Le sujet du marché du travail ne peut pas être abordé sans être replacé dans son contexte, ce que la plupart des « mondialistes » (voir mon article d’avant-hier), évitent soigneusement. On peut citer éléments clés de ce contexte.
La mondialisation, qui est très souvent une jungle. Elle autorise l’importation en Europe de produits dont certains éléments sont parfois fabriqués dans des conditions indécentes, tout en maintenant soigneusement les citoyens-consommateurs dans l’ignorance de ces conditions de fabrication.
La priorité absolue donnée au profit, et la croyance qu’il peut augmenter indéfiniment. C’est un principe intangible de plus en plus banalisé, alors qu’il est suicidaire. En effet, « la recherche de la maximisation du profit n'est mécaniquement pas durable : à force de se laisser griser par des taux de rendement de 10, puis 15, puis 20, et pourquoi pas 25 %, on oublie simplement qu'il y a une limite physique au-delà de laquelle le château de cartes s'écroule. Cette limite, nous venons brutalement de l'atteindre »... (Franck Riboud, PDG de Danone, Le Monde, 2 mars 2009).
Une évasion fiscale mondiale sans précédent, qui fausse totalement la concurrence entre les entreprises sur un même marché, et plombe chaque matin la prospérité de nos pays.
Des Etats qui ont scandaleusement accepté de se placer en situation de dépendance totale vis-à-vis des très très grandes entreprises. Comment ? C’est très simple. Après avoir racheté leurs concurrents, certaines d’entre elles ont réussi à s’organiser dans certains secteurs en oligopoles mondiales (4 ou 5 acteurs) qui s’entendent sur les prix et évitent soigneusement de se faire concurrence. Devenues extrêmement riches et puissantes, elles sont parvenues à placer les Etats en concurrence parfaite, en pratiquant le chantage aux délocalisations, et en exigeant des conditions favorables pour s’implanter dans tel ou tel pays.
Cette concurrence les enrichit car elles obtiennent des conditions très avantageuses, mais appauvrissent les Etats qui sont contraints de tailler dans leurs budgets, d’accorder des avantages fiscaux à ces Maîtres chanteurs, et de démanteler leurs régimes sociaux, pour gagner la course « au plus offrant » qu’ils se livrent entre eux de façon pathétique, au sein même de l’Europe. D’où les inégalités qui se creusent à la fois par le haut et par le bas.
C’est le monde à l’envers. La perversion totale du système économique. Des entreprises qui se sont affranchies de la concurrence, et des Etats en concurrence parfaite ! La facture est payée par les citoyens, et plus particulièrement par les plus pauvres. Depuis les années 80, ces quatre éléments ont modifié l’équation du marché du travail qui est devenue la suivante :
« Dans une économie où le système social offre une réelle protection aux salariés, le taux de chômage doit être suffisamment élevé pour que la pression salariale soit faible, si les actionnaires exigent une rentabilité du capital forte. Si l’on veut un taux de chômage faible, il faut alors réduire la protection sociale, pour maintenir l’objectif prioritaire d’une rentabilité du capital forte». Nous sommes donc très très loin de la défense et de la promotion de la valeur «travail», car cette équation conduit mécaniquement aux précarités et aux travailleurs pauvres. Un travail qui ne permet pas de vivre et faire vivre sa famille convenablement, n’est pas une valeur. Viviane Forester, dans son livre « L’horreur économique », paru en 1998 (il y 19 ans !), résumait cyniquement les termes de cette équation : « aux Etats Unis, l’emploi est favorisé au détriment des salaires, alors qu’en Europe, les salaires le sont au détriment de l’emploi. Peut-être. Mais rien nulle part ne joue au détriment du profit ! »
Regardons l’Europe. Le chômage est plus faible en Allemagne, mais la pauvreté y explose. Le Royaume Uni atteint des sommets dans la pauvreté avec le contrat « zéro heure ». C’est un contrat qui prévoit que le salarié se rende disponible, pendant la période légale d’activités, à n’importe quel moment, sans aucun engagement de l’employeur. Il existe 1,3 millions de personnes en contrat zéro heures au Royaume Uni, avec zéro heures travaillées dans l’année, mais qui ne sont pas considérés comme des chômeurs.
Depuis 2007, la France emprunte la voie des Etats Unis de l’Allemagne et du Royaume Uni, et nous voyons sous nos yeux se développer en France les travailleurs pauvres et les précarités, donc la peur du lendemain pour des milliers de familles. Ce n’est pas glorieux. Quelles conclusions tirer de tout cela ?
Dans ce contexte, le futur Président ne pourra pas se draper dans le rôle de l’Homme qui aura sû rétablir le plein emploi, s’il évite soigneusement d’évoquer ce qui précède. La réalité est qu’il n’est pas normal de réformer le code du travail (surtout en utilisant le 49.3, les ordonnances et le vote bloqué) sans s’attaquer parallèlement, avec force (et non pas du bout des lèvres) au dossier fiscal au sein de l’Europe, aux excès du capitalisme et à l’humanisation de la mondialisation en empruntant les chemins dessinés à la fois par le Parlement européen et par Monsieur Klaus Schwab, le Président de Davos, (et bien d’autres encore). Sans oublier la moralisation de la vie publique… qui est un point clé de la paix sociale.
C’est la seule façon de trouver un juste équilibre entre la nécessaire compétitivité dans une concurrence équitable et non faussée qu’il faut rapidement créer, et la nécessaire protection sociale à laquelle tout un chacun aspire pour sa famille. A mes yeux aucun futur Président, aucun Premier Ministre, aucun ministre du travail ne pourra réformer le code du travail sans cette réciprocité, sans cette vision d’ensemble. C’est cela que j’espère avoir démontré au travers de cet article et de ceux qui ont été publiés hier et avant-hier, sur la mondialisation et le capitalisme. C’est cet ensemble qu’il serait merveilleux de voir abordé lors des deux débats télévisés qui seront organisés entre les candidats, l’un sur TF1 et l’autre sur France 2, de façon à faire « tomber les masques » des candidats les plus ambigus sur ces difficiles questions