[Best Of ] Emmanuel Macron, ses 2,88 millions de revenus, son appartement à 1 million, et l’ISF

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 28 juillet 2017 à 16h32

Il n'y a pas que la déclaration de patrimoine de Manuel Valls qui suscite des interrogations (lire Manuel Valls, expert en optimisation fiscale). Celle d'Emmanuel Macron, publiée cette semaine, est aussi pleine de zones d'ombres.

Le nouveau ministre de l'Economie et des Finances a en effet déclaré à la Haute Autorité sur la transparence de la vie politique avoir gagné 2,88 millions d'euros entre 2008 et 2012. Dans le même temps, il déclare détenir depuis 2007 un appartement parisien valorisé 1 million d'euros. Ajouté à ses revenus comme conseiller à l'Elysée de 2012 à 2014 (plus de 100 000 euros par an), il y a largement de quoi être assujeti à l'ISF. Et pourtant, Emmanuel Macron avait déclaré en septembre 2014, au magazine l'Express, avoir investi dans des travaux dans sa résidence secondaire au Touquet.

Problème : cette résidence secondaire au Touquet n'apparaît pas dans sa déclaration de patrimoine, ce qui laisse penser qu'elle appartient en pleine propriété à son épouse. Oui, mais quid des travaux réalisés dans la maison, qui ont créé de la valeur (ajouter une piscine, une veranda, aménager des chambres, des combles, un sous-sol, construire une dépendance ou des garages en augmentent mécaniquement la valeur du bien) ? D'autant plus qu'Emmanuel Macron a indiqué dans sa déclaration avoir contracté un prêt de 350 000 euros... pour financer des travaux dans une résidence secondaire qu'il ne possède pas !

Le nouveau ministre de l'Economie et des Finances devra sans doute s'expliquer à la rentrée prochaine sur sa déclaration de patrimoine, et sur le montage qui lui permet de ne pas payer l'ISF, alors même que ses revenus et son patrimoine mis bout à bout dépassent manifestement largement les 1,3 million d'euros. Mais peut-être le banquier d'affaires, expert en optimisation fiscale pour ses clients, as-t-il trouvé une combine parfaitement légale pour lui-même...

[Mise à jour 31 décembre 2014] : Cet article a suscité de nombreuses réactions de lecteurs. Je vous fait partager quelques unes des réponses ci-dessous :

A Anticor 83 (association de lutte contre la corruption) qui a partagé l'article, et voulait avoir plus d'éléments pour comprendre le problème soulevé par la déclaration de patrimoine d'Emmanuel Macron :

Ce n'est pas à une association experte en matière de "lancer d'alerte" que je vais faire la leçon... Il y a bien d un coté, sur quatre ans, des revenus très élevés que seule une grosse poignée de Français peut prétendre toucher, et de l'autre, une affectation de ces revenus très floue, pour ne pas dire opaque. Gagner beaucoup d'argent n'est pas répréhensible, contrairement à ce que François Hollande a voulu faire croire, avec la taxation à 75 % des revenus supérieurs à 1 million d'euros. En revanche, si Emmanuel Macron s'est soustrait, volontairement, ou par négligence ou phobie administrative, ou encore, par des mécanismes d'optimisation fiscale légaux, à l'impôt, et en particulier à l'ISF que son courant politique défend bec et ongle, là, il y a problème.
Pour dépenser de telles sommes dans un délai record, et passer sous le seuil de l imposition à l'ISF, il faut quasiment en faire une activité à plein temps. Le calcul est simple à faire d'ailleurs ! L'année ou Emmanuel Macron a touché 1 million d'euros, pour manger l'essentiel de ces revenus exceptionnels au fil de l'eau (l'ISF s'appliquant sur le patrimoine détenu lors de l'année écoulée, au 31 décembre), il aurait fallut depenser plus de 2000 euros par jour (soit 700.000 euros tout de même en un an) et garder le reste pour payer ses impôts !
Si Emmanuel Macron a financé des travaux dans la maison de son épouse, sans en etre ni propriétaire ni associé de la SCI, il y a un probleme : les aménagements réalisés sont à son actif, lui appartiennent toujours. Sinon ce serait trop simple !
En plus il a contracté un emprunt de 350.000 euros pour ces travaux. Mais alors combien as-t-il dépensé en tout dans cette maison ? Il ne l a pas dit. Le seul fait qu'il ait contracté, lui, l'emprunt pour les travaux, est la preuve qu'il est associé de fait de la SCI qui détient la maison (si SCI il y a mais c'est logiquement le meilleur montage).
Dans les jugements de divorce, les juges regardent qui a effectivement apporté l argent pour acheter une maison ou faire des travaux, sans tenir compte de la répartition des actions de la SCI. Si c'est lui qui ajoute 1 million de valeur à la maison avec des travaux, c'est à mettre à son actif patrimonial....
J espère que ces précisions (apportées par un avocat fiscaliste à moi-même !) vous aideront dans votre compréhension du sujet.

