Régulièrement, de bons apôtres réclament une réduction des impôts. Mais, fussent-ils archi-diplômés, considérés comme des experts, consultés par les hommes politiques et régulièrement sollicités par les média, leurs discours ne portent quasiment jamais sur le point névralgique.
Quel est-il, cet Himalaya qu’ils ont sous les yeux sans y voir un relief digne d’attention, leurs regards se concentrant sur une multiplicité de taupinières ?
Notre montagne fiscale est le financement de la protection sociale par des impôts, ou des cotisations qui sont devenues au fil du temps des prélèvements quasiment fiscaux. On comprend que beaucoup de soi-disant experts préfèrent conseiller l’arasement de modestes monticules à celui de cet Everest : ce sont eux ou leurs semblables qui ont apporté l’appui de leur notoriété à la mise en service de la noria de camions législatifs et réglementaires qui ont fait passer, année après année, des milliards d’euros de cotisations sociales de la plaine fertile de l’assurance à la montagne stérile de l’assistance.
Les dépenses de l’Etat et de la sécurité sociale ne diminueront pas
Certains de ces Diafoirus de l’économie s’imaginent possible de réduire le total des dépenses de l’Etat et de la sécurité sociale. Ils n’ont rien compris. Nous avons besoin de plus de services publics, et s’il est effectivement possible, dans bien des domaines, de gagner fortement en efficacité, il faudra quand même davantage d’argent « public » pour avoir à la fois tout ce dont la France a besoin : une armée à la hauteur des problèmes planétaires ; un ensemble policier-judiciaire-pénitentiaire fonctionnant correctement ; des infrastructures urbaines et rurales de qualité ; des services capables de s’occuper correctement des phénomènes migratoires, qui iront en s’amplifiant ; un système de soins aussi performant que l’attendent les malades et leurs proches ; une formation initiale nettement plus efficace ; des retraites confortables ; etc.
L’ensemble formé par l’Etat, les collectivités territoriales et les services médicaux et sociaux – disons en un mot les services public - se développera encore durant des décennies à un rythme plus rapide que le PIB, sauf à laisser en jachère des fonctions vitales.
Pour réduire les impôts, développer de vraies cotisations sociales
Certains des services publics qui viennent d’être énumérés doivent être financés par l’impôt, parce qu’il n’est pas possible de personnaliser leurs contreparties : l’entraînement et l’équipement de nos armées ne relèvent pas de cotisations. Mais pourquoi diable faire financer par la fiscalité une grande partie de nos retraites, de nos soins médicaux, de nos institutions scolaires et universitaires ? Tout cela relève de l’échange : nous payons des cotisations maladie comme des cotisations d’assurance automobile ou habitation, pour bénéficier d’un service – une « couverture, dit-on souvent. Faire financer l’assurance maladie par des impôts, ou des cotisations sociales patronales assimilées à des impôts sur les entreprises, c’est vraiment gaspiller la capacité limitée que nous avons de voir sans acrimonie notre argent disparaître dans une sorte de trou noir.
Il en va de même pour l’enseignement, depuis la maternelle jusqu’au master. Payer pour que les jeunes Français soient formés correctement, deviennent des travailleurs compétents, c’est comme souscrire aux augmentations de capital d’une entreprise : un investissement, et un investissement qui doit être rentable. Il est difficile de faire quelque chose de plus bécasson que financer par l’impôt l’investissement le plus vital, le plus important et le plus productif ! Logiquement, cet investissement devrait être financé par une cotisation productrice de droits sur une partie de la production future qu’il rend possible : des droits à une pension de retraite.
Les retraites par répartition fonctionnent actuellement de façon absurde
Ce qui précède, ami lecteur, vous aura certainement étonné : votre pension de retraite, ne la préparez-vous pas par vos cotisations vieillesse (ou ne l’avez-vous pas préparée de cette manière, si vous êtes déjà retraité) ? Eh bien non ! Alfred Sauvy l’expliquait déjà au milieu des années 1970 : nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants. Nous attribuer des droits à pension parce que nous prenons en charge nos aînés, c’est tout simplement débile ! Nous ne faisons que leur renvoyer l’ascenseur : ils nous ont mis au monde, entretenus, éduqués, instruits, soignés, nous leur sommes redevables, et nos cotisations vieillesse constituent simplement une façon de payer notre dette.
Les lois qui prétendent que nos cotisations vieillesse nous donnent le droit de ponctionner la génération de nos enfants et petits-enfants constituent une erreur qui nous coûte collectivement très cher. En effet, elles transforment en prélèvements sans contrepartie les sommes énormes que nous versons pour financer l’investissement le plus névralgique, à savoir l’investissement dans la jeunesse. Et qui plus est, elles organisent l’injustice dont sont victimes les parents du fait que la sécurité sociale ne reconnaît presque pas l’apport qu’ils réalisent en mettant au monde, en entretenant et en élevant leurs enfants.
Organiser un véritable échange, pas un système de Ponzi !
Beaucoup d’économistes américains parlent de système de Ponzi (ou de Madoff, pour prendre une célébrité moins ancienne) à propos de nos retraites par répartition. Pourquoi ? Parce que nos caisses de retraite agissent exactement comme ces escrocs (dont le second à quand même été gratifié de plus de cent années de prison pour son forfait), à une différence près : c’est qu’elles le font avec l’appui de l’Etat, qui rend obligatoires les cotisations à la CNAV, à l’ARRCO-AGIRC, etc. Si le gouvernement américain avait contraint les citoyens à verser un joli pourcentage de leurs revenus aux fonds d’investissement que proposait Bernard Madoff, celui-ci n’aurait pas fait faillite. Il serait devenu l’alter ego de la Social Security américaine (le système de retraites par répartition en vigueur aux Etats-Unis).
Il importe donc grandement de réformer nos retraites par répartition pour en faire une pièce maîtresse de l’échange non marchand que pourrait et devrait devenir un vaste ensemble de services publics (sécurité sociale et formation initiale, notamment).
Plus généralement, nous pouvons remplacer par des cotisations productrices de droits, ou équivalentes à des remboursements, plus de la moitié des prélèvements obligatoires sans contrepartie, ou avec une contrepartie indue, qui paralysent actuellement notre pays. L’échange social est la planche de salut qui nous permettra, si nous le voulons, de ne pas être de plus en plus étouffés par une fiscalité et une quasi-fiscalité foisonnantes, et pourtant insuffisantes pour éviter un déficit public insupportable.