Depuis de très nombreuses années, les gouvernements successifs nous font croire que la santé coute cher et que les « économies de santé » sont l’alpha et l’oméga de la politique de santé en France. Bien sur les médecins sont en première ligne puisque ce sont eux, toujours de l’avis des politiques, qui sont à l’origine des coûts de la santé.
On aurait pu avoir dans les ministères des hommes ou des femmes intelligents, qui considèrent avec réflexion et bon sens que c’est la maladie qui est la source de dépenses et pas le médecin. A la place de cela nous avons eu des énarques, à commencer par Alain Juppé, qui ont tout misé sur la médecine comptable et les chiffres. Nous aurions pu avoir des professionnels qui avancent sur la prévention comme mode d’économie, anticiper les maladies afin qu’elles ne se développent pas, nous avons à la place la prévention parent pauvre de notre système de soins par manque de volonté et de moyens.
Alors depuis les années 1990, c’est le corps médical qui trinque, il doit couter le moins cher possible. D’abord les prix de consultation Français, les plus bas d’Europe, mettant en danger l’exercice libéral de la médecine toute entière. Puis ce furent les différentes contraintes dans les pratiques médicales, contraintes assorties de primes. Votre médecins depuis l’invention du ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique) est « obligé » de faire des économies sur le dos des patients s’il veut être payé de cette prime. Il est incompréhensible que les syndicats aient signé ce ROSP alors qu’ils y étaient opposés quelques mois auparavant. Le CNOM (conseil national de l’ordre des médecins) a toujours été contre pour des raisons évidentes d’éthique médicale. Ce ROSP comptabilise les « bonnes pratiques » aux yeux de la CPAM, c'est-à-dire les pratiques permettant de faire des économies. Les médecins étant depuis ce ROSP rémunérés par cette prime, non pas s’ils font de la bonne médecine mais s’ils font faire de belles économies.
Je passe sur les différentes attaques contre la médecine libérale, dont l’apogée a été le vote en catimini, pendant le deuil national du 13 Novembre, de la loi de modernisation de la santé. Loi qui se veut moderne en « uberisant » la santé, faisant de cette santé un produit marchand comme un autre. De nombreux articles y ont été consacrés et les patients qui se documentent et s’informent sont au courant. Non ce qui est nouveau aujourd’hui c’est l’annonce dans la presse, avant que toute négociation n’ait aboutie, de la volonté de la CPAM d’introduire la prescription d’arrêts de travail dans ce ROSP. Le terme de « pertinence » a été prononcé pour évaluer les arrêts de travail, en séparant les bons arrêts des mauvais. En un mot le médecin verra sa rémunération amputée d’un malus s’il prescrit des arrêts « non pertinents. » Il est facile d’imaginer l’usine à gaz inventée par la CPAM pour contrôler cette pertinence.
Notons quand même que cette information donnée à la presse par les acteurs de cette idée, n’est qu’une piste de réflexion. Elle doit faire l’objet de discussion au cours de la négociation de la convention, et les syndicats paraissent aujourd’hui vent debout contre cette mesure. Rien n’est décidé donc, mais comme d’habitude, l’information fuite et devient une vérité dans les médias, une façon habituelle de jouer le coup de la carte forcée.
La motivation principale de l’état et de la CPAM étant bien sur de faire des économies sur les indemnités journalières en constante augmentation. Comme toujours la politique de santé Française ne s’intéresse pas aux causes mais seulement a leurs effets. Les arrêts de travail sont en augmentation, on demande aux médecins de les restreindre, sans penser une seule seconde que cette augmentation est due à une augmentation de nombreuses maladies. En premier les maladies dues au travail, le stress, le burn out, le harcèlement au travail ainsi que les maladies liées aux conditions de travail. Cela paraît une évidence, la loi sur le travail appelée loi El Khomri l’a bien compris puisque dans ses articles un chapitre entier est consacré à la médecine du travail et aux façons de la supprimer. Casser le thermomètre en cas de température est un des outils de notre gouvernement. Les responsables syndicaux des médecins s’en sont même émus en affirmant qu’il y avait un véritable problème de société au travail.
