Après une séquence réussie sur le dévoilement des ordonnances, Macron a cédé aux vieux démons de l’énarchie: considérer que toute divergence d’opinion est un combat de l’erreur populaire contre la vérité technocratique. Les bourdes s’enchaînent sur ce sujet. Jusqu’à contaminer le principe des ordonnances lui-même?
.@BGriveaux revient sur la polémique : « Vous savez très bien que « fainéants » ne s’adressaient pas aux Français » pic.twitter.com/Am65xNehm1
? France Inter (@franceinter) 11 septembre 2017
Ce sera, très probablement, le sujet majeur du quinquennat Macron, qui éclipsera tous les autres: le Président (et ses affidés comme Benjamin Griveaux, ministre aux fonctions exactes inconnues à ce jour) accepte-t-il les divergences d’opinion? Ou veut-il imposer sans contradiction possible les vues d’une caste dominante qui ne cache pas son mépris pour le reste du monde?
Le précédent Villiers
Tout le monde a gardé en mémoire le moment estival Villiers, où le Président a expliqué froidement aux généraux qu’il était leur chef. Dans la foulée, il s’est senti obliger de rabrouer publiquement le chef d’état-major qui avait fait son devoir en s’exprimant à huis clos devant la commission de la Défense à l’Assemblée Nationale. L’affaire avait donné lieu à un manifeste raidissement du Président et à la démission du général.
C’était un premier indice de la gestion de la divergence d’opinion par Emmanuel Macron.
Le précédent polonais
Lors de sa tournée auprès des pays du groupe de Visegrad, Macron a encore fait plus fort. Il s’en est pris à la Pologne qui refuse sa proposition d’évolution sur le travail détaché. Et voilà comment notre grand européen découvre les joies du multilatéralisme…
Là encore, la gestion de la divergence d’opinion s’est rapidement transformée en conflit des volontés.
Le moment « fainéants » et « névrosés »
Assez curieusement, Emmanuel Macron persiste et signe dans cette technique toxique de crispation en cas de divergence d’opinion. Alors qu’il peut se targuer d’avoir évité le pire sur les ordonnances, et de bénéficier d’une forme d’indulgence syndicale, il en veut plus. Tout se passe comme si le mouvement de contestation d’aujourd’hui, annoncé depuis trois mois et qui apparaît à de nombreux égards comme un minimum syndical, constituait une offense à son autorité aristocratique.
D’où le recours à des mots blessants qui coupent court à tout débat. Ceux qui manifestent sont des fainéants, ou des névrosés selon Benjamin Griveaux. On ne peut pas mieux montrer que, pour le pouvoir en place, l’opposition est forcément une dissidence.
Vers une hégémonie aristocratique
En creux, on perçoit l’ambition d’Emmanuel Macron, dont la nature orwellienne est de plus en plus évidente. L’objet du Président n’est pas seulement de réformer, il est aussi d’établir une domination de caste. Nous l’avions évoqué il y a quelques mois: Macron procède à une révolution jeune-turc, ou, en tout cas, en affiche-t-il la volonté.
Dans sa vision du monde, la modernisation du pays passe par sa reprise en main au bénéfice d’une technostructure créditée d’une plus grande efficacité que la classe des élus traditionnels. Pour relever la France, il ne faut pas de débat démocratique, mais plutôt le déploiement d’une doctrine portée par la technostructure. Il ne faut pas de représentant du peuple, mais des experts, des techniciens, qui vont prendre les bonnes mesures.
Ce faisant, l’exercice du pouvoir n’est plus un espace de persuasion, ou de conviction, mais un espace de domination hégémonique du corps social par une technostructure sûre d’elle-même.
Reste à savoir si, à long terme, ce pari peut-être gagnant.
Article écrit par Eric Vehaeghe pour son blog