilité et la polyvalence constituent à l’évidence la clé pour résoudre ce problème.
Il en va de même dans bien d’autres cas de figure. Le Figaro du 23 novembre relate comment est organisé le passage des migrants d’Autriche en Allemagne : l’ordre et la discipline ne président pas par miracle à cette opération, mais parce que les policiers des deux pays et les bénévoles d’associations d’accueil des migrants coopèrent efficacement. Je suppose que, dans chacune de ces catégories, on trouve une majorité de personnes qui n’ont pas pour fonction habituelle de contrôler, enregistrer, nourrir, héberger, et plus généralement prendre en charge des foules venues de Syrie, d’Iraq, d’Afghanistan, du Kosovo et d’autres pays où l’ordre ne règne pas. Là encore, c’est l’adaptabilité et la polyvalence, y compris celle fournie par le bénévolat, qui donne un bon résultat.
J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer ici-même que le traitement des dossiers de demande d’asile, dont le nombre peut passer du simple au double (ou vice-versa) en quelques années, et plus rapidement encore ces temps-ci, ne fonctionnera correctement que le jour où les services ad hoc seront à géométrie variable, occupant un nombre plus ou moins grand de fonctionnaires selon que les demandeurs se pressent plus ou moins au portillon. Cela requiert à l’évidence qu’un bon nombre de fonctionnaires soient polyvalents, capables de passer, par exemple, de l’état civil ou des permis de construire à l’instruction des demandes d’asile, et vice-versa. L’idée de mettre à contribution les postiers, surnuméraires, pour aider à faire passer les permis de conduire, pour lesquels les listes d’attente s’allongent de manière inadmissible, devrait si j’ose dire faire des petits.
Les effectifs de nos forces armées devraient pouvoir s’adapter aux besoins, notamment en misant sur une réserve d’anciens soldats, sous-officiers et officiers susceptibles d’être rappelés sous les drapeaux en cas de besoin. Dans un registre plus civil, la polyvalence des enseignants du secondaire permettrait de ne pas laisser des élèves "en panne" d’apprentissage des maths ou de la littérature française, comme cela arrive trop souvent aujourd’hui. Et si le professeur de physique, familier sinon de la langue de Shakespeare, du moins de celle d’Oppenheimer, pouvait enseigner un peu d’américain scientifique le jour où son collègue angliciste serait alité, les élèves seraient gagnants.
Ce besoin de souplesse se fait également sentir dans les entreprises. Parlons d’abord de celles qui fabriquent des armes et des munitions, puisque nous sommes en guerre. Les besoins de nos forces armées peuvent passer en un rien de temps de 1 à 2, ou 3, ou 10 : la consommation de bombes et missiles, par exemple, croît brusquement quand on se met à sérieusement pilonner l’ennemi. Il faut donc disposer d’usines qui, en temps "normal", fonctionneront à moins de la moitié de leur capacité, et qui pourront monter très rapidement en cadence. Même si la production stricto sensu est largement robotisée, cela suppose de pouvoir s’adjoindre rapidement des ingénieurs et techniciens, car les robots ont besoin d’être dirigés et entretenus.
Pour les activités civiles, il en va de même, fut-ce dans une moindre mesure. Comment fonctionnent les stations de sport d’hiver et les stations balnéaires ? Les commerces des premières ont besoin de beaucoup plus de personnel à la période froide, et ceux des secondes à la belle saison ; cela exige une grande adaptabilité de la main-d’œuvre, et une bonne polyvalence : être capable de séjourner à Tignes comme à Saint-Raphaël, et de s’occuper aussi bien des remonte-pentes que des trampolines.
Ajoutons pour terminer une banalité terriblement importante : nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait, il n’est donc pas prudent d’avoir une seule corde à notre arc. Il paraît que nos Rafales ne sont les meilleurs ni en combat aérien, ni en bombardement à haute altitude, ni en attaque au sol, mais qu’ils sont très bons pour tous les types de mission, et que c’est un atout important, parce qu’après le décollage l’imprévu n’a rien d’exceptionnel. C’est peut-être un exemple à suivre. À quand le slogan "je suis Rafale" ?