A des confrères journalistes sur Facebook, ne comprenant pas pourquoi "gagner beaucoup d'argent serait mal" :

Cher confrère, le débat est le suivant : les socialistes ont établi des règles en arrivant au pouvoir, concernant l'ISF. Si un ministre, un député ou un cadre du parti s'y soustrait, alors cela pose un problème, car ils sont plus que des citoyens mais des "exemples".
Le deuxième probleme, c'est que l'explication (fumeuse) des travaux devrait logiquement pousser l'inspecteur du secteur dans lequel Emmanuel Macron réside à sortir sa déclaration, juste pour voir. Pas de procédure d'exception. Une simple vérification. Mais comme Emmanuel Macron est ministre de l'Economie.... Aucun inspecteur, ni chef de service, ni directeur de centre des Impôts, ni directeur régional, ne prendra ce risque pour sa carrière !

A un ami journaliste s'étonnant, toujours sur Facebook, que l'article cible un ministre socialiste (sans doute, sous-entendant qu'une dizaine de parlementaires de l'opposition sont dans le viseur de l'administration fiscale pour avoir sous estimé leur patrimoine, notamment en matière d'ISF)

  • Tu remarqueras que tu ne participes pas au débat : Peut-on être membre d'un parti ou d'un gouvernement qui prône l'exemplarité, et en même temps être suspect d'avoir soustrait des revenus ou du patrimoine aux impôts ? Non. Cahuzac l'a fait. Valls, c'est prouvé, avec son patrimoine de.... 93 000 euros, l'a fait. Macron, avec sa tête de gendre idéal, est susceptible de l'avoir fait, du temps où il était chez Rotschild. Peut-être as t-il régularisé certaines choses en passant à l'Elysée, ou même, en arrivant à Bercy. Mais son patrimoine, entre 2008 et 2012, avait de fortes chances d'être soumis à l'ISF.
  • S'il disait "c'était un acte militant pour moi pendant cette période de ne pas payer l'ISF à un gouvernement que je ne reconnaissais pas", ce serait audible. Répréhensible, mais cohérent, audible. Mais là, son silence assourdissant, "j'ai fait des gros travaux dans ma maison du Touquet", est juste une insulte à l'intelligence !!!!

J'espère que ces quelques éléments complémentaires éclaireront le débat. Le but de cet article, qui ne faisait que reprendre des informations largement diffusées dans l'ensemble de la pressse, en éclairant certaines incohérences et zones d'ombre, n'était pas d'attaquer frontalement Emmanuel Macron, qui a de très nombreuses qualités et un courage politique réguliérement loué sur Economie Matin. Mais l'on peut être brillant, courageux, avoir une réelle volonté de réformer, et en même temps avoir commis des erreurs dans le passé. L'humilité, l'honneteté, c'est la capacité de reconnaître ses erreurs, et de les surmonter. S'il n'y a pas d'erreurs, de dissimulations, et que tout ceci est parfaitement légal, même à utiliser des montages d'optimisation, alors, il appartient au Ministre de l'Economie et des Finances de les expliquer pour lever le doute.

La chose vaut également pour Manuel Valls, et ses 93 000 euros de patrimoine déclarés à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Admettre que 99 % des parts de la SCI qui détient son appartement parisien de 160 m2 ont été mises au nom de son épouse, pour des raisons politiques, est une étape certes politiquement délicate, mais, à l'heure de la transparence érigée en exigence, par les socialistes eux-mêmes, un devoir.

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).