L’Europe entre soutien différencié à l’économie, pays par pays, et distorsion de concurrence

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 22 avril 2020 à 13h56
Union Europeenne Limites Tolerance Etats
@shutter - © Economie Matin
540 MILLIARDS €Le plan de l'Union européenne a validé 540 milliards d'euros d'aides.

Le Sommet européen de demain, 23 avril 2020, va discuter de l’opportunité d’une initiative de soutien à l’économie, de taille importante et gérée par la Commission. Un argument en sa faveur est que des programmes nationaux de taille très différente doivent s’interpréter comme une distorsion de concurrence au sein du marché unique.

L’écart de taux d’Etat à 10 ans entre l’Italie et l’Allemagne a atteint 265pdb au cours de la séance d’hier. Vendredi on avait clôturé à moins de 240pdb. Comment ne pas voir que la situation en Europe préoccupe le marché à côté de celles du prix du pétrole et de la durée du confinement des deux côtés de l’Atlantique ?

En fait, les investisseurs et les opérateurs s’interrogent sur la soutenabilité de la dette publique italienne, dans un contexte (on en parlait vendredi dernier) de forte chute de la croissance et de montée du déséquilibre des comptes des administrations. Ne dit-on pas que le ratio dette publique sur PIB atteindra 155% cette année ? En fait, le gouvernement doit avancer sur un chemin de crête particulièrement étroit. D’un côté, il doit absolument soutenir l’activité économique et de l’autre il craint que, « s’il en fait trop », la sanction des marchés tombe sous la forme de pressions haussières sur le rendement des titres souverains. Bien sûr, la BCE est là ; mais jusqu’à quel point ? Dans ces conditions le risque est pour le pays de se retrouver avec une croissance qui a bien du mal à redémarrer et des comptes publics toujours très déséquilibrés. Le « coup de collier » budgétaire n’aurait pas été suffisant et un cercle vicieux, mêlant dynamisme trop mesuré de l’économie et déséquilibre budgétaire renforcé, s’enclencherait.

Doit-on laisser l’Italie se dépêtrer toute seule avec ses difficultés ? Au point d’ouvrir un débat politique intérieur sur le bienfondé de la présence du pays au sein de l’Union Européenne ? Les degrés de liberté en termes d’action publique ne pourraient-il pas être plus élevés en cas de retour à une pleine souveraineté ? La question est posée à tous les autres membres de l’UE et de la Zone Euro.

Rappelons deux choses avant d’avancer dans le débat. D’abord, l’Italie a en quelque sorte « essuyé les plâtres » pour ce qui est de la gestion de la crise sanitaire et ensuite la mesure qu’on peut prendre des initiatives de relance et de soutien de l’économie est en-deçà des « standards » allemand et français. Le pays se serait bien contraint de lui-même, comme on l’évoquait un peu plus haut dans le texte. Remarquons que sur le plan budgétaire la situation espagnole paraît être assez proche.

Cet écart dans les efforts fournis, si tant est qu’il soit confirmé, envoie un message d’attention aux partenaires de la Zone Euro (et aussi de l’UE). La reprise collective ne risque-t-elle pas d’être ralentie par celle plus modeste de deux pays-membres dont l’économie compte parmi les plus importantes ? Ou, pire, que l’incapacité de ceux-ci à « relever la tête » entrave la possibilité des autres à aller de l’avant.

On le sent ; la raison pousse à ce que les institutions bruxelloises gonflent l’enveloppe de mesures de relance. Le Conseil européen de demain doit normalement avaliser le plan de quelque 540 milliards d’euros sur lequel l’Eurogroupe était tombé d’accord il y a près de deux semaines ; non sans mal, rappelons-le : 240 milliards au travers du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), 200 milliards au titre d’une capacité de prêts de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et 100 milliards à celui du programme SURE de la Commission (soutien d’urgence pour faire face au risque de chômage). Le montant est certes non négligeable (près de 4% du PIB de l’UE) ; mais est-il suffisant pour viser certaines géographies particulières, sachant que pour chacun de ces programmes il y aura à la fois « beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus » ? D’où les propositions de mettre en place au niveau de la Commission une initiative de relance dont la taille pourrait atteindre 1000 milliards. Le mode de financement (in fine inévitablement l’emprunt) et les objectifs recherchés ne sont pas très clairs pour le moment. Les chefs d’Etat et de gouvernement auront à en discuter demain. Je voudrai insister sur le débat intellectuel qui va accompagner les discussions. Il va opposer solidarité à économie et, pour être plus précis, soutien aux Etats-Membres les plus fragiles versus bon fonctionnement du marché intérieur.

Il est évidemment facile de mettre en avant que de crise en crise la solidarité à l’intérieur de l’UE, et spécialement de la Zone Euro, a augmenté. Le tableau ci-dessous, repris de la fondation Schuman, le montre aisément. Jusqu’où doit-on aller dans un espace régi par le principe selon lequel chaque participant doit être en mesure de fonctionner en s’appuyant d’abord sus ses « mérites propres » ; une zone à « transferts limités » en quelque sorte ? Cette position est celle, traditionnelle, de l’Allemagne, des Pays-Bas et de l’Autriche ; pour n’insister que sur ceux-ci.

L’approche du Président français, reprise par la ministre espagnole de l’économie, prend en compte à la fois le fonctionnement du marché unique et les conditions de la concurrence. La différence dans les mesures de soutien apportées par les différents pays-membres doit s’interpréter comme une distorsion de la concurrence qui entrave le bon fonctionnement du marché unique. Les producteurs allemands ou français en tireraient un avantage relativement aux espagnols ou aux italiens. Ne serait-ce pas aussi une façon de renforcer la position avantageuse dont bénéficient certaines économies au sein du marché unique depuis le lancement de l’euro (Allemagne et Pays-Bas au premier chef) ? Enfin, pour aller un pas plus loin et sans faire parler le Président Macron, ne pas traiter cette question serait s’exposer au risque de rendre plus difficile le retour à un fonctionnement normal du marché unique une fois la crise sanitaire mise derrière. Certaines capitales européennes ne pourraient-elles pas faire preuve de réticence à rouvrir les frontières aux biens et services étrangers, alors même que le jeu concurrentiel est « faussé » ?

Ce renversement de l’utilisation des arguments de solidarité et d’efficacité économique entre le Nord et le Sud de l’UE (la taxinomie n’est pas complètement exacte) est habile. Suffira-t-elle à convaincre Berlin et ses alliés traditionnels sur ces questions ? Peut-être, mais dès demain, ce n’est pas sûr.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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