Les médecins donc, si les syndicats signent cette proposition, ne seraient pas contrôlés sur le nombre d’arrêts de travail (quoi que) mais sur leur pertinence. La prime du ROSP reviendrait aux médecins obéissant à une directive de la haute autorité de la santé sur cette pertinence. Un groupe d’experts recommande par exemple de prescrire trois jours d’arrêt pour une angine, cinq jours pour une grippe, toutes les pathologies habituelles y seront répertoriées. La prime reviendrait donc aux médecins qui sont bien dans la nomenclature et pas à ceux qui font de la bonne médecine proche du patient.
A l’inverse, si un médecin prescrit des arrêts de travail dont la durée n’est pas pertinente il se verra appliquer un « malus » qui diminuera ses revenus. De plus la CPAM souhaite mettre en place un système de déclaration des arrêts de travail par internet. Un travail supplémentaire de flicage à faire par les médecins sans aucune rémunération pour le réaliser. Une déclaration sur internet comportant beaucoup plus de critères que sur la feuille d’arrêts actuelle, permettant de mieux « contrôler » la pertinence. Une comble donc puisque le médecin sera obligé de faire un travail administratif dirigé contre lui (un de plus) au lieu de se consacrer aux patients et a leurs maladies.
Seule réponse de l’état face aux augmentations importantes des arrêts de travail , un flicage supplémentaire et des sanctions. Il est à noter quand même qu’en mettant cela en place, l’état par l’intermédiaire de la haute autorité de la santé enfonce le clou de la discrimination entre les salariés. La différence de traitement entre la fonction publique, aucun jour de carence, les salariés trois jours de carence et les indépendants 90 jours, n’aura jamais été autant utilisée par nos énarques. Nicolas Sarkozy avait unifié les jours de carence entre privé et public, trois jours pour tout le monde pour des raisons évidentes d’égalité. L’effet fut immédiat, le nombre de petits arrêts de travail dans la fonction publique avait radicalement diminué. A contrario, François Hollande par mesure électoraliste a redonné à la fonction publique son privilège antérieur à la mesure Sarkozy, c'est-à-dire plus aucun jour de carence. Effet immédiat là aussi les arrêts de travail ont augmenté dans la fonction publique de façon constante, surtout chez les titulaires qui ne risquent rien.
Cette mesure de l’arrêt de travail sous contrôle fera encore bien des différences, le fonctionnaire qui même pour un petit arrêt sera payé intégralement et le salariés de PME qui se verra amputé de trois jours de salaire pour cette même angine (par exemple) Si cette angine nécessite médicalement plus de jours d’arrêt, ce sera le médecin qui devra faire revenir son patient pour prescrire un second arrêt.
Du côté des patients nous aurons bien sur les retombées immédiates sur la santé, des arrêts trop courts pour que le médecin ne perde pas le malus, puis des rechutes nécessitant un nouvel arrêt. La machine infernale sera en route, les plus impactés seront les patients, le gros bénéficiaire sera la CPAM. Côté syndicat de salariés aucune réaction à attendre, leurs « clients » sont les fonctionnaires qui pourront toujours avoir leurs petits arrêts de deux ou trois jours payés intégralement.
On peut donc le dire encore une fois, les médecins sont très « patients » combien de temps durera cette patience ? Au mieux les syndicats médicaux refuseront de signer, subiront des pressions et la mesure passera dans le silence. Au pire la colère des médecins se renforcera et tout peut arriver, du blocage sanitaire total comme le 13 Novembre (avec un taux de 75% de cabinets et cliniques fermés) jusqu’au refus total de la convention avec comme corollaire une liberté de soigner retrouvée.
On peut aussi imaginer une grève totale des arrêts de travail (pertinents ou non) les médecins libéraux laissant le soin a la sécurité sociale de gérer ses « assurés » avec ses médecins conseil, ce serait drôle.
Les patients pourront toujours crier Hey Ho, ils seront toujours les victimes de l’absence de politique de santé intelligente.