Le bonheur des uns fait le malheur des autres : si la chute vertigineuse du prix du pétrole (-46 % pour le cours du Brent, passé de 115 à 62 dollars le baril entre juin et aujourd'hui) est une aubaine pour le consommateur de pays importateurs comme la France, elle traduit avant tout l'atonie de l'économie mondiale et de la demande en provenance des pays émergents, dans un contexte où l'offre ne cesse d'augmenter grâce aux progrès technologiques permettant à de nouveaux acteurs de pénétrer le marché.
Comment interpréter l'absence de réaction d'une OPEP indéniablement pilotée par l'Arabie Saoudite, sa seule décision étant de ne rien faire pour lutter contre la chute du cours du pétrole ? Cela traduit en réalité une véritable lutte de pouvoir entre les pays producteurs traditionnels et les nouveaux entrants. Les premiers, en instaurant une stratégie commerciale non coopérative et agressive à l'encontre des nouveaux producteurs, essentiellement d'Amérique du Nord, visent à regagner des parts de marchés. Comment ? En laissant filer vers le bas le prix du baril, l'OPEP et l'Arabie Saoudite en particulier veulent mettre en difficulté la production de pétrole de schistes et de sables bitumineux (Etats-Unis et Canada), qui n'est rentable qu'à partir de 65 dollars le baril en moyenne.
Sans reprise de la croissance mondiale (qui paraît fort peu probable en 2015), une telle stratégie pourrait s'avérer gagnante, même si elle génèrera d'importants dommages collatéraux. Jusqu'où la baisse pourrait-elle se prolonger ? L'Arabie Saoudite, en annonçant qu'elle était prête à laisser filer le baril de pétrole jusqu'à 40 dollars, a probablement ancré dans la tête des investisseurs ce niveau comme prochain objectif. Il ne serait donc pas surprenant qu'il soit atteint dans les mois à venir.
Plus globalement, cette incertitude nouvelle quant à l'évolution des prix des matières premières, dont la plupart a baissé depuis fin 2011, ne sera pas sans conséquence sur nombre de pays ne pouvant pas équilibrer leur modèle social à ce prix. Gardons en mémoire que la plupart des ruptures dans l'histoire moderne ont trouvé leur origine dans la forte volatilité des prix des matières premières (chocs et contre-chocs pétroliers dans les années 70-80, massacre de la place Tiananmen en 1991, printemps arabes en 2012, etc...).
Article extrait de la revue Décryptage, n°17, Décembre 